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Cette brillante stratégie pour résoudre les problèmes que néglige généralement notre cerveau.
Cette brillante stratégie pour résoudre les problèmes que néglige généralement notre cerveau.
©Fred TANNEAU / AFP

Biais cognitif 

Selon une étude publiée dans Nature par un ingénieur et des psychologues de l'Université de Virginie, un biais cognitif nous pousserait à privilégier des solutions additives face à un problème ou lors d'un apprentissage plutôt que des solutions soustractives. Quelle est l’explication psychologique à ce phénomène et quelles pourraient être les conséquences de cette découverte ?

Michel Vigier

Michel Vigier

Michel Vigier est ingénieur et président-fondateur de l'Association pour la prévention de l'innumérisme. Ses travaux ouvrent de nouvelles voies pour une réelle " refondation " des apprentissages mathématiques à l’école. 

Michel Vigier est le concepteur du "boulier didactique" et le co-auteur de la Méthode des Abaques, ouvrage publié par l’association. Il est également l'auteur d'un A-book paru en 2014 sur Atlantico éditions : La France handicapée du calcul - Vaincre l'innumérisme pour sortir du chômage

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Christophe Rodo

Christophe Rodo

Christophe Rodo est neuroscientifique et vulgarisateur avec le podcast "La Tête Dans Le Cerveau".

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Atlantico : Selon les travaux de Leidy Klotz, ingénieur à l'Université de Virginie, et Gabrielle Adams ainsi que Benjamin Converse, psychologues sociaux à l'Université de Virginie, dévoilés dans une étude publiée dans la revue Nature, face à un problème les gens ont tendance à choisir des solutions qui impliquent l'ajout de nouveaux éléments plutôt que de soustraire ou de supprimer des composants ou des éléments existants. Comment expliquer ce biais cognitif ? Quelle est l’explication psychologique pour cette méthode et le fait que soient généralement privilégiées les solutions additives comme l’utilisation d’un tricycle pour apprendre à faire du vélo ?

Christophe Rodo : Ce biais cognitif vient tout juste d’être mis en évidence avec cette étude. Il n’y a pas d’études qui semblent avoir montré cela avant. Il n’y a pas de bibliographie ou d’autres éléments sur lesquels on puisse s’appuyer. Les interprétations possibles pour l’explication de ce mécanisme sont des hypothèses. Il est assez complexe d’apporter des éléments définitifs pour plusieurs raisons.

Suite au fait que ce soit la première fois que cet élément soit montré, il faudra s’assurer que le même type d’individus ayant déjà passé cette expérience, des Américains d’âge intermédiaire, soient à même de pouvoir remettre en avant cet élément et que l’on puisse dupliquer cette étude afin de savoir si elle est solide. Il faudra voir si cette étude, si elle est bien répliquée sur ce type de population, est bien généralisable. Est-ce que cela marche autant pour des Américains, comme cela a été montré, que pour des Japonais, que pour des Européens, et est-ce que cela dépasse les frontières culturelles… ?

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Ce biais cognitif est-il donc présent de manière « innée » dès la naissance ? Ou est-ce qu’en réalité il s’agit de quelque chose qui se construit avec le temps, avec l’acquisition culturelle, ce serait plus de l’acquis.

Tout cela pourrait aiguiller les mécanismes derrière l’existence de ce biais cognitif et permettre ainsi de trancher sur l’existence de ce biais cognitif. Il est important de noter également que l’exemple du recours au tricycle n’est pas directement pris par les chercheurs dans leur étude scientifique publiée dans Nature.

Michel Vigier : Les auteurs à l’origine de l’étude en référence, Leidy Klotz, Gabrielle Adams, Benjamin Converse, prônant des conceptions minimalistes, nous suggèrent d’améliorer un système par suppression d’éléments superfétatoires. Cette démarche est peu courante. A l’origine, les ajouts sont imaginés pour répondre à un problème technique qui n’a pas été suffisamment étudié. Pour une aide à l’apprentissage de la marche ou du vélo, chez les enfants, sont nées de fausses bonnes idées. Leur origine ? La méconnaissance de caractéristiques naturelles et innées, comme l’équilibre ou la proprioception, qui conduit à des apports inutiles, déambulateur ou petites roues. La volonté c’est de faciliter l’apprentissage en faisant appel à une technique qui semble logique. En fait, avec une connaissance plus précise des phénomènes liés à ces initiations et une réflexion plus approfondie, ces erreurs, qui brident la nature, auraient pu être évités. Ensuite la démarche intellectuelle pour passer d’un vélo avec des petites roues, qui est devenu la norme, à une draisienne qui apparaît comme un instrument minimaliste et incomplet, nécessite une volonté novatrice et un désapprentissage difficile. Nous allons retrouver dans le domaine des mathématiques une telle problématique.

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Nous pouvons situer, en Mésopotamie, en Inde ou en Chine, l’invention de la numération, il y a plus de 10 000 ans, avec l’essor de l’élevage. Ces régions ont une même représentation des quantités avec les doigts en utilisant les phalanges pour compter, ce qui aboutit au système sexagésimal. Le rapprochement des cueillettes ou des têtes de bétail, leur regroupement et leur dénombrement est une opération naturelle que l’on nomme l’addition. Nous connaissons aujourd’hui les quatre opérations addition, soustraction, multiplication et division. Dans l’antiquité, l’addition était la seule opération « naturelle ». L’utilisation de tableaux permettait, cependant, en utilisant cette même addition, de résoudre des problèmes qui feraient appel aujourd’hui aux trois autres opérations. Les instruments de calcul, abaques, complétaient ces techniques en permettant des dénombrements rapides. A la fin du Moyen-Age et à La Renaissance, le système décimal s’impose, et la fabrication du papier devient peu coûteuse. Les savants, comme Copernic ou Galilée ont besoin de faire des calculs compliqués, précis et longs, sur papier. On invente les opérations multiplication, division et la soustraction ainsi que leurs techniques opératoires, que l’on nomme opérations posées. Les algoristes, tenants des calculs à la plume sur papier s’opposent aux abacistes, tenants des calculs à l’abaque. Lors de la Révolution, l’Abaque à jetons, outil de calcul des clercs de l’Eglise a été interdit ; les algoristes ont gagné et nous continuons à apprendre ces techniques opératoires qui n’ont plus aucune utilité au XXIème siècle.

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Cette étude ne démontre-t-elle pas que nous passons notre temps à nous « compliquer la vie » en cherchant des recours supplémentaires alors qu’avec un peu de bons sens, une opportunité originale et moins complexe peut se présenter à nous ?

Christophe Rodo : Il y a plusieurs éléments qui pourraient peut-être expliquer pourquoi ce biais cognitif pourrait exister. Ces hypothèses sont préliminaires et d’autres études devront se pencher sur la question.

La première hypothèse serait que le fait d’ajouter quelque chose constitue un mécanisme qui serait cognitivement plus facile, plus aisé et qui serait moins coûteux. Pour pouvoir enlever un élément encore faut-il comprendre la structure de notre problème, en comprendre les différentes composantes pour savoir comment en en enlevant un on peut peut-être améliorer les choses. Prendre cet élément dans son ensemble et y apposer quelque chose de plus seraient peut-être des mécanismes moins coûteux.  

La deuxième possibilité pourrait aussi venir du fait que nous avons tendance à associer l’idée que le fait d’améliorer et d’augmenter est quelque chose qui est positif et qui ajoute un élément supplémentaire.  Lorsque l’on améliore, lorsque l’on va avoir tendance à vouloir augmenter, c’est cette idée d’ajouter qui va avoir peut être davantage une connotation positive alors que le fait d’enlever quelque chose, de supprimer un élément aurait peut-être une connotation négative. C’est ce qui ferait que lorsque l’on nous demande d’améliorer quelque chose, de proposer une solution pour améliorer, nous pourrions avoir tendance à aller vers une solution positive d’ajout plutôt que vers une solution que nous pourrions consciemment ou non associer à quelque chose de plus négatif.

On ne sait pas ce qu’il se passe réellement dans le cerveau. Si ce biais cognitif s’avère réellement solide et qu’il semble être présent à travers plusieurs cultures, qu’est-ce qu’il se passe réellement dans le cerveau ? Si nous proposons plus d’idées positives, c’est parce que de manière presque automatique nous avons plus tendance à choisir ces idées positives ou est-ce que de manière très basique, nous avons tendance à moins produire d’idées de soustraction ? Est-ce que c’est parce que nous avons plus d’idées et que nous avons plus tendance à nous orienter vers des idées d’addition ? Ou est-ce juste parce que, à la  base, notre fonctionnement cognitif fait que nous avons tendance à moins développer, à moins mettre en avant des idées soustractives.

Cette étude est extrêmement intéressante. Elle ouvre à énormément de questions.   

Que pourraient apporter les solutions soustractives ? Cet atout et cette réelle alternative peuvent-ils apporter des réponses à des maux de la société comme les difficultés en mathématiques, les difficultés liées à l’apprentissage, à la bureaucratie, aux décisions à prendre face à l’urgence climatique… ?

Christophe Rodo : Les chercheurs dans les toutes dernières lignes de leur étude mentionnent effectivement que l’existence d’un tel biais cognitif pourrait avoir un impact sur des événements comme la lourdeur bureaucratique, sur l’organisation du temps de travail ou même sur notre empreinte écologique sur le monde à travers l’idée que l’on est toujours dans cette structuration, dans ce mécanisme qui est de dire lorsque l’on me demande d’apporter une solution, ma solution est d’ajouter quelque chose plutôt que d’en retirer.

Potentiellement cela pourrait donc avoir un impact assez important. Il faut néanmoins rester cartésien et assez prudent. Il s’agit de quelque chose qui vient d’être découvert. C’est la première étude sur cette question. Il est important de poursuivre l’étude de cet élément pour voir s’il est réellement solide. On a un certain nombre d’exemples dans la littérature scientifique d’expériences folles qui montrent quelque chose de nouveau avec des résultats intéressants mais parfois ces études n’ont jamais pu être répliquées.

Michel Vigier : L’équipe de chercheurs qui a publié cet article dans Nature lève un coin du voile. Les mathématiques seraient-elles particulièrement concernées ? Devons-nous conserver ces petites roues, que sont les techniques opératoires de la multiplication et de la division ? Elles n’aident, en aucune façon, à la compréhension des notions mathématiques, multiplication et division, qui sont explicitées de façon beaucoup plus simples sous forme de tableaux. 

Soustraire ces techniques opératoires des programmes de mathématiques serait une simplification bienvenue.

D’un point de vue scientifique, quelles sont les perspectives dans le domaine de la recherche suite à cette étude ?

Christophe Rodo : Les chercheurs mentionnent dans la publication qu’ils sont en train de plancher sur la réplication de leurs données. Ils indiquent qu’ils commencent à avoir des données préliminaires sur une réplication de leurs travaux sur des populations au Japon et en Allemagne. Si de tels résultats sont publiés dans Nature, c’est qu’il s’agit de quelque chose d’assez novateur. D’autres équipes, d’autres chercheurs vont essayer de s’emparer de ce sujet pour tenter de le disséquer et de l’étudier afin de progresser encore plus dans ce domaine et sur cet élément.

Les chercheurs montrent aussi que derrière ce biais cognitif, il ne faudrait pas faire le raccourci en disant que nous avons toujours tendance à proposer des solutions additives plutôt que des soustractives. Dans leurs données, les scientifiques montrent qu’il existe un pourcentage d’individus qui spontanément va proposer des solutions soustractives. Les chercheurs montrent que la proportion des individus qui proposent des solutions soustractives peut être augmentée dans certaines conditions, notamment lors de la demande ou lors de l’énoncé du problème.

Ils montrent aussi que ces pourcentages d’individus qui vont proposer des solutions soustractives ont tendance à augmenter si les individus peuvent avoir plusieurs essais. Ils parlent du fait également que si les personnes sont engagées dans un processus cognitif et qu’on leur fait faire une autre tâche en même temps, cela réduit les solutions soustractives. Cela renverrait à l’idée que proposer une solution soustractive serait peut-être cognitivement plus lourd, plus demandeur en ressources.

La probabilité et la proportion d’individus qui peuvent s’engager dans une solution soustractive peuvent aussi être influencées par le fait que dans le problème et dans la situation qu’on leur propose, il y a un élément anormal et superflu, il y a donc plus de tendances à ce que cet élément soit éliminé.   

Christophe Rodo est Neuroscientifique et vulgarisateur. Son podcast "La Tête Dans Le Cerveau » est à retrouver à cette adresse : cliquez ICI

Michel Vigier a publié, avec Jean-François Beau, "La méthode des abaques" aux éditions Eyrolles et accessible sur le site des éditions Abacus

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