Cette discrète bataille entre Marocains et Emiratis pour le contrôle des mosquées de France<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Religion
Cette discrète bataille entre Marocains et Emiratis pour le contrôle des mosquées de France
©KARIM SAHIB / AFP

Ingérence

L’Iftar organisé en début de Ramadan à la mosquée d’Evry en l’honneur de Ali Nouaymi, le ministre émirati chargé du Conseil Mondial des Minorités Musulmanes, a relancé les interrogations sur une possible OPA des Émirats sur les mosquées marocaines en Europe. Le recteur d'Evry, Khalil Merroun, s'est ainsi fait chapitrer par les autorités marocaines...

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer

Haoues Seniguer est maître de conférences en science politique à l'Institut d'Études Politiques de Lyon (IEP)

Il est aussi chercheur au Triangle, UMR 5206, Action, Discours, Pensée politique et économique à Lyon et chercheur associé à l'Observatoire des Radicalismes et des Conflits Religieux en Afrique (ORCRA), Centre d'Études des Religions (CER), UFR des Civilisations,Religions, Arts et Communication (CRAC), Université Gaston-Berger, Saint-Louis du Sénégal.

Voir la bio »

Atlantico:  Quelle est la stratégie des émiratis sur les mosquées marocaines ? Peut-on la dater ?

Haoues Seniguer : Je ne sais si un iftar organisé au sein d'une mosquée de sensibilité marocaine en l'honneur d'un ministre émirien est le prélude ou l'indice empirique tangible d"une possible OPA des Emirats sur les mosquées marocaines en Europe". Cela me paraît, à l'aune de cet exemple, extrêmement faible du point de vue factuel. C'est aller un peu vite en besogne, si j'ose dire. Je ferais cependant deux observations qui sont autant d'hypothèses explicatives. On ne peut envisager et penser le sujet sans tenir compte à la fois de la dimension globale et de la dimension locale/nationale. 

D'une part, il est certain qu'étant donnée la profonde dérégulation du champ islamique sunnite mondial en général et du champ islamique français en particulier, l'islam de France est l'objet constant d'une concurrence plus ou moins âpre entre différents opérateurs, français et/ou étrangers. Aussi, les Emirats Arabes Unis, comme d'autres pays ou organisations, cherchent à asseoir leur influence, moins forcément d'ordre religieux d'ailleurs qu'éminemment politique. C'est ce que l'on qualifie souvent aujourd'hui de "soft power". L'émirat peut effectivement chercher à jouer une partition propre face ou même à côté d'autres pays, tels que le Qatar. Nous allons instamment y venir. 

D'autre part, lorsque l'on évoque le cas des Emirats Arabes Unis, il est indispensable de souligner que depuis au moins 2011 et "le printemps arabe", 2013 et l'arrivée au pouvoir par un coup d'Etat militaire du maréchal Abdelfattah al-Sissi en Egypte le 03 juillet 2013 qui réprime depuis lors sans pitié les Frères musulmans, il est remarquable que Arabie et Emirats soutiennent et financent activement toute initiative ou entreprise permettant d'endiguer l'idéologie frériste ou néo-frériste. En 2014, les deux pays en question ont même décidé d'inscrire les Frères musulmans sur la liste des organisations terroristes. Les deux pays sont alliés contre le Qatar dans un conflit de type "guerre froide". Ainsi, il est possible que l'activisme émirien, qui reste néanmoins à démontrer de façon plus systématique, se concentre sur la France en vue de clientéliser moralement et politiquement les musulmans de notre pays, en particulier ceux qui sont les plus engagés dans le tissu social. Le but, si l'on suit les hypothèses avancées, serait donc de mordre sur les sphères d'influence habituelles du Qatar auprès des acteurs de l'islam de France. 

 Pourquoi les mosquées marocaines sont-t-elles particulièrement ciblées ?

Comme je le signifiais auparavant, je ne sais, si activisme il y a réellement de la part des Emirats, si seules les mosquées marocaines sont spécifiquement "ciblées". Peut-être que dans un premier temps, il est beaucoup plus facile de prendre langue avec des mosquées et des responsables particulièrement loyalistes à l'égard des pays d'origine et d'accueil, ce qui est précisément le cas des mosquées dites "marocaines", parce qu'elles agissent en lien étroit avec les services consulaires du royaume chérifien qui lui-même est un solide partenaire de l'Etat français. En outre, malgré des tensions ponctuelles avec les Emirats Arabes Unis, le Maroc reste un partenaire. Puis, en outre, il me paraît difficile de souscrire à l'idée que les Emirats puissent damer le pion à la monarchie marocaine dans le contrôle des fidèles marocains (de ses ressortissants) responsables de mosquées. 

Enfin, les Emiriens, en pragmatiques, savent qu'il sera de toutes les façons difficile de toucher ou approcher des personnalités idéologiquement proches des Frères en France hostiles à l'approche sécuritaire et punitive des Emirats à l'endroit de de l'islamisme sunnite même légaliste. 

Vous expliquiez auparavant que les mosquées marocaines n'étaient pas les seules à être ciblées mais qu'elles préféraient éviter celles de l'obédience des Frères musulmans. Pour quelle raison ?

Comme je l'ai plus ou moins explicité auparavant, il faut penser en même temps le global et le local, car Emirats et Qatar sont en conflit, et que la France est un pays où l'empreinte qatarienne, sous plusieurs formes, est indubitable. Toutefois, il convient de préciser et d'insister sur le caractère extrêmement conservateur de l'islam émirien; ce que redoutent les Emirats Arabes Unis, ce n'est pas le conservatisme religieux frériste mais davantage son potentiel politique contestataire des pouvoirs établis sur une base religieuse, notamment en contexte majoritairement musulman. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !