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Cessez-le-feu commercial entre les États-Unis et la Chine : Trump 1, Pékin 0 (Europe combien ?)
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Le match de l'année

La première manche a été remportée par le président américain. Mais attention à la suite !

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Après une période d'opposition qui a duré quelques mois, Washington et Pékin seraient en passe de s'accorder sur la question de leurs relations commerciales, la suspension par les deux parties des mesures protectionnistes mises en place marquant une forme d'étape intermédiaire. A ce jour, qui de Pékin ou de Washington a gagné le plus de cette opposition ? ​

Rémi Bourgeot : En attendant le détail de l’accord, on peut déjà noter que le scénario de la guerre commerciale ouverte, mis en avant par de nombreux commentateurs, était en décalage avec la réalité de l’enjeu. Outre les répercussions pour l’économie mondiale, la Chine ne pouvait naturellement pas se permettre de refuser de négocier avec les Etats-Unis. Certes l’excédent commercial chinois, à environ 2% du PIB, a nettement reculé ces dernières années, mais il reste considérable vis-à-vis des pays développés et en particulier des Etats-Unis, à 375 milliards de dollars en ce qui concerne les marchandises.

La Chine a très fortement intérêt à un accord qui consiste non pas à subir par la force un abaissement de ses exportations vers les Etats-Unis mais à augmenter ses importations de produits américains. Les éléments dévoilés ces derniers jours vont clairement dans ce sens. L’idée de réduire le déficit bilatéral de 200 mds, qui a été exprimée côté américain, apparait difficilement atteignable par ce biais. La principale faille de l’approche politique de Donald Trump dans les négociations commerciales consiste à annoncer des mesures très larges avec grandiloquence, d’engager une négociation rapide, puis de se contenter de peu. Cet épisode de « guerre commerciale » a permis de confirmer que les négociations commerciales, notamment bilatérales, sont à l’ordre du jour pour rééquilibrer les échanges mondiaux, en particulier avec la Chine. Cela ne signifie pas nécessairement pour autant que la démarche de Trump est couronnée de succès. L’idée d’augmenter massivement les exportations agricoles et d’énergie des USA vers la Chine semble être au cœur de l’accord. On voit évidemment une asymétrie ici sur le plan technologique. La clé du rééquilibrage pour les pays développés ne consiste évidemment pas à exporter plus de biens à faible contenu technologique vers la Chine tout en important des biens de plus en plus avancés. Si un rééquilibrage du montant général du solde bilatéral est bienvenu, notamment du point de vue macrofinancier, la nature précise de ce rééquilibrage est encore plus importante. 

Alors que les détails de la négociation devraient être rendus publics dans les prochains jours, quels seront les points les plus importants concernant ces négociations ? Les deux parties peuvent-elles être gagnantes ? 

Il est évident que cette stratégie concentrée sur ces deux secteurs est insuffisante pour pratiquer un rééquilibrage général, au vu des montants des échanges bilatéraux dans les domaines agricole et énergétique et ne serait-ce qu’au vu de la production américaine dans ces secteurs en comparaison de l’ampleur du déficit bilatéral. Naturellement, alors qu’on craignait des mesures de rétorsions chinoises ciblant l’électorat rural de Trump, la focalisation de l’accord sur l’agriculture et l’énergie lui est politiquement favorable.

Au-delà des mesures de rééquilibrage plus ou moins directes et de l’accès au marché domestique chinois, la question de la propriété intellectuelle est par ailleurs essentielle. Il a été indiqué que cette question serait traitée dans l’accord, mais reste à savoir quels sont les moyens prévus à cet effet.

Les deux parties devraient être gagnantes d’une façon ou d’une autre par rapport au scénario d’une guerre commerciale. Par rapport au statu quo précédent, même sans mesures très approfondies, les Etats-Unis devraient désormais au moins avoir les moyens de faire davantage pression sur Pékin sur la question de la propriété intellectuelle et des investissements chinois. Il ne faut naturellement pas s’attendre à un accord véritablement définitif qui réglerait tout, loin de là. Il s’agit plutôt de mettre les sujets sur la table. Etant donnée que la voie d’un rééquilibrage immédiat est inaccessible aussi bien sur le plan économique que politique, les Etats-Unis auraient beaucoup à perdre si Donald Trump voulait à tout prix s’entêter à déclarer victoire pour passer à un autre sujet, au lieu de développer une véritable stratégie de rééquilibrage commercial de long terme, en particulier sur le plan technologique.

Alors que les Européens avaient pu se positionner comme les défenseurs du marché libre, en s'opposant aux mesures protectionnistes de Donald Trump, comment pourrait évoluer la situation après un tel accord entre Washington et Pékin ? 

Les pays européens se plaignent pour la plupart des mêmes déséquilibres avec la Chine que les Etats-Unis, aussi bien sur le plan de la balance commerciale que des transferts de technologie et la politique active de rachat d’entreprises occidentales par la Chine. Les Européens vont devoir approfondir leurs propres négociations avec Pékin sur ces sujets. Si Trump se contente d’un accord surtout symbolique pour crier victoire cela serait très défavorable non seulement aux Etats-Unis mais aussi à l’Europe dans ses négociations avec la Chine. Il est nécessaire de coordonner une véritable approche de rééquilibrage de long terme. Les pays développés doivent créer un cadre propice au déploiement de leurs entreprises technologiques en les incitant à ne pas se focaliser sur le simple modèle de la vente de données personnelles. Cela nécessite notamment d’apaiser leurs craintes d’être systématiquement privées du bénéfice de leurs efforts de recherche.

Par ailleurs, on pourrait voir Trump réorienter ses critiques contre l’Allemagne. S’il a moins pris pour cible l’Allemagne au cours de la période durant laquelle il s’est focalisé sur la Chine, le sujet n’en demeure pas moins au cœur des préoccupations commerciales américaines. Le sujet est néanmoins rendu plus compliqué par les investissements importants des entreprises automobiles allemandes dans le Sud des Etats-Unis où elles ont bâti d’importants centres d’assemblage et de réexportation.

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