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Charles Michel, le président du Conseil européen, vient d’annoncer sa candidature aux prochaines élections européennes.
Charles Michel, le président du Conseil européen, vient d’annoncer sa candidature aux prochaines élections européennes.
©JOHN THYS / AFP

Sommet européen en vue

La montée des partis populistes à travers l’Union comme la perspective de la présidence hongroise complexifient singulièrement le choix du successeur de Charles Michel à la tête du Conseil européen.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Charles Michel, le président du Conseil européen, vient d’annoncer sa candidature aux prochaines élections européennes. Une situation inédite, qui pourrait placer le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, à la tête de plusieurs des institutions clés de l’Union européenne. Que dire, pour commencer, de l’action de Charles Michel en tant que président du Conseil européen ?

Christophe Bouillaud : En réalité, que ce soit Charles Michel ou une autre personne, la preuve est désormais faite que ce poste, inventé récemment, ne sert strictement à rien. Il ne fait que coordonner le travail des membres du Conseil européen. Or ces membres – les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats de l’Union européenne – se coordonnent - ou pas - très bien sans lui. Et au niveau inférieur du Conseil de l’Union européenne (les ministres), tout s’organise de longue date avec une administration dédiée, le Secrétariat général du Conseil.  L’action ou l’inaction de Charles Michel n’ont rien changé à l’histoire européenne des dernières années. L’absence de toute responsabilité exécutive de ce Président-coordinateur du Conseil européen, contrairement au Président de la Commission européenne ou au Haut Représentant pour la Politique Etrangère et de Sécurité, finit par rendre le poste totalement évanescent. De plus s’agissant, d’un homme politique nommé là par les dirigeants des Etats membres et non pas d’un monarque héréditaire, il n’incarne même pas le corps symbolique de l’Europe, comme le font le roi Charles III pour le Royaume-Uni et les autres monarques des monarchies encore présentes dans l’Union européenne. 

Du coup, on peut aussi comprendre, qu’ayant bien compris que son poste ne servait pas à grand-chose, sinon à rien, le dit Charles Michel ait décidé de privilégier la suite de sa carrière politique en se présentant aux élections européennes en Belgique pour son parti d’origine.

Les tensions, entre Budapest et Bruxelles, sont nombreuses. Des dizaines de milliards d’euros destinés à la Hongrie n’ont ainsi jamais été envoyés en raison de brèches dans l’Etat de droit hongrois et la question de l’aide à apporter à l’Ukraine a de quoi travailler l’entente entre Orban et le reste de l’Union. Comment gérer cette situation, en tant qu’Union européenne ?

Comme d’habitude, l’Union européenne gère ce genre de situation en cherchant des voies de compromis de plus en plus inventifs à mesure que les tensions se poursuivent. Je rappelle que, pour contourner la règle de l’unanimité au Conseil européen en matière d’ouverture des négociations avec un Etat, Viktor Orban est opportunément sorti de la salle où se tenait le Conseil, afin de permettre aux autres de décider à l’unanimité sans lui. C’est, me semble-t-il, une première. Inversement, Orban était bien présent pour bloquer une nouvelle aide massive à l’Ukraine, et les autres pays recherchent une solution pour le contourner. De fait, la créativité institutionnelle des dirigeants de l’Union est devenue très grande depuis la crise de la zone Euro. Quand une quasi-unanimité des pays veut faire quelque chose et qu’un, deux ou trois, récalcitrants s’opposent, on invente un truc institutionnel quelconque pour faire passer la mesure.

Est-il encore possible de traiter de tels paradoxes sans donner l’impression d’exclure la Hongrie du “jeu” européen ? Quels sont les risques à tendre à Orban le bâton pour se faire battre ?

Bien sûr, on peut se demander si les autres pays européens n’auraient pas dû prendre depuis longtemps des mesures radicales contre la Hongrie de Viktor Orban, en particulier en déclenchant la procédure décrite à l’article 7 du Traité de l’Union européenne (TUE) permettant éventuellement de suspendre les droits de vote de la Hongrie au sein des instances européennes. Il est acquis par exemple que les dernières élections en Hongrie n’ont guère respecté les critères européens en la matière. L’opposition ne pouvait pas gagner tant sa place dans les médias de masse était réduite. La compétitivité des élections n’est plus garantie en Hongrie. Cependant, force est de constater qu’il aurait été difficile d’avoir l’unanimité des autres Etats pour constater le manquement hongrois. Jusqu’à récemment la Pologne dirigée par le PiS, tout aussi critiquable en matière de non-respect de l’Etat de droit,  n’aurait pas soutenu une telle démarche. Et actuellement, pour des raisons de sympathies géopolitiques pro-russes, ni l’Autriche, ni la Slovaquie, et sans doute, d’autres pays encore, ne soutiendraient une telle démarche.

Le risque est bien sûr pour l’Union européenne de continuer à avoir dans son cœur un Etat dirigé par un Orban proche de son pire ennemi, Vladimir Poutine. Dès que l’occasion s’y prêtera, il ne faut pas en douter  Orban fera pression pour que l’Union européenne adopte une politique d’acceptation du fait accompli en Ukraine. Cependant, il faut noter aussi que la Hongrie, comme économie, dépend en réalité des capitaux et des marchés ouest-européens, et reçoit de fortes subventions de la part des autres Etats européens via les fonds structurels européens gérés par la Commission européenne. Il ne serait pas rationnel pour Orban de détruire l’Union européenne comme grand marché et à appauvrir ainsi tout le continent européen. Son pays sombrerait économiquement, comme les autres pays de la région est-européenne, avec le navire européen. C’est tout le paradoxe d’ailleurs de ces Etats présents sur le continent européen qui font le jeu de puissances extra-européennes d’avoir tout de même besoin du grand marché européen – de ce foyer mondial de richesse que demeure l’ouest européen - pour prospérer. Je pense en particulier à la Serbie, sorte de fortin avancé sino-russe au cœur des Balkans, dont la valeur pour la Russie et la Chine ne tient qu’au fait qu’elle permet à ces deux puissances de pénétrer le marché européen. La Turquie joue un jeu similaire.

Quel sera exactement le pouvoir dont disposera la Hongrie, une fois qu’elle remplacera la présidence laissée vacante par Charles Michel ? Quels sont, dès lors, les enjeux géopolitiques et symboliques de cette présidence ?

Effectivement, si Charles Michel est élu au Parlement européen en juin prochain, il ne pourra pas finir son mandat de président du Conseil européen qui courrait jusqu’en décembre. Il faudra qu’il soit remplacé très vite pour que la Hongrie, qui assurera la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne à partir de début juillet, ne dispose pas d’un pouvoir d’agenda trop important sur l’organisation des travaux du Conseil européen et du Conseil de l’Union européenne.

Cependant, au-delà de cet aspect d’organisation du travail et bien sûr de l’aspect symbolique, il ne faut pas surévaluer le rôle d’une présidence assurée par un pays. Déjà, au niveau du Conseil de l’Union européenne, il existe une troïka entre la présidence sortante, celle en place et celle qui va arriver. En réalité, l’inflexion que peut donner un pays à l’agenda européen pendant sa propre présidence n’est vraiment pas énorme.

Par ailleurs concernant le Conseil européen, toute la continuité est assurée, non pas par le seul Président du Conseil européen, mais par l’administration du Secrétariat général du Conseil européen. S’agissant en plus de la période suivant les élections européennes de juin 2024 et amenant à la formation d’une nouvelle Commission européenne, tout cela est largement réglé par avance, avec des délais à respecter. Que la Hongrie assure la Présidence du Conseil européen ne changera pas grand-chose à la réalité des rapports de force au niveau du Parlement européen et au niveau du Conseil européen.

Probablement, comme le Parlement européen issu du vote de juin 2024 sera plus à droite dans son équilibre que celui élu en 2019, Orban pourra certes se voir en faiseur de rois, reines, duc et duchesses, mais son rôle restera celui du dirigeant d’un petit pays. La Hongrie n’est pas la France, l’Allemagne ou l’Italie, ou même la Pologne. Il ne faut donc pas surestimer la gêne éventuelle qu’il pourra représenter.  

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