Ces énergies fossiles auxquelles notre dépendance ne faiblit pas (Partie 2)<!-- --> | Atlantico.fr
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Une station de compression de gaz sur le terrain du gazoduc Baltic Pipe avant sa cérémonie d'ouverture à Budno, près de Goleniow, en Pologne, en septembre dernier..
Une station de compression de gaz sur le terrain du gazoduc Baltic Pipe avant sa cérémonie d'ouverture à Budno, près de Goleniow, en Pologne, en septembre dernier..
©STRINGER / AFP

Transition énergétique

Cette série de 4 articles vise à proposer un grand récapitulatif de la situation de la France vis-à-vis de l’énergie qu’elle consomme.

Clovis  Didry

Clovis Didry

Clovis Didry est enseignant de SVT et vulgarisateur scientifique - diplômé en aménagement du territoire et transition écologique de l'université Paul Sabatier.

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Suite de la série d’articles récapitulant tout ce qu’il faut savoir sur le rapport de la France à son énergie. Après avoir fait un premier tour d’horizon dans l’épisode précédent, dont je conseille la lecture pour bien avoir le contexte, cet article va se pencher sur le cas épineux des énergies fossiles.

Epineux car, est-il utile de le rappeler, la combustion de ces énergies est fortement émettrice de gaz à effet de serre au point que 75% de la totalité de nos émissions annuelles sont causées par cette combustion (le reste venant essentiellement de l’agriculture – élevage et dégradation des engrais azotés).

Quand on parle d’énergies fossiles on parle d’énergies issues de la fossilisation d’organismes vivants sur les temps géologiques (n’importe quoi entre 10 et 350 millions d’années pour ce qui nous concerne ici) soit le charbon (fossilisation de végétaux terrestres), le gaz et le pétrole (fossilisation de microalgues marines pour l’essentiel)

Nous aborderons chacune de ces 3 énergies dans cet article avec à chaque fois la description de notre consommation, de notre approvisionnement, des perspectives de ces 2 points. Alors commençons :

Gaz naturel, plutôt gaz fossile

Petite anecdote pour commencer. Savez-vous pourquoi on qualifie le gaz de « naturel » ? C’est parce qu’avant d’exploiter des gisements de méthane, le gaz utilisé provenait de la transformation du charbon. Il servait pour l’éclairage des villes et c’est son important usage à Paris lui a valu son surnom de ville lumière au XIXe siècle.

Or, pour faire ce « gaz de charbon » il fallait distiller du charbon dans des… usines à gaz, d’où l’expression populaire encore utilisée aujourd’hui. Avec le temps et la découverte de gisements de gaz, ce gaz de charbon, ou de houille, fini par être remplacé par du gaz directement issus de gisements, gaz non issu d’une transformation chimique humaine, gaz naturel donc.

À Lire Aussi

1700 TWh d’énergie finale consommée en France chaque année, mais de quelles sources les tirons-nous ? (Partie 1)

Cependant, par soucis de clarté sur ses impacts et vu les sous-entendus positifs entourant le mot « naturel » je parlerai à partir de maintenant de gaz fossile car s’il est naturel, au même titre que le charbon et le pétrole, c’est avant tout une énergie fossile participant au réchauffement climatique.

La consommation de gaz est globalement stable et provient de plusieurs fournisseurs

Si la consommation est en hausse par rapport à 1990, elle est néanmoins stable depuis le début des années 2000 autour de 500TWh suite à l’essor de son usage dans la production d’électricité qui est venu s’ajouter au chauffage des bâtiments et les procédés industriels comme la production d’engrais azotés vie la procédé Haber-Bosch.

Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr

Petite précision : l’usage de la catégorie « électricité-chaleur » vient du fait que plusieurs centrales à gaz sont couplées à des réseaux de chaleur urbain, la chaleur de la combustion servant à la fois à produire du courant et à chauffer de l’eau pour ces réseaux.

D’où vient ce gaz ? Nous importons 534 TWh de gaz de 6 principaux fournisseurs dont en premier lieu la Norvège puis, avant 2022, la Russie. Si l’Algérie comptait beaucoup dans nos importations, les volumes et la proportion sont en baisses depuis pas mal d’années maintenant.

Jusqu’à cette année la proportion de gaz naturel liquéfié, le fameux GNL transporté par méthanier, importé était de 20% contre 80% pour celui transporté directement par gazoduc depuis la Norvège, les Pays-Bas ou la Russie.

Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr

Environ 500TWh consommé, 534 importés… Il y a un os ! Ca s’explique assez simplement : la France réexporte de manière de plus en plus significative une partie de ses importations. Je n’ai malheureusement pas trouvé l’identité de nos acheteurs, j’émets l’hypothèse qu’il s’agit de transferts vers nos voisins pour équilibrer le réseau européen.

La France possède des stocks stratégiques de gaz encadrés par la loi.

Ce point a fait l’objet de nombreux questionnement ces derniers mois : aurons-nous suffisamment de stock de gaz pour passer l’hiver ? En effet, notre pays possède un volume stocké pouvant aller jusqu’à 130TWh soit environ 30% de notre consommation annuelle.

Ce stockage est essentiellement dans des couches géologiques particulières dont le nombre varie un peu suivant les sources, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) parle de 11 sites, ENGIE de 14.

Source : https://www.connaissancedesenergies.org/

Depuis 10 ans la France ne produit plus de gaz

Jusqu’en 2013 Elf Aquitaine puis Total ont exploité le gisement de Lacq dans le Béarn. Aujourd’hui le gisement est clos mais comme vous pouvez le voir, sa production était loin d’être anecdotique dans les années 70 -80 avec un pic avoisinant les 85 TWh en 1979.

Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr

Si la production de gaz fossile conventionnel est aujourd’hui au point mort, il existerait un potentiel de gaz non conventionnel loin d’être négligeable : je parle ici des fameux « gaz de schistes », qu’il faudrait plutôt nommer « gaz de roche mère », et des gaz de houille dans les anciens bassins charbonniers (vous savez, le fameux grisou).

Des permis d’exploitation avaient été donnés dans une vaste zone allant de Montélimar à Millau mais ils ont été abrogés pour des raisons écologiques. Ainsi, nous n’avons pas d’idée précise de la ressource potentiellement présente sous notre sol.

Pour résumer sur le gaz fossile : c’est une énergie fossile contribuant au réchauffement climatique. Les différents scénarios et programmations de transition énergétique prévoient de s’en passer à plus ou moins long terme (cf ci-après). Au-delà de l’aspect climatique, la ressource risque de devenir rapidement contrainte, dès la décennie 2030 notamment du fait de la décroissance de la production européenne, des incertitudes sur la production russe à venir et à la hausse de la demande mondiale portée par l’Asie.

Source : The Shift Project - Gaz naturel : quels risques pour l’approvisionnement de l’UE ?

Pour en savoir plus sur le sujet, je vous recommande la lecture du dernier rapport du Shift Project sur l’approvisionnement gazier européen jusqu’en 2050 dont est extrait le graphique ci-dessus.

La consommation de pétrole baisse depuis 25 ans et presque la moitié de nos importations proviennent de 3 pays

C’est un gros morceau le pétrole : plus de 40% de l’énergie consommées dans le pays mais sa consommation baisse depuis 15 ans de manière assez significative passant de 80Mtep (million de tonnes équivalent pétrole, 1MTep = 11.63TWh) soit 980TWh à une cinquantaine, soit 550TWh environ avant l’année covid.

Notez aussi la chute spectaculaire fin 70 – début 80 : c’est l’effet du déploiement du parc nucléaire suite aux chocs pétroliers. Celui-ci a en effet essentiellement remplacé des centrales thermiques au fioul.  

Cette nucléarisation de la production électrique a réduit nos importations venant du Moyen-Orient, la Mer du Nord était importante dans les années 80 mais son pic de production au début des années 2000 s’est vite fait ressentir.

Si on regarde dans le détail pour l’année 2020 les 3 premiers importateurs sont dans l’ordre le Kazakhstan, les USA et l’Arabie Saoudite pour, à eux 3, une petite moitié des importations du pays. La Russie compte donc assez peu pour le pétrole brut (c’est différent pour les produits raffinés ceci dit).

Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr

Le pétrole brut sert surtout comme carburants dans les transports sous forme de diesel

Ce pétrole sert surtout à faire des carburants pour les 2/3, à chauffer les bâtiments (résidentiel/ tertiaire) et pour les usages non énergétiques c’est-à-dire toute la pétrochimie. La consommation de carburant en valeur absolue ne bouge pas depuis 30ans (merci les SUV notamment) à l’inverse du chauffage.

Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr

Ce pétrole est toujours transformé avant d’être utilisé. Ce sont donc tout un tas de produits pétroliers différents qui sont utilisés par le pays essentiellement sous forme de gazole pour la moitié de la conso, puis de fiouls divers.

Vous noterez que la conso de produits raffinés est supérieure aux importations de pétroles. C’est logique car la France n’importe pas QUE du pétrole brut mais aussi des produits déjà raffinés. Elle en exporte aussi. La consommation de produits pétroliers représente 700TWh en 2020 contre moins de 600 de pétrole brut importés.

Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr

Si on zoom sur les carburants on remarque l’ENORME prépondérance du gazole que je n’aurai pas estimée si importante instinctivement. Le Sans Plomb avec ou sans éthanol (E10 veut dire jusqu’à 10% de bioéthanol) ne représentant pas grand-chose même si la proportion augmente depuis 10 ans.

Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr

Si la France produit peu de pétrole, elle en stocke pour plusieurs mois

Les Franciliens, Aquitains et Alsaciens parmi vous sont surement au courant, il existe quelques puits de pétrole en France métropolitaine dans les grands bassins sédimentaires du pays (respectivement les bassins parisien, aquitain et rhénan). Cette production est en déclin et ne fait correspond qu’à un peu plus de 1% de notre consommation annuelle.

Il y aurait un potentiel en Guyane ou dans le canal du Mozambique (la France possède quelques îlots, nommés îles éparses, dans cette région entre Madagascar et le Mozambique) en offshore. Peu de détails sont publics que le potentiel réel comme supposé.

Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr

Comme pour le gaz, la France possède des stocks stratégiques de Pétrole correspondant là aussi 1/3 de notre consommation annuelle. Ils représentent environ 19Mtep + 3 commerciaux.

Source : ecologie.gouv.fr la chaine pétrolière

Ces stocks doivent légalement représenter au moins 29,5% de la consommation annuelle du pays et il est stocké sous différentes formes pour pallier aux différents besoins et à différents endroits. Là aussi le stockage géologique est important.

Ces stocks sont répartis dans plus de 200 sites de taille  très variable, des dépôts géants des raffineries et terminaux pétroliers à des petits stocks commerciaux locaux.

Source : ecologie.gouv.fr la chaine pétrolière

Source : ecologie.gouv.fr la chaine pétrolière

L’approvisionnement pétrolier futur de la France est incertain

Cependant ces quelques mois de stock ne seront pas suffisants si les tensions sur l’approvisionnement deviennent plus importante qu’actuellement. Le problème c’est que nous avons déjà dépassé le pic de pétrole conventionnel depuis 15 ans (entre 2006 et 2008 d’après l’AIE) et seul les pétroles non conventionnels (le pétrole de roche mère « de schiste » ou les sables bitumineux) ont permis à l’offre de continuer à croitre depuis lors.

Même malgré ça, les données traitées par le Shift Projet ne poussent pas à l’optimisme sur l’approvisionnement futur de l’Europe en général et de la France en particulier. En gros après 2030 notre approvisionnement va devenir très compliqué notamment parce que nos fournisseurs vont voir leur production décroitre dans un contexte de demande mondiale toujours élevée.

Passons en revue notre triptyque d’importateurs Français : Kazakhstan, Arabie Saoudite et USA. Pour ces dernières la production conventionnelle poursuit son déclin. Si pour l’instant le non conventionnel compense, ça ne durera pas éternellement.

Source : The Shift Project – approvisionnement pétrolier futur de l’UE

Source : The Shift Project – approvisionnement pétrolier futur de l’UE

Pour l’Arabie Saoudite il est probable qu’après 2030 la production baisse, sachant que la consommation interne augmente me semble-t-il et que la concurrence entre clients fait rage (notamment avec l’Asie, il suffit de voir la récente visite de Xi Jinping, reçu en grande pompe à Riyad)

Source : The Shift Project – approvisionnement pétrolier futur de l’UE

Ce n’est pas mieux pour le Kazakhstan ou la Norvège et la Russie (dont les données sont désormais plus pessimistes à cause des conséquences de la guerre en Ukraine et des sanctions limitant la capacité du pays à entretenir ses champs existants, réduisant leur production)

Source : The Shift Project – approvisionnement pétrolier futur de l’UE

Source : The Shift Project – approvisionnement pétrolier futur de l’UE

Source : The Shift Project – approvisionnement pétrolier futur de l’UE

Nonobstan ces contraintes, la France prévoit de sortir des énergies fossiles d’ici 2050

Perspectives complexes. Rappelons que nous avons prévu de se passer de pétrole pour les transports et le chauffage d’ici 2050 même s’il doit rester un peu de gaz (renouvelable à quel niveau ?) d’après le SNBC comme nous l’avons vu dans l’épisode précédent.

Je me permets un point opinion personnelle : vu qu’il faudrait 2-300TWh de gaz renouvelable/ d’hydrogène bas carbone en énergie finale pour se passer totalement de gaz fossile en 2050, j’ai besoin d’être convaincu à ce stade. Je considère manquer de connaissance pour affirmer que c’est crédible ou non. Nous reparlerons du gaz renouvelable dans l’épisode 4.

Source : SNBC

La PPE quant à elle prévoit -35% d’énergies fossiles d’ici à 2028 par rapport à 2012 soit environ 25-30MT de pétrole (300-350TWh), idem pour le gaz, assez cohérent avec la SNBC et oui c’est logique et fait exprès. Cette PPE prévoyait d’arriver en 2023 à10% de gaz et 20% de pétrole en moins par rapport à 2012, objectifs qui devraient être atteints, bien aidé par le covid et la guerre en Ukraine.

Source : PPE – principaux indicateurs 2022

Source : PPE – principaux indicateurs 2022

Les plus attentifs auront remarqué qu’il y a de décalage entre les valeurs données par la PPE et celles que je vous ais données pour les importations/consommation plus haut. C’est encore une histoire d’unité avec 2 manières différentes de compter les TWh (en PCI, pouvoir calorifique inférieur, ou PCS pouvoir calorifique supérieur) qui amène à des décalages. De plus ce document ne prend en compte que la France métropolitaine hors Corse là où les précédents documents incluent tout le monde.

L’utilisation du Charbon est marginale en France pour l’énergie

Finissons cette partie en parlant du charbon. Si nous n’en produisons plus depuis 20 ans, nous en importons toujours quelques milions de tonnes notamment de Russie, d’Australie et des USA.

Il sert encore un peu dans l’électricité, vous avez entendu parler de la réouverture de Emile Huchet en Moselle, sachez aussi qu’en Guadeloupe et à la Réunion il existe encore des centrales au Charbon exploitées. Son usage actuel est essentiellement en sidérurgie pour faire de l’acier.

Source : statistiques.developpement-durable.gouv.fr

Je ne m’explique pas le décalage consommation/importation. J’imagine qu’il y a du stockage ou des reventes ou des histoires de convention d’unité… Bref, le charbon est assez anecdotique, pas grand-chose à dire dessus.

Un point intéressant tout de même à la limite du sujet : l’hydrogène est un moyen de s’en débarasser dans la sidérurgie, il me semble qu’Arcelor Mittal souhaite convertir à l’hydrogène les sites de Fos sur Mer et Dunkerque à l’hydrogène bas carbone électrolytique ce qui fera baisser nos émissions totales d’environs 10%, loin d’être négligable.

Voilà pour les énergies fossiles. Nous en sommes extrèmement dépendant et une double contrainte pèse sur cette dépendance : la capacité à nos fournisseurs de continuer à nous fournir vu les contraintes géologiques et la nécessité d’en sortir à cause de la contrainte climatique.

Après avoir étudié les grosses huiles qui tachent, je vous retrouve bientôt pour l’électricité, l’énergie à développer pour décarboner !

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