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Une cliente teste un parfum dans un magasin à Covent Garden à Londres, le 15 juin 2020
Une cliente teste un parfum dans un magasin à Covent Garden à Londres, le 15 juin 2020
©AFP / TROFT AKMEN

A l’insu de notre plein gré

La recherche sur le comportement des consommateurs montre que les odeurs peuvent affecter ce que nous achetons et combien nous sommes prêts à payer. Une nouvelle étude a examiné les effets de l'odeur corporelle sur la vitesse à laquelle les consommateurs achètent des produits.

Olivia Petit

Olivia Petit

Olivia Petit est enseignante-chercheuse spécialisée en neurosciences et conduit des recherches en comportement alimentaire santé, marketing sensoriel et sur l'impact des nouvelles technologies (Réalité Virtuelle/ Réalité Augmentée) sur le consommateur. Les travaux d'Olivia Petit ont obtenu plusieurs prix (Nestlé Fondation, EMAC Mc Kinsey), ont été publié dans de nombreuses revues académiques (Brain & Cognition, Food Quality & Preference, Journal of Retailing; Psychology & Marketing) et médiatiques (ARTE, France 5, France 2, Harvard Business Review).

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Atlantico : De nombreux travaux établissent un lien entre les odeurs et le comportement des consommateurs face à des produits de consommation. Dans quelle mesure une odeur peut-elle influencer nos achats et le prix que nous sommes prêts à débourser pour un produit ? Comment expliquer ce lien ?

Olivia Petit : L’odeur affecte notre comportement pour une raison anatomique. Les zones du cerveau qui traitent les informations liées à l’odeur sont très proches anatomiquement parlant des zones liées à la mémorisation et à l’apprentissage. C’est pour cela qu’un des signes précurseurs de la maladie d’Alzheimer est la perte de l’odorat. Il y a un lien très fort entre la mémorisation et les odeurs.

C’est pour cela que l’odeur est extrêmement intéressante sur le plan marketing. Il s’agit de l’effet madeleine de Proust. Une étude a montré que si nous sommes capables de reconnaître les images que l’on nous a présentées à 99% juste après exposition. Après 4 mois, le taux passe à 58%. Pour une odeur, juste après nous sommes à 70%  mais un an après nous sommes à 65% de mémorisation. Il y a très peu de pertes d’informations. Les souvenirs liés à l’odeur sont beaucoup plus détaillés que les souvenirs liés à la vision. Et ils sont beaucoup plus anciens. Il y a un effet très fort en termes de mémorisation lié à l’odeur. Nous sommes bien mieux capables de mémoriser de l’information lorsque l’on est stimulé au niveau olfactif.

Notre cerveau va réagir d’autant plus lorsqu’il reçoit des informations qui sont cohérentes dans différentes modalités sensorielles. Lorsque vous diffusez une odeur qui est cohérente avec le produit, avec le consommateur, avec le magasin, cela va créer un système d’alerte dans le cerveau qui va permettre d’éclairer sur l’information qui est la plus importante. Cela va engager davantage le cerveau à traiter l’information. En termes de résultats de comportement de consommation, on découvre que lorsque l’on a une odeur cohérente avec le produit, il est mieux évalué par le consommateur. Il y a aussi un effet sur la perception de la qualité du produit.

Dans des magasins, une étude a démontré que lorsqu’il y a une odeur qui est cohérente avec le genre, une odeur de vanille dans un magasin pour femmes et des odeurs plutôt musquées dans un magasin d’hommes, les ventes doublent simplement par ce phénomène-là. Cette cohérence crée de l’attention et de l’évaluation positive pour notre cerveau. Nous sommes alors beaucoup plus tentés d’acheter les produits.

Certaines odeurs ont un impact sur les sentiments. Les agrumes par exemple sont énergisants et excitants. Cela ne crée pas le même comportement que si vous utilisez une odeur de lavande qui va être plus relaxante. Cela a aussi un effet sur le comportement du consommateur.

Avec une odeur de lavande dans un magasin, le client va passer beaucoup plus de temps sur place que si vous aviez une odeur de citron.    

Des chercheurs de l'Universitat Politécnica de Valencia ont recueilli les odeurs corporelles de personnes placées dans des conditions qui les rendaient heureuses, effrayées ou détendues. Quelles sont leurs découvertes ? À quel point est-ce surprenant ?

Pour la première fois, une étude, publiée dans Nature, a été menée sur les odeurs corporelles en marketing. Cet effet d’intégration multi-sensoriel crée une alerte au niveau du cerveau. Les odeurs sont utilisées pour nous alerter ou nous indiquer le genre de la personne, sur la santé de l’individu, s’il y a une compatibilité sexuelle. L’odeur corporelle crée une alerte sociale. Cela fait prendre conscience à votre cerveau qu’il est dans un contexte social de décisions qui intègrent les autres. Un système de performance se met en place et cela nous pousse à prendre des décisions plus efficaces.

Les résultats de cette étude montrent que les temps de réaction pour choisir un produit étaient beaucoup plus courts. Il y avait une efficacité dans la prise de décision bien plus importante dans un contexte où il y avait une odeur corporelle.

Le marketing sensoriel est étudié depuis les années 1930. Ce marketing s’est véritablement développé dans les années 1990. Beaucoup de marques aujourd’hui font des campagnes ponctuelles ou récurrentes liées au marketing olfactif. Certaines marques souhaitent développer une signature olfactive comme Abercrombie & Fitch qui a son propre parfum associé à ses produits. Cela joue sur l’attachement et la loyauté à la marque. Novotel, Zadig & Voltaire ou le Crédit Agricole ont proposé une signature olfactive pour leur espace.

Certaines marques utilisent les odeurs pour créer une atmosphère comme Nature et Découvertes. L’utilisation d’une odeur de cèdre, relaxante, va contribuer à ce que le client passe plus de temps dans le magasin.

Dans le domaine alimentaire, l’attraction olfactive est très forte pour donner envie aux consommateurs de venir manger. McDonald’s utilisait ce dispositif pour ses frites. Il y a aussi les diffusions d’odeurs de café, de croissant dans les boulangeries pour attirer les clients. Des campagnes marketing ont été menées comme cela, notamment la marque Harry’s qui diffusait l’odeur de pain chaud lors d’opérations dans des gares.

L’un des exemples les plus emblématiques et les plus particuliers du marketing olfactif vient de Corée du Sud avec Dunkin’ Donuts. La firme souhaitait changer la perception qu’avaient les consommateurs  de la marque, afin qu’ils ne viennent pas uniquement pour manger des donuts mais également pour commander du café. Dans les bus de la ville, à chaque fois que le jingle de la marque passait à la radio, une odeur de café était diffusée pour créer une association inconsciente chez le consommateur avec la marque. A la sortie du bus, il y avait des panneaux indiquant le Dunkin’ Donuts le plus proche. Cette campagne a très bien fonctionné. Dunkin’ Donuts a augmenté les visites de 16% et les ventes de café ont bondi de 29% dans les magasins sud-coréens suite à la campagne.

Le marketing olfactif peut donc aider à changer la perception de la marque.

Dans le cas de Dunkin’ Donuts, il s’agit de marketing supraliminal. Vous sentez l’odeur de café mais vous ne percevez pas la volonté marketing derrière, ni qu’elle tente de vous faire associer cette odeur avec la marque. Cette méthode est interdite en France. 

À quelle fréquence les industriels utilisent les odeurs pour influencer le comportement des consommateurs ? Est-ce une pratique répandue en France ?

Le marketing olfactif est une stratégie qui est mieux connue et davantage utilisée de nos jours. Les odeurs sont de plus en plus propagées pour attirer le client (pour les boulangeries et les parfumeries notamment). Cela s’inscrit dans une volonté de créer du marketing multi sensoriel afin de concevoir une atmosphère dans un lieu avec une odeur, des couleurs, une musique spécifique.

Les marques souhaitent aussi se créer une signature olfactive qui leur est propre. Cela génère une association forte en mémoire.

Il y aussi certains travers dans cette pratique. Certains magasins comme Lush ou Sephora ont tendance à abuser du marketing sensoriel avec des odeurs très prononcées. Les clients peuvent avoir l’impression d’être surchargés. La surstimulation olfactive a quand même un impact négatif sur le consommateur. Il y a donc une limite au marketing olfactif. Si vous souhaitez acheter un parfum à Sephora, après avoir testé plusieurs parfums, vous êtes surchargés.

Il y a également actuellement toute une réflexion autour du metaverse. Des compagnies développent des systèmes de réalité virtuelle qui intègrent des odeurs. La diffusion d’odeurs par les marques dans cet univers-là est une méthode originale et qui est à l’étude actuellement. Les enseignes songent à développer ce procédé pour des expériences immersives en magasin avec des diffusions d’odeurs personnalisées. Cette tendance crée de l’expérientiel à travers les nouvelles technologies pour aider l’acheteur à se projeter sur une consommation future. Cela est développé pour les hôtels, le tourisme ou les expériences de luxe afin de permettre au futur client de se projeter dans sa chambre ou à la plage grâce à la réalité virtuelle. Des technologies sont en cours de développement pour intégrer l’odeur et afin d’étudier l’impact que cela aurait sur le consommateur. 

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