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Christian Chesnot publie « Le Qatar en 100 questions : Les secrets d’une influence planétaire » aux éditions Tallandier.
Christian Chesnot publie « Le Qatar en 100 questions : Les secrets d’une influence planétaire » aux éditions Tallandier.
©GIUSEPPE CACACE / AFP

Bonnes feuilles

Christian Chesnot publie « Le Qatar en 100 questions : Les secrets d’une influence planétaire » aux éditions Tallandier. En moins de vingt ans, ce petit pays a connu une ascension fulgurante et a acquis une réputation sulfureuse. Le Qatar a su se rendre incontournable sur la scène internationale. Extrait 2/2.

Christian Chesnot

Christian Chesnot

Christian Chesnot est grand reporter à la rédaction internationale de Radio France.

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« Buy them! » (Achetez-les !) Cette petite phrase symboliserait l’un des modes opératoires de l’émirat richissime. Doha dément utiliser l’argent comme moyen de persuasion afin d’acheter de l’influence. Tout au long de ces années, des destinataires de ces « cadeaux » ont accepté de se confier, tandis que des articles de presse levaient le voile sur ces pratiques, qui vont au-delà des paiements de rançons pour faire libérer des otages ou le versement d’argent aux factions libanaises pour qu’elles s’entendent entre elles.

En 2016, Bruno Le Maire a déclaré s’être vu offrir une montre Patek Philippe cerclée de diamants d’une valeur de 85 000 euros, après avoir accompagné l’émir Hamad pendant quatre heures dans Paris, en 2009. Le ministre de l’Agriculture d’alors remit la montre au service du Mobilier National.

L’ancien diplomate connaît les arcanes des relations avec les monarchies du Golfe. « Leurs dirigeants fonctionnent avec de la flatterie. Ils sont d’une grande amabilité. Ils vous proposent des cadeaux. Regardez les poignets de bon nombre de ministres ! » sourit Bruno Le Maire. Et pas que des ministres.

Bruno Dalles, l’ancien patron de Tracfin, le service de renseignement financier du ministère de l’Économie et des Finances, s’est vu proposer en mars 2016 une montre de valeur, à la fin de son entretien avec Ali bin  Fetais al-Marri, le procureur général du Qatar à l’époque, en présence d’Éric Chevallier, l’ambassadeur de France à Doha. « Vous lui ferez livrer sa montre à l’hôtel », avait lancé le procureur à la fin de la rencontre – un comble ! – destinée précisément à renforcer la transparence dans les mouvements de fonds. Quand il est rentré à son hôtel, point de montre. Il est probable que l’ambassadeur Chevallier ait fait passer le message aux Qatariens.

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En avril 2013, Vincent Peillon, alors ministre de l’Éducation nationale, a reçu à Paris une montre Rolex Oyster Perpetual d’une valeur de 4 000 euros, à l’issue d’un entretien toujours avec le procureur général du Qatar, Ali bin Fetais al-Marri. « Je l’ai fait déposer auprès de la Direction générale des Finances publiques », a-t-il précisé. « On avait un problème à cette époque avec le lycée français Bonaparte à Doha, et j’avais pris une position assez dure dans ce différend. Mais al-Marri m’avait laissé comprendre qu’il était tout-puissant au Qatar. » Sous-entendu, un ministre français ne lui faisait pas peur. « Il pensait pouvoir nous marcher dessus et enseigner la religion au lycée. On avait été sans complaisance au ministère de l’Éducation, mais il y avait eu une certaine complaisance de certains membres du gouvernement français », se souvient Vincent Peillon.

Plus récemment, sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, un haut gradé français en visite au Qatar reçut la visite d’un homme qui, tard le soir, frappa à sa chambre d’hôtel à Doha. « L’homme me remit une valise noire scellée, m’indiquant que c’était de la part des autorités, a confié le militaire. J’ai ouvert la valise, j’ai découvert son contenu  : à l’intérieur il y avait une Rolex à 50 000 euros –  j’ai vérifié le prix sur le catalogue à mon retour à Paris –, des stylos Dupont, et même un tissu de grande qualité pour me faire tailler un costume. » Il prit les cadeaux et les remit au Mobilier National.

Mais combien d’autres ont accepté ? De forts soupçons pèsent sur certains députés en visite à Doha lors d’invitations à des conférences ou même à l’issue de la soirée organisée, chaque année, par l’ambassade du Qatar à Paris pour célébrer la fête nationale, le 18 décembre.

Les Français ne sont, bien sûr, pas les seuls bénéficiaires de la générosité qatarienne.

Le prince Charles, futur roi d’Angleterre, accepta des valises et des sacs remplis de trois millions d’euros en espèces en provenance du Qatar, révéla le Sunday Times en juin 2022. Cet échange aurait eu lieu à Clarence House en 2015, à l’issue de trois réunions entre le futur roi d’Angleterre et Hamad bin Jassim al-Thani, l’ancien Premier ministre qatarien. Un porte-parole de Clarence House affirma que l’ensemble des 3 millions d’euros avait été « transmis immédiatement à l’une des organisations caritatives du prince, qui a respecté les engagements appropriés et m’a assuré que tous les processus corrects avaient été suivis ». L’organisme de bienfaisance aurait par la suite confirmé que ce don remontant à 2015  avait été fait en espèces, au « choix du donateur ». « Tout le monde se sen[1]tait très mal à l’aise face à la situation », a déclaré un ancien conseiller du prince de Galles au Sunday Times.

Un proche du président syrien Bachar el-Assad a raconté comment durant les années de lune de miel entre Damas et Doha (2008-2009), les gardes du corps d’Assad revendaient au souk de Damas les montres Rolex offertes par le Qatar à l’issue de visites du leader syrien à Doha.

Dans les administrations de l’émirat, les fiches relatives aux « cadeaux » sont à jour, si l’on en croit la remarque que fit en 2013 son ancien ambassadeur en France, Mohammed al-Kuwari. « Nous savons qui aime le Qatar et qui aime l’argent du Qatar » !

Selon certaines sources, le Qatar aurait même établi un barème des cadeaux offerts, en fonction du rang de son récipiendaire. Un ministre étranger en visite dans l’émirat reçoit généralement une montre Patek Philippe (de 80 000 euros environ). Aux visiteurs classés au-dessous leur reviendrait une montre Audemars Piguet (60 000 euros environ). Puis aux parlementaires une Omega ou une Rolex, ensuite une Cartier, et enfin en bout de chaîne des stylos. Le système serait bien rodé et s’étend jusqu’aux bons élèves. L’émir a, en effet, offert une Rolex à chacun des cent lycéens les plus méritants de l’année scolaire 2021-2022, lors d’une cérémonie à son bureau, le diwan !

À titre d’exemple, voici ci-après le tableau récapitulant les cadeaux officiellement offerts à des hauts responsables américains entre 2006 et 2018 par Ali bin Fetais al-Marri, l’ex procureur général du Qatar, une fois encore des montres, le plus souvent que les destinataires ont refusés et faits enregistrer au Federal Register.

Extrait du livre de Christian Chesnot, « Le Qatar en 100 questions : Les secrets d’une influence planétaire », publié aux éditions Tallandier

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