Cette crise existentielle provoquée par la guerre en Ukraine chez les spécialistes de la Russie <!-- --> | Atlantico.fr
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Vladimir Poutine lors d'une visioconférence depuis le Kremlin.
Vladimir Poutine lors d'une visioconférence depuis le Kremlin.
©Alexey DRUZHININ / SPUTNIK / AFP

Impact du conflit

L'Association des études slaves, est-européennes et eurasiennes (ASEEES) a fait de la "décolonisation" le thème de sa conférence de 2023.

Galia Ackerman

Galia Ackerman

Galia Ackerman est docteure en histoire et chercheuse associée à l'université de Caen, Galia Ackerman est spécialiste de l'Ukraine et de l'idéologie de la Russie post-soviétique. Elle a été journaliste à RFI et à la revue Politique internationale. Elle est notamment l'auteure, aux éditions Premier Parallèle, de Traverser Tchernobyl (2016, rééd augmentée 2022). Elle a cofondé la revue Desk-Russie. Elle a également dirigé le numéro 77 de La Règle du jeu consacré à l'Ukraine (octobre 2022). 

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Atlantico : L'Association for Slavic, East European, and Eurasian Studies (ASEEES) a fait de la "décolonisation" - qu'elle décrit comme "un acte profondément politique de réévaluation de hiérarchies établies de longue date et souvent intériorisées, de renonciation et de reprise du pouvoir" - le thème de sa conférence de 2023. A quel point la guerre en Ukraine a-t-elle provoqué une crise existentielle chez les chercheurs ?

Galia Ackerman : Les chercheurs ont souvent suivi le sentiment et la doxa en Russie. La guerre a provoqué la mise en question de ce qu’ingurgitent tous les Russes, à savoir que la langue russe et la culture russe sont les plus importantes et même supérieures au reste du monde. Cela commence à l’école car dès leur entrée, les élèves voient un panneau avec la célèbre phrase de Tourgueniev (1818-1883) : « La langue russe est grande, puissante, véridique et libre ! ». Cet auteur classique russe ajoutait que cette langue ne peut appartenir qu’à un grand peuple. Ce sentiment de supériorité est très répandu au sein de la population russe.

Les études slaves reflètent la situation sociétale russe. Pour ce qui est de l’histoire de la Russie, l’historien Vassili Klioutchevski (1841-1911) a influencé tout le champ de recherche slavistique, jusqu’à nos jours. Or, l'objectif de l'école Klioutchevski était de créer une vue systématique de l’histoire russe présentée comme une mission civilisationnelle de la Russie dans l'étendue de l'Eurasie. Fidèles à la cause du nationalisme russe, les étudiants de Klioutchevski avaient tendance à sous-estimer la violence de masse et la résistance que de telles formes de colonisation entraînaient. 

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Par ailleurs, la Russie soviétique et la Russie poutinienne ont investi beaucoup d’argent dans « la séduction des slavisants », via des bourses et le financement des projets communs, qui incitent les slavisants à rester sur la bonne ligne. On leur fait également du chantage en les menaçant de la possibilité de travailler dans les archives russes ou encore de donner des cours en Russie ou de participer à des colloques. 

La communauté des chercheurs commence à comprendre ce qu’il se passe en Russie. On comprend également que la pression russe a souvent empêché les chercheurs à se diriger vers les études sur l’Ukraine, par exemple.

Quels ont pu être les angles morts, les insuffisances du travail sur la Russie qui viennent aujourd’hui percuter les universitaires ?

L’histoire et la littérature russes ont occulté le point de vue des autres populations de l’Empire. On commence à se concentrer sur ces populations en raison de la guerre en Ukraine. La langue ukrainienne a été peu étudiée, le sentiment national des Ukrainiens n’a jamais été pris en compte. L’Ukraine restait une tache blanche au cœur de l’Europe.

Comment repenser aujourd’hui les études russes à la lumière des évènements actuels ?

Il faut commencer par réévaluer la place et l’importance des autres cultures dans l’espace post-soviétique. Il faut essayer de voir la pluralité des cultures de cet espace impérial qu’a été et est la Russie. Ce n’est pas pour rien que l’Union soviétique a éclaté. Chaque Etat qui en a découlé a sa propre langue, sa propre culture. La connaissance de la langue russe n’est pas suffisante pour savoir ce qu’il se passait au temps des tsars, à l’époque communiste et dans les pays post-soviétiques.

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