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Ces véritables causes des inégalités sur lesquelles le gouvernement ferait bien de se pencher au lieu de ne s’intéresser qu’aux salaires des grands patrons
©REUTERS/Eduardo Munoz

Oh la lune ! Non, c’est mon doigt

Voilà maintenant plusieurs décennies que les inégalités ne cessent de s'accentuer entre les individus. Un phénomène aggravé par la financiarisation des marchés, et de l'économie dans son ensemble, qui assure la toute-puissance du capital au détriment du travail.

Louis Maurin

Louis Maurin

Louis Maurin est directeur de l’Observatoire des inégalités.  

 
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Atlantico : Le salaire des grands patrons est une nouvelle fois au coeur de l'actualité, entre les différentes annonces des semaines passées, notamment relatives au salaire de carlos Ghosn et la déclaration, ce jeudi 19 mai, de Manuel Valls qui annonce qu'il est temps de légiférer. Quelle est la cohérence du gouvernement sur ce sujet, notamment après le feuilleton de la taxe à 75% ?

Louis Maurin :Le gouvernement ne mène effectivement pas une politique claire, en matière de lutte contre les inégalités. Les discours des uns et des autres, les nombreux retournements... Tout cela contribue à complexifier la route suivie. En 2012, même si ce n'était pas exactement le même gouvernement, il était question de taxer les plus riches. Cela a été suivi par le ras-le-bol fiscal qu'on sait. Désormais, il est de nouveau question de taxer les plus aisés. A l'évidence, il n'est pas simple de suivre tout cela. 

Soyons clairs : l'attitude actuelle du gouvernement est liée à des pratiques de rémunération tout à fait insupportables. Dans le contexte actuel, certes, mais pas seulement ! Une société dans laquelle on accepte que des gens touchent annuellement plusieurs siècles de SMIC est une société qui ne peut pas aller bien. On évoque souvent la nécessité de cours de morale pour les jeunes issus de cités. Pourtant de nombreux dirigeants, sortis des plus grandes écoles de France, auraient bien besoin de ces mêmes leçons.

On peut bien sûr dénoncer l'inconsistance du gouvernement sur ce sujet, mais il est important aussi de souligner qu'il n'est pas le seul à l'être. La première inconsistance, même, est celle de la classe dirigeante qui a perdu le sens des valeurs morales. Il ne s'agit pas (seulement) des "supers-dirigeants", mais aussi de chefs d'entreprises moins conséquentes. Tous ceux qui profitent, dans tous les secteurs, d'une rémunération complètement décalée rapportée à celle de la main d’œuvre qu'ils embauchent et utilisent.

Néanmoins, il est évident que flexibiliser le marché du travail et se plaindre des rémunérations patronales les plus élevées relève de la contradiction politique majeure. Il faudrait agir d'abord sur la sécurisation des parcours des plus jeunes, sur le développement de l'emploi... Le gouvernement manque d'une boussole, ne sait pas où il va. Clairement, et en dépit de l'aspect réel du problème, le gouvernement fait face à un problème de valeurs, mais aussi de ligne politique. 

Le gouvernement ne succombe t il pas aux symboles des inégalités plutôt qu'aux causes réelles ?

Le gouvernement, en se focalisant sur ces salaires ; tout aussi indécents qu'ils soient, ne voit pas l'ensemble du problème. Toute une partie des catégories aisées joue à montrer du doigt les plus riches qu'eux. Le CAC 40 représente 40 patrons. Le problème des inégalités ne s'arrête pas à eux, il n'est pas uniquement là. Il est beaucoup plus large.  A 4000 euros de revenu mensuel, il est toujours possible de se faire plaisir en pointant du doigt le voisin qui touche 40 000, lequel fera de même pour celui qui percevra 400 000, et caetera. Mais gardons à l'esprit qu'aujourd'hui, en France, pour faire parti des 10% les plus riches du pays il suffit de gagner 3000 euros par mois, impôts et prestations compris. La question de la solidarité ne se limite pas du tout à cette attitude qui consiste à dénoncer une poignée de grands patrons. Au contraire, la question de l'inégalité commence bien en dessous de ces salaires mirobolants, et se pose à tous les échelons de la vie en entreprise. Se focaliser sur les supers-riches (ce qu'il faut bien entendu faire, il faut également agir sur ce problème) relève de la démagogie dès lors qu'on ne va pas plus loin et qu'on ne joue pas également sur les autres leviers. Le CAC 40, c'est l'arbre qui cache la forêt.

Il est important de se méfier du simplisme. Que l'action de ce gouvernement, comme celle du précédent, en matière de lutte contre les inégalités soit très loin d'être à la hauteur de la situation constitue une évidence globalement incontestée. Cette action se traduit par des réformes fiscales, des réformes de l'éducation, du marché du travail (il n'est évidemment pas uniquement question des inégalités de revenus). Comme nous l'avons souligné, de plus, il devient difficile de dire ce que fait précisément le gouvernement (puisqu'il fait tout et son contraire...). On peut simplement dire de cette action qu'elle n'est absolument pas à la hauteur de celle qu'il faudrait mener : sacrifier 46 milliards d'euros par an dans le Pacte de Responsabilité est une pure folie. Dans l'état actuel de la France, privilégier les profits des entreprises (au détriment des difficultés sociales, des gens dans la rue, etc...) sera retenu comme une faute majeure historique. 

Méfions nous, néanmoins, des discours très simples. Dans le cadre de la lutte contre les inégalités, plusieurs actions ont été entreprises par la droite hier, puis par la gauche aujourd'hui. C'est notamment le cas des travaux sur le temps partiel subi, le compte pénibilité, le recul des inégalités homme-femme, de la discrimination... N'oublions pas la qualité de notre modèle social. Beaucoup de choses se font dans notre pays, sans même évoquer tout ce qui se fait à des niveaux plus locaux. Il va de soi que nous sommes loin d'être arrivés au bout de nos peines, mais on ne peut pas se cantonner à une vision simpliste de la question. Oui, l'action de la majorité actuelle n'est pas à la hauteur. Non, on ne retiendra d'eux aucune conquête sociale majeure.

Il est primordial de ne pas oublier que de ces deux actions (sur le salaire des supers-riches, mais aussi sur les leviers relatifs aux inégalités) l'une n'empêche pas l'autre. Ces deux actions peuvent être complémentaires. 

Je crois que les gens qui profitent le plus du système aujourd'hui devraient se méfier. La situation attise les tensions - et il n'est pas question des seuls casseurs, mais bien de tout ce que l'on peut constater dans la rue. Une certaine catégorie de privilégiés, qui ne se limite évidemment pas aux grands patrons (les inégalités commencent bien avant) sait pertinemment les risques de la politique qu'elle mène (comme en témoignent, notamment, les systèmes d'assurance dont ils s'entourent). Ce pseudo-libéralisme est, par ailleurs, assez insupportable : l'attitude de cette classe dirigeante n'est pas conséquente, en cela que s'ils étaient véritablement libéraux ils agiraient autrement. Les systèmes de protection et de couverture sont, en effet, loin d'être cohérents avec leur propre discours. Nous ne parlons pas de droite ou de gauche : de plus en plus de conservateurs ne supportent pas non plus l'inconsistance de ces dirigeants, laquelle dépasse l'entendement. C'est là qu'on fait le lit des extrêmes, qu'on les nourrit, qu'on créé la tension. In fine, c'est moins le niveau des inégalités que le décalage entre les discours et les actes, les leçons de morales qui sont faites à différentes catégories de la population (comme les jeunes) qui génèrent ce sentiment. D'autant plus que, compte-tenu de l'attitude des catégories dirigeantes en France aujourd'hui, tout cela pourrait largement faire l'objet de méditations... Ces pratiques ne sont pas pires que celles d'hier ; elles sont simplement plus visibles. Ce qui les rend nécessairement moins acceptables aux yeux de l'opinion.

Dans un article publié cette semaine sur le site Bloomberg, l'économiste Branko L. Milanovic a exposé, selon lui, les 5 facteurs explicatifs de l'accroissement des inégalités. Nous avons demandé à Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités, son analyse sur chacun des 5 facteurs présentés. 

1) Une part de plus en plus importante du revenu national revient aux détenteurs du capital

Le principal élément explicatif réside dans la financiarisation des marchés et l'explosion des marchés financiers. La mondialisation incite ces marchés à demander des rendements de plus en plus élevés en se basant sur les niveaux de rendements les plus hauts de la planète. Il faut aussi prendre en compte l'éclatement du marché du travail qui fait que la part revenant au travail se réduit au détriment de la part qui va au capital. En entreprise, dans tous les pays, le rapport entre travail et capital est totalement déséquilibré quoi qu'on en dise, et ce au détriment des salariés. Cette force du capital lui permet ainsi de demander des rendements toujours plus élevés, au détriment du travail - du travail non-qualifié pour être précis car le travail qualifié, lui, génère des salaires toujours plus élevés. 

2) Les revenus sont de plus en plus générés par les détenteurs du capital

Cela renvoie directement au phénomène de concentration des revenus du capital. Mondialisation, ralentissement de l'économie et crise de l'emploi font que cette concentration des revenus du capital est de plus en plus importante. 

3) Les personnes qui occupent les emplois les mieux rémunérés sont celles qui possèdent également les plus hauts revenus générés par le capital

Parce que les rendements du capital sont de plus en plus élevés, forcément les détenteurs du capital ont des revenus de plus en plus élevés. Cette élévation des rendements du capital fait que la part des salariés de haut niveau de vie est également la mieux payée. Ceci s'explique par leur proximité avec le capital, même s'ils n'en sont pas détenteurs. Il y a une transformation du capitalisme où tout un ensemble de dirigeants, qui ne sont pas détenteurs du capital, profitent de ses effets. Le cas de la France est assez représentatif de cette transformation, où un certain nombre de personnes touchent des salaires très élevés rapportés à ceux des classes populaires, avec des écarts de plus en plus considérables. Les effets d'interconnexion sont à l'origine de ce phénomène : on l'a bien vu récemment avec les rémunérations patronales. Vous avez des décisions d'Assemblée générale qui ne sont pas respectées, comme ce fut le cas au sujet de la rémunération du PDG de Renault, quand ce n'est pas le Conseil d'administration qui décide d'aller à l'encontre de l'Assemblée générale des actionnaires. Nous sommes dans un système libéral qui ne l'est plus, et qui permet à une poignée de s'enrichir de façon éhontée. Ceci devrait même inquiéter ceux qui profitent du système vu le niveau de dérives actuel.

4) Les personnes à salaires élevés ont tendance à se marier entre elles

Ceci est très peu souligné en France, à l'inverse des Etats-Unis. Dans un système où il semble qu'on continue à se marier entre personnes de même classe - bien que cela semble légèrement diminuer - et où les femmes ont des carrières de plus en plus complètes, on voit effectivement se former des couples de plus en plus semblables. On pourrait citer un autre facteur démographique aggravant les inégalités : celui des familles monoparentales. Beaucoup de femmes se retrouvent seules avec leurs enfants, voyant leurs revenus diminuer considérablement du fait de pensions alimentaires non-payées et que la redistribution est mal organisée par le système. Ainsi, les femmes voient leurs revenus diminuer tandis que ceux des hommes se maintiennent. 

5) Le pouvoir politique des riches ne cesse de croître 

Fondamentalement, on en revient au rapport entre le capital et le travail. On peut signaler d'autres effets comme la surmédiatisation qui génère un besoin de marques, mais qui sont un peu des phénomènes rapportés au partage de la valeur ajoutée globale. Ce phénomène de surmédiatisation que l'on retrouve dans le sport, le spectacle, etc., fait qu'il y a une classe de personnes extrêmement riches, qui deviennent en même temps des marques. Puisque nous achetons des marques et qu'elles incarnent donc ces marques, ces personnes pèsent des fortunes colossales qui sont incompréhensibles pour l'opinion. 

D'autres facteurs sont à prendre en compte pour expliquer les inégalités, comme la destructuration liée à la perte du pouvoir des syndicats dont l'offre apparaît actuellement inadaptée en France. La division et la politisation syndicales font que les syndicats ont perdu du terrain. En France, le salarié qui n'est pas syndiqué bénéfice de ce qu'un salarié syndiqué a négocié, ce qui est extraordinaire. 

Pour finir sur l'éducation, dans nos sociétés où le diplôme est de plus en plus important, celui qui est doté du capital scolaire a une légitimité très forte en matière d'inégalités. Son diplôme légitime un travail personnel, individuel. En France, entre celui qui a réussi dans l'entreprise et celui qui a un diplôme, ce dernier aura une légitimité plus forte. Ceci explique que nous retrouvions aux plus hauts postes en entreprises des personnes surdiplômées, de même pour ce qui est des postes politiques comme celui de conseiller ; c'est un phénomène caractéristique de la France.

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