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Cette décision si tentante à laquelle Donald Trump devra résister s’il ne veut pas limiter drastiquement la capacité de son administration à légiférer
©SAUL LOEB / AFP

Risque de difficultés...

Depuis près de vingt ans que le Congressional Review Act est en vigueur aux Etats-Unis, la Chambre des représentants a la capacité d'affaiblir un président souhaitant agir comme bon lui semble, notamment en adaptant dans son sens des lois votées par le Congrès via des agences gouvernementales. Une tentation qui pourrait se manifester chez Donald Trump...

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Bien que le Sénat et la Chambre des représentants soient aux mains des Républicains, et donc a priori favorables aux propositions de lois pouvant être introduites par Donald Trump à partir du 20 janvier, de quels outils juridiques le Congrès américain dispose-t-il pour limiter le pouvoir exécutif du président ? Qu'en est-il tout particulièrement du Congressional Review Act

Jean-Eric Branaa : Le CRA a été adopté en 1996, poussée par Newt Gingrich qui était alors président de la Chambre des représentants, dans une loi plus générale appelée "Contrat avec l’Amérique".  Le pouvoir exécutif, par l’intermédiaire des agences gouvernementales, peut adapter des lois votées par le Congrès. Seulement, l’ensemble de ces adaptations prennent le plus souvent un caractère règlementaire et beaucoup de parlementaires s‘étaient alors émus que cette extension échappe au contrôle du Congrès. Celui-ci a alors décidé d’inventer un outil lui permettant d’exercer un contrôle, voire de revenir sur l’adaptation, la règle, le décret ou tout autre altération apportée à une loi qui a été votée par les représentants du peuple. Le besoin est né suite à l’intervention de la Cour Suprême qui avait invalidé en 1983 une autre procédure, qui avait été utilisée pendant des années : il suffisait alors à une seule Chambre de se prononcer contre la règlementation qui déplaisait pour qu’elle soit aussitôt annulée.

Concrètement, le Congrès vote une "motion de désaccord" en vertu du CRA, qui doit être votée par les deux Chambres. Dès lors, elle s’impose et annule le texte incriminé, sauf si le président appose son véto. Il faut obtenir une super-majorité des deux-tiers dans chaque Chambre pour surmonter un véto. En cas d’impossibilité de trouver une telle majorité, il ne reste plus que la solution de proposer une nouvelle loi, qui corrigera les effets non-désirés de la réglementation que les parlementaires veulent faire annuler. Mais l’adoption d’une loi ne se fait pas en quelques jours : c’est une procédure longue et complexe et qui peut être repoussée aux calendes grecques grâce à un pouvoir que détient le Sénat : le filibuster, une procédure d’obstruction parlementaire qui consiste à bloquer tous le débats en prenant la parole et en n’arrêtant plus de parler. Le CRA a créé une période de 60 jours ouvrables pendant lesquels le Congrès peut utiliser une procédure accélérée pour annuler des règlements modifiant les lois qu’il a adoptées. Il n’a besoin que d’une majorité simple pour cela. Et, dans ce délai, il n’est pas possible d’avoir recours au filibuster. Le président peut toujours, toutefois, opposer son véto.

Quel impact ces garde-fous juridiques peuvent-ils avoir sur le mandat de Donald Trump ? Dans quelle mesure peuvent-ils affaiblir la présidence de ce dernier ? 

Dans un premier temps, cet arsenal juridique va surtout permettre d’accélérer l’annulation de plusieurs dispositions adoptées par l’administration démocrate. Comme on prend en compte les jours ouvrables, c’est-à-dire en réalité les jours pendant lesquels le Congrès a siégé, le nouveau Congrès pourra techniquement remonter jusqu’au mois de juin 2016. Cela fait un total de 150 règlementations et décrets qui pourraient être annulés. Cela aura un impact fort pour montrer la détermination de cette nouvelle administration et la diligence avec laquelle elle règle certains dossiers parmi les plus urgents. L’important est que cela se voit.

Dans le cas des relations entre Donald Trump et son Congrès, on peut aussi voir une autre utilisation du CRA : tous les président américains ont eu recours aux décrets et textes règlementaires pour adapter les lois votées par le Congrès. Ce faisant, ils ont souvent été trop loin, créant véritablement du droit et se passant donc outrageusement de la permission du Congrès pour le faire. Un véritablement déni de droit aux yeux du Congrès qui voit là surtout un exécutif qui outrepasse ses pouvoirs. Donald Trump n’échappera certainement pas à cette règle, dès qu’il aura perçu que le rythme du Congrès est beaucoup plus lent que ce qu’il souhaiterait. Le CRA pourrait alors devenir un outil qui empêcherait le président d’agir à sa guise et dans de très nombreux secteurs. Les parlementaires l’obligeraient donc à passer par leur intermédiaire pour régler jusqu’aux moindres détails des lois qu’il espère pouvoir faire adopter.

L'élection de Donald Trump a mis à mal l'unité des Républicains, un certain nombre percevant Donald Trump comme une menace, notamment sur le plan des idées (NB: Donald Trump était affilié au Parti démocrate jusqu'en septembre 2009, notamment). Sur quels types de lois proposées par Donald Trump au Congrès ce dernier pourrait-il user de tels outils, et tout particulièrement du Congressional Review Act

Le CRA pourrait effectivement devenir un outil qui empêcherait le président d’agir dans plusieurs secteurs, ou même de le contrôler dans le cas où il dévierait de l’orthodoxie républicaine qui domine actuellement à Capitol Hill : ainsi, sous couvert de cette disposition législative, les parlementaires pourraient, par exemple, annuler un texte qui impose aux entreprises minières des régulations que le législateur n’avait pas précisé, et peut-être pas souhaité. Par exemple, cela pourrait être d’interdire les forages dans des zones où il y a des cours d’eau qui peuvent être pollués du fait de ces forages. Cette disposition ayant été rajoutée par une agence gouvernementale, telle que l’Agence de protection de l’environnement, elle pourrait être aussitôt annulée par le Congrès selon les règles du CRA.

Là où l’affaire se corse, c’est que l’utilisation de cette procédure interdit à l’exécutif d’apporter ensuite le moindre nouveau changement : il lui faut alors passer par une nouvelle loi. On retombe ainsi dans la difficulté qu’il y a pour faire voter une loi, et le temps que cela prend. A cela s’ajoute la difficulté politique : dans un tel exemple, il y a fort à parier que le Républicains ne seraient pas enclins à faire adopter la moindre régulation en ce qui concerne les forages, préférant laisser le secteur totalement dérégulé. C’est ainsi que le Congrès affaiblirait un Donald Trump qui voudrait pouvoir agir à sa guise : tout simplement en l’empêchant de le faire.

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