Ces sondages qui révèlent en creux l’opinion des Russes sur Poutine et la guerre en Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Le président russe Vladimir Poutine prononce son discours annuel sur l'état de la nation au centre de conférence Gostiny Dvor, à Moscou, le 29 février 2024.
Le président russe Vladimir Poutine prononce son discours annuel sur l'état de la nation au centre de conférence Gostiny Dvor, à Moscou, le 29 février 2024.
©GAVRIIL GRIGOROV / AFP

Prudence

Selon une récente enquête d’opinion conduite en Russie par le projet Chronicles, 58% de Russes souhaitent un cessez-le-feu avec l'Ukraine, mais seulement 29% l'attendent de Poutine. 51% veulent restaurer les relations avec l'Ouest, mais 28% estiment que Poutine le fera.

Galia Ackerman

Galia Ackerman

Galia Ackerman est docteure en histoire et chercheuse associée à l'université de Caen, Galia Ackerman est spécialiste de l'Ukraine et de l'idéologie de la Russie post-soviétique. Elle a été journaliste à RFI et à la revue Politique internationale. Elle est notamment l'auteure, aux éditions Premier Parallèle, de Traverser Tchernobyl (2016, rééd augmentée 2022). Elle a cofondé la revue Desk-Russie. Elle a également dirigé le numéro 77 de La Règle du jeu consacré à l'Ukraine (octobre 2022). 

Voir la bio »

Atlantico : La dernière enquête d’opinion conduite en Russie par le projet Chronicles apporte un éclairage sur le contexte électoral russe. Aujourd'hui, n’y a-t-il pas un décalage entre la politique que pourrait mener Vladimir Poutine en cas de réélection et les réelles envies des Russes, notamment sur la guerre en Ukraine ? Que faut-il penser des résultats de ce sondage ? Les Russes veulent-ils la fin de la guerre en Ukraine tout en sachant que cela ne sera pas possible en cas de nouveau mandat de Poutine ?

Galia Ackerman : Les Russes sont assez fatalistes. Ils ont bien compris que pour leurs intérêts immédiats, il serait préférable que cette guerre s'arrête. Le conflit a un impact sur la société russe. Pour certains, cela va les contraindre à être mobilisés sur le front. Certains seront tués ou handicapés à vie. Il y a aussi des limitations de toutes sortes. Les Russes ont été exclus du système bancaire international. Il est beaucoup plus difficile pour les petites gens de réussir à contourner le poids des sanctions financières, seules les grandes entreprises liées à l'État savent très bien échapper à ces mesures de restrictions. Les Russes ont plus de difficultés pour commander des marchandises à l'étranger, pour voyager dans d’autres pays, pour avoir accès à certains médicaments, pour utiliser sa carte bancaire ou convertir des devises. Beaucoup de Russes estiment qu’il serait bénéfique que la guerre s’arrête.

Le candidat malheureux Boris Nadejdine pour l’élection présidentielle a eu une certaine popularité. En cas d’autorisation à participer au scrutin en tant que candidat, il aurait pu récolter entre 10 et 15 % des voix, ce qui est énorme. Cela aurait fait une vraie concurrence à Poutine. Si vous étudiez son programme, il était pour l'arrêt immédiat de la guerre. C'est probablement ce que veulent beaucoup de Russes. Mais il ne voulait absolument pas revenir aux frontières internationales, c'est-à-dire rendre à l'Ukraine les presque 20% de son territoire qui ont été occupés et annexés. Les Russes ont une sorte de matrice impérialiste qui d'une part les incite à vouloir que le conflit s'arrête car cela les dérange pour toutes sortes de raisons que je viens d'évoquer. En même temps, il n'est pas question de rendre aux Ukrainiens une partie de leur territoire. Cela ne veut pas dire qu'ils comprennent que cette guerre est injuste et qu'ils sont prêts à se plier à la logique du droit international. Les Russes savent très bien que Poutine veut continuer cette guerre et qu'il ne s'arrêtera pas. L’idée de la fin de la guerre relève un peu de la pensée magique.

Malgré la propagande russe, les Russes aimeraient faire la paix avec l'Occident et se rapprocher de l'Occident. L'antagonisme ne vient-il pas plutôt du côté des Occidentaux qui, eux, ne veulent pas faire la paix avec les Russes ?

Cela correspond en réalité à la propagande anti-occidentale qui est véhiculée par les médias propagandistes russes. Le but est de créer chez les Russes un sentiment que tout le monde les déteste mais la question concernant les racines de cette haine n’est pas posée. Il n'y a pas, dans la propagande, de liens entre la cause et les faits, à savoir qu'il y a de nombreux accords de coopération culturels, scientifiques avec les Russes qui ont été rompus mais cela n'était pas motivé par un sentiment de russophobie. La russophobie est un terme absurde. Ces décisions et les critiques émises par les puissances occidentales à l’égard de la Russie sont intervenues car le pouvoir russe a décidé d’attaquer et continue d'agresser un pays qui ne lui a strictement rien fait.

Ce constat est aussi très exagéré car on inculque aux Russes le fait qu’ils soient détestés en Occident car les Occidentaux ne voudraient pas que les Russes deviennent forts, que l’objectif serait de détruire la culture russe, de l’annihiler. Vladimir Fédorovski a notamment expliqué sur le plateau de LCI qu’il y a une russophobie, que l’on interdit Dostoïevski et cela expliquerait pourquoi le peuple russe se soude autour de Poutine ». Mais en réalité, personne n'a interdit Dostoïevski, personne n'a interdit la culture russe. Il n'y a pas eu d’interruptions des ventes ou de censures vis-à-vis des livres russes en librairies. Des nouveaux livres d'auteurs russes continuent à être publiés en France.

La réalité en revanche est que l’Occident ne veut pas coopérer avec le régime de Poutine et avec ceux qui représentent ce régime. Il y a un chef d'orchestre très connu internationalement, Valery Gergiev, qui est un des piliers idéologiques du régime russe, toujours fidèle à Poutine. Il n’est plus invité en Occident mais nous n’avons pas arrêté de jouer les œuvres de compositeurs russes. En ce moment au théâtre des Champs-Elysées, il y a l'opéra de Moussorgski, « Boris Godounov », dans la mise en scène d'Olivier Py. Il y a des critiques extrêmement positives et élogieuses de ce spectacle. Ce sont les Russes qui en réalité sont en train de détruire leur propre culture. Le régime de Vladimir Poutine est en train de détruire la culture russe. Boris Akounine, l'écrivain très connu, qui vit depuis longtemps en Occident, en France, s'est prononcé contre la guerre en Ukraine. Depuis ses déclarations, toutes ses œuvres, qui ne sont même pas liées à l'actualité, mais qui sont des sortes de polars historiques, sont interdites désormais en Russie. La Russie interdit ses propres écrivains. Il y a maintenant une liste de 252 œuvres russes et étrangères qui sont interdites. Les bibliothèques ne doivent plus proposer un certain nombre d'œuvres d'auteurs russes et étrangers, dont d'ailleurs un roman de Dostoïevski et l'un des plus célèbres livres de la littérature mondiale, « Le portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde, sous prétexte de propagande LGBT. C’est bien la Russie qui plonge dans l'obscurantisme. Le régime russe plonge la Russie dans l'obscurantisme et accuse l'Occident de russophobie. C'est ce régime qui est russophobe.

La grande victoire de la propagande russe n’est-elle pas celle de l'adhésion à la guerre, car au vu des études indépendantes menées en Russie, l’adhésion à la guerre n’est pas aussi unanime ? Suite à l’action de la propagande, la guerre est là et de toute façon elle est inévitable. Même si un autre candidat que Vladimir Poutine remportait l’élection, les Russes n’ont-ils pas l’impression qu’ils seraient obligés de continuer la guerre ?

Il ne faut pas oublier que la guerre a commencé en 2022 mais que l'annexion de la Crimée et que la guerre de Donbass remonte déjà à 2014, cela fait maintenant 10 ans. Même avant cela, de façon systématique, la Russie s'est préparée à la guerre et a préparé sa population à la guerre. La réforme de l'armée, qui l'a transformée en une armée plus moderne et plus combative, a commencé en 2009. La préparation idéologique à la guerre a commencé en 2012. La militarisation de la société s’est traduite par divers moyens, par la création d'organisations militaires ou patriotiques, par l'embrigadement de la jeunesse, et par la thèse qui est en vigueur depuis plusieurs années que la Troisième Guerre mondiale est inévitable et que la Russie doit être prête à la guerre. L'Ukraine est considérée comme un pion occidental qu'il faut absolument éliminer aux frontières russes mais cette guerre n’est pas expliquée de façon honnête. En réalité, l’Ukraine est nécessaire à la Russie. Sans l’Ukraine, l’empire ne peut pas être reconstitué. Sans l'Ukraine, la Russie est un tronc sans bras ni jambes. Les Ukrainiens ont toujours été la partie la plus travailleuse de la société soviétique. La grande partie du complexe militaro industriel se trouvait en Ukraine. Il y avait énormément d'ingénieurs et d’ouvriers qualifiés ukrainiens qui travaillaient aussi en Russie. Mais la société russe ne veut pas le reconnaître. Le discours explique que l'Occident menacerait la Russie. L'idée de l'inévitabilité de la confrontation avec l'Occident est inculquée à la population russe. Cette propagande a produit un effet d'intériorisation de ce sentiment. Une grande partie des Russes pensent qu’ils sont entourés d'ennemis. Ils ont le sentiment d’être dans une forteresse assiégée et que donc la guerre est inévitable pour la nation. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !