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Cette curieuse indifférence autour des informations sur Emmanuel Macron, président financé par les riches
©LUDOVIC MARIN / AFP

Mystère

Les accusations envers un chef de l'Etat "président des riches" se succèdent... mais ne semblent pas toucher l'opinion.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : ​Echanges de SMS révélés par le Canard enchaîné à propos de l'ISF 2018, le putsch du CAC 40 selon Aude Lancelin, révélations de Médiapart concernant les remises faites à En Marche pendant la campagne présidentielle, les accusations envers un Emmanuel Macron "président des riches" se succèdent, mais ne semblent pas toucher l'opinion. Faut-il voir ici une situation dont les Français se doutaient et qui ne les affectent pas ? La prime à l'efficacité dans la réforme permet-elle cette forme de tolérance de l'électorat ?

Christophe Bouillaud : Dans un cas très général, il faut bien se rendre compte que toutes les accusations portées sur la probité, l’indépendance, les connivences d’un homme ou d’une femme politique portent peu en réalité sur l’opinion publique, car leur réception par le grand public se trouve très largement filtrée par les convictions différenciées de ce dernier au sujet de l’homme ou de la femme politique en question. Ses partisans y verront presque toujours un complot de forces obscures contre leur champion, ses opposants une confirmation de tout ce qu’ils pensaient déjà de mal de ce dernier. En l’espèce, toutes les accusations en question portées contre Emmanuel Macron portent sur sa proximité avec les milieux d’affaire de notre pays. Cela ne fait en fait que confirmer ce que nulle personne sensée ne peut décemment ignorer vu les éléments déjà rendus publics de longue date de la carrière d’Emmanuel Macron. Il a tout de même été banquier d’affaires chez Rothschild et pas vraiment délégué syndical à la Poste. Le MEDEF ne semble pas trop mécontent de son élection à la Présidence. De fait, les électeurs qui sont pour que les idées des entrepreneurs gouvernent le pays ne seront pas surpris de ces accointances avec les milieux d’affaires, ni non plus ceux qui sont contre cette délégation des affaires de la France aux idées de ces derniers. On peut appeler cela du côté de ses partisans une prime à l’efficacité de la réforme, mais j’y verrai plus simplement un ordonnancement logique des opinions en fonction des valeurs et des croyances des électeurs, pour ou contre la prééminence de la vision libérale des entrepreneurs sur les politiques publiques.

Emmanuel Macron a par ailleurs avoué en quelque sorte savoir à l’occasion se placer en dehors des clous lors de son récent discours aux étudiants d’une université américaine. Il leur a dit en effet qu’il ne fallait pas obéir aux règles établies pour avoir du succès dans la vie. C’est l’idée de l’innovation, ou de la disruption, qui constitue désormais un classique du discours macronien. Comme le montrent à l’envi les sociologues et historiens, c’est aussi typiquement l’attitude de l’aristocrate face à la vie. La supériorité naturelle de ce dernier sur les humains ordinaires s’exprime par le refus de se plier aux normes valables pour le commun des mortels – ce qui ne veut pas dire d’ailleurs que les aristocrates ne doivent pas se plier à d’autres règles spécifiques, celles du courage ou de l’honneur par exemple. En l’occurrence, Macron pour parvenir au pouvoir a été sans aucun doute possible désormais le Brutus de son César, ce bien naïf de François Hollande, il a transgressé ainsi la règle de décence qui prescrit le respect envers celui qui vous a promu. Mais, comme Brutus, il l’a fait au nom du salut même de la Res Publica. Ce fait devrait être désormais évident pour tout le monde, vu la rancœur affichée ces derniers jours du dit Hollande à l’occasion de la sortie de son livre de mémoires, Les leçons du pouvoir. La thèse du complot de F. Hollande pour se trouver un héritier en la personne d’E. Macron a perdu désormais toute réalité. Donc ce ne sont pas les accusations portées contre Emmanuel Macron actuellement qui vont changer en quoi que ce soit le jugement qua les Français un peu informés porteront sur lui. Quant aux autres...  

En quoi cette situation peut-elle également confirmer une problématique liée à l'offre politique ? En quoi l'incapacité pour ses opposants de capter véritablement la défiance qui peut parfois exister à l'égard du président peut montrer qu'Emmanuel Macron est aujourd’hui perçu comme la seule option possible ?

Tout d’abord, il faut rappeler sans crainte de se lasser et de lasser le lecteur qu’Emmanuel Macron bénéficie de la légitimité conférée au Président élu dans la Vème République disposant d’une large majorité parlementaire à la Chambre des députés. Il peut faire tout ce qu’il souhaite tant qu’il reste dans le cadre de la légalité républicaine, surtout s’il accepte en plus de perdre en popularité.

Par ailleurs, il faut rappeler que, contrairement aux Présidents de la République de droite ou de gauche qui l’ont précédé, il n’a pas de parti politique à ménager. Il ne dispose pas de grands élus locaux de son parti ayant peur de perdre leur fief, de députés voyant leur carrière politique se terminer bientôt, et encore moins bien sûr d’une base militante en fibrillation. En effet, les pressions sur un Président viennent bien moins en réalité de ses opposants, que de ses propres partisans qui ont peur de tout perdre à l’occasion de l’exercice du pouvoir. Pour l’heure, LREM a tout encore à gagner au niveau local, et n’a donc rien à perdre. De fait, la seule chose qui semble faire un peu reculer l’exécutif, c’est la lecture des sondages – ce qui a tout de même un effet moins direct qu’un grand baron local qui vient se plaindre dans son bureau au Président de sa politique.

Enfin,  les oppositions sont effectivement en difficulté. A droite et même à l’extrême droite, parce que l’exécutif semble accéder à leurs demandes les plus pressantes. Un Président qui brise les reins du syndicalisme cheminot, quoi de mieux en effet pour se rallier les électeurs de droite ? La tête de Martinez, le leader de la CGT, sur un plateau d’argent ? Un Président qui couvre de son autorité un Ministre de l’Intérieur qui tient à la tribune des propos parallèles à ceux de l’extrême-droite, quoi de mieux pour calmer les inquiétudes des électeurs frontistes ? Un navire bien plein de femmes, d’enfants et de vieillards organisant la re-migration ?  Et à gauche, comment s’opposer à un Président qui a visiblement  déjà passé « ceux qui ne sont rien »,  les classes populaires par pertes et profits ? 

Quels sont les risques pour Emmanuel Macron dans une telle configuration ?

Pour l’instant, les risques me paraissent vraiment limités. Les accusations portées sur sa probité, son indépendance et ses connivences sont dans le fond anecdotiques, cela occupe certes les médias, et permet de clarifier les choses, mais c’est un peu comme pour Donald Trump avec les accusations de connivence avec la Russie de Vladimir Poutine dans le cadre américain. Ce n’est pas cela qui peut faire basculer l’opinion publique. Cela fera jaser, cela constituera un feuilleton qui occupera un temps les médias, c’est tout.

Par contre, le Président peut être rattrapé par la situation économique si elle venait à se dégrader vraiment de nouveau nettement.

En outre, à force de compter sur le maintien de l’ordre musclé à la française pour maîtriser les divers mouvements sociaux en cours,  et de parier ainsi sur l’épuisement des diverses mobilisations, un événement inédit peut tout de même arriver qui créerait une vague de contestation qui deviendrait ensuite difficilement maîtrisable faute de fusibles évidents entre le Président et la rue. Mais la France n’est tout de même pas l’Arménie, et il faudrait vraiment quelque chose d’inédit, que je n’arrive même pas à imaginer, pour en arriver là.

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