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Ces doutes en interne qui empêchent La France Insoumise et le RN de profiter à plein de l’effet Gilets Jaunes
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Derrière les façades

En plein mouvement des Gilets Jaunes, la France Insoumise et le Rassemblement National peinent à dégager une ligne claire et à s'associer à la contestation.

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Jean-Yves Camus

Jean-Yves Camus

Chercheur associé à l'Iris, Jean-Yves Camus est un spécialiste reconnu des questions liées aux nationalismes européens et de l'extrême-droite. Il est directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et senior fellow au Centre for the Analysis of the Radical Right (CARR)

Il a notamment co-publié Les droites extrêmes en Europe (2015, éditions du Seuil).

 

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Atlantico : La participation de Marion Maréchal lors d’une manifestation des Gilets Jaunes, perçu par certains comme un retour sur la scène politique, semble avoir semé le trouble au sein des rangs du Rassemblement National. Derrière l’unité de façade affichée, le Rassemblement National est-il vraiment uni derrière Marine Le Pen ?

Jean-Yves Camus : Je crois qu’il s’agit d’une incursion plutôt qu’autre chose. Il ne faut pas y voir un mouvement. Marion Maréchal n’en est ni à la tête, ni même n’est un acteur. Elle est venue prendre la température comme quantité de cadres et élus notamment du Rassemblement National sont allés le faire. Elle a sans doute raison d’y aller, car il y a un certain nombre de revendications du mouvement qui recoupent les siennes, là où d’autres revendications recoupent plus celles de Marine Le Pen.

Une composante des gilets jaunes sont sur une ligne de contestation anti-fiscale, de demande de moins d’Etat, de davantage de libéralisme économique et incontestablement cette ligne conviendrait aux orientations de Marion Maréchal. Puis vous avez de l’autre côté des gens qui se mobilisent pour le pouvoir d’achat, pour davantage de protection sociale, pour un retour d’une forme d’égalité dans les aménagements des territoires… Et on est là face à des choses que le Rassemblement National dirigé par Marine Le Pen entend porter.

Je crois en fait que chacun est en train de chercher dans le mouvement des gilets jaunes quelque chose qui est censé répondre à son orientation. Et il est vrai que c’est un mouvement qui est difficile à appréhender précisément parce qu’il y a en son sein des lignes profondément contradictoires. Parce que si on veut augmenter la protection sociale, on ne peut pas à un moment diminuer les recettes de l’Etat dans des proportions trop importantes : on aurait finalement plus assez d’argent pour financer cette protection sociale. C’est la spécificité de ce mouvement : au fond, il a du mal à trouver sa propre cohérence.

Sur les questions liées au pouvoir d’achat, à tout ce qui concerne la vie de l’entreprise, le droit du travail, les formalités administratives ou encore le moins d’Etat qui est une composante du mouvement dessinent deux lignes incompatibles qui se trouvent être les deux lignes incompatibles qu’on retrouve à l’extrême-droite autour d’un côté de Marion Maréchal et de l’autre de Marine Le Pen.

A la France Insoumise, les dissensions sont aussi fortes. Que montre par exemple le récent départ de Djordje Kuzmanovic et François Cocq, deux "orateurs nationaux" de la France Insoumise au niveau des divisions existant au sein du parti ?

Sylvain Boulouque : Ces départs viennent traduire des positions minoritaires par rapport à une immense majorité de l'organisation politique sur les sujets de l'immigration, des frontières et de l'Europe : Djordje Kuzmanovic milite pour un Frexit alors que LFI n'en veut pas pour l'instant.

De même, certains, à La France insoumise, promettent l'arrivée rapide de Djordje Kuzmanovic dans d'autres formations politiques. Il pourrait ainsi arriver chez Nicolas Dupont-Aignan, à Debout la France. Pour ce qui est de François Cocq, c'est moins évident puisqu'il quitte son poste de porte-parole, mais reste proche de La France insoumise. Il dit qu'il reste attaché à La France insoumise. Ce départ est plus discret.

Jean-Luc Mélenchon est-il contesté au sein de la France Insoumise ?

Sylvain Boulouque : Il y a des contestations dans la France insoumise sur la façon dont il gère le mouvement. Mais, en même temps, ces contestations, non seulement, viennent de la périphérie du partie – à l'exception récente, parmi les dirigeants historiques, du départ de Corinne Morel –, mais elles sont, en plus, tout de suite renvoyées à leur marginalité : soit que lesmécontents s'en aillent d'eux-mêmes, soit qu'on leur signifie en interne : "circulez, il n'y a rien à voir". On leur explique gentiment que ce n'est certes pas le centralisme démocratique, mais presque ! De la sorte, ceux qui formulent des critiques ne restent pas dans la France insoumise. On a pu le voir avec les "Insoumis démocrates" qui ont quitté le mouvement après un rassemblement qui a finalement échoué à peser. Une autre contestation a été celle de Liêm Hoang-Ngoc, qui venait du Parti socialiste, et qui a témoigné qu'il n'y avait pas de possibilité de travailler dans la France insoumise, puisque tout est organisé autour du parti de gauche et de Mélenchon. Mais finalement, pris globalement, la France insoumise en ce moment se porte relativement correctement.

Au Rassemblement National, face à un mouvement qui révèle leurs contradictions internes, ne retrouve-t-on pas le malaise perçu à l’issue de la piteuse campagne présidentielle quand Florian Philippot avait quitté le mouvement de Marine Le Pen pour fonder son propre parti ? Marine Le Pen n’est-elle pas finalement restée sur une ligne philippotiste, au point de brouiller les cartes ?

Jean-Yves Camus : Il y a effectivement une difficulté à enclencher la vitesse supérieure au sein du parti de Marine Le Pen. Mais dans le même temps, il faut se rappeler du sondage qui est paru bien avant le mouvement des gilets jaunes et qui donnait le RN au coude à coude avec LREM aux intentions de vote aux européennes. Alors certes il faut prendre avec beaucoup de précaution un sondage datant de septembre 2018 à propos d’une élection ayant lieu en mai 2019, alors même que nous n’avons pas les listes. Mais malgré tout, quelques mois seulement après une défaite aux élections présidentielles et législatives et un débat télévisé qui a laissé d’énormes traces, ce n’était pas si mauvais pour Marine Le Pen. Ce sondage lui laisse entrevoir des perspectives. 

Les élections européennes vont se faire sur un mode binaire validé par le Président lui-même : nationalistes contre européistes. Finalement, Marine Le Pen risque de retrouver ses petits dans cette élection. C’est un scrutin européen. Or qui incarne l’opposition dans cette élection ? Principalement Marine Le Pen, du moins sur son versant droit. La situation n’est pas si négative au RN, et ce d’autant plus du fait que Laurent Wauquiez visiblement n’arrive pas à imposer sa personne,  son image et sa ligne. Elle n’est pas négative non plus parce que Marion Maréchal est dans un entre deux difficilement tenable. Elle oscille entre son retrait et un retour, tout en affirmant ne pas vouloir revenir. Je crois qu’elle aura du mal à revenir avant, parce que serait revenir avant d’avoir prouvé qu’elle peut mener à bien son projet professionnel de l’ISSEP, on lui mettra sur le dos une incapacité à se réaliser en dehors de la politique.

A la France Insoumise, l'attitude de Jean-Luc Mélenchon lors des perquisitions liées à l'affaire du Média a été vivement critiquée. En a-t-il souffert au sein de son électorat ?

Sylvain Boulouque : Pour l'instant, les perquisitions ont eu plutôt pour effet de resserrer et de ressouder les rangs. C'était donc loin d'être la catastrophe annoncée pour Mélenchon. Tous ceux qui étaient en position d'avoir quelques doutes se sont spontanément rassemblés autour de la forteresse assiégée. Dans l'immédiat, les perquisitions ont donc eu un effet rassembleur, mais cela ne veut pas dire que ce sera encore le cas dans quelques semaines. À la rigueur, cela a éloigné quelques figures parmi les gens qui travaillaient dans Le Média (qui lui-même ne marche pas très bien non plus). Les pertes ont donc été limitées, tandis que le parti a pu encore davantage cristalliser les mécontentements.

Un sondage effectué peu après son coup de sang contre la justice et les médias a montré une baisse de l'indice de confiance, notamment sur l'honnêteté de Jean-Luc Mélenchon après l'affaire du Média.

Sylvain Boulouque : Cette chute est liée à son coup de colère certes, mais celui-ci était en fait tout à fait maîtrisé. Cela ne s'est pas forcément très bien passé auprès d'un certain nombre de sympathisants, et ça a entraîné une baisse de sa popularité, mais je ne suis pas sûr que ce soit là autre chose qu'un simple effet médiatique. Si le sondage était réitéré le mois prochain, je ne suis pas sûr que les résultats soient les mêmes. Resserrer les rangs, ce n'est pas uniquement à l'intérieur du parti que cela se joue mais aussi tout autour du noyau des sympathisants. Et cela a fonctionné. C'est moins bien passé dans l'opinion, mais je ne pense pas que cela pèse réellement à long terme, ce d'autant plus que le Parti de gauche et la France insoumise misent sur le fait qu'il n'y aura pas de réelles poursuites, en conséquence de quoi l'affaire s'enlisera sans qu'ils soient inquiétés. Ce serait là un élément supplémentaire pour affirmer que la justice est aux mains du pouvoir, qu'il y a deux poids deux mesures. Et alors la défense pourra accuser de nouveau le pouvoir. Ce n'est donc pas forcément un bon révélateur de ce qu'il se passera sur le long terme. En revanche, peut-être que si les scandales se répétaient, alors cela produirait un effet inverse. Bien sûr, on ne peut pas le dire à l'avance.  

Au RN, quel rôle peut tenir dans la situation actuelle du parti le nouvel homme fort et bras droit de Marine Le Pen, Sébastien Chenu ? N’y a-t-il pas un éternel malaise avec les seconds à l’extrême-droite ?

Jean-Yves Camus : Je crois que dans l’histoire du Front National, il y a une constante qui a très bien été montrée par le livre de Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard sur les numéros 2 du Front, c’est que dans ce parti, il n’y a la place que pour une personne. Et que toute personne qui à un moment donné prend dans la hiérarchie ou médiatiquement une place de brillant second est condamné ou à n’être qu’un brillant second ou à aller au clash. Les électeurs et encore plus les militants du FN et aujourd’hui du RN sont attachés à ce que ce parti soient incarnés par une seule personne. Cela a été Jean-Marie Le Pen. C’est d’une manière Marine Le Pen. Mais il n’y a pas de place pour une seconde personne. Cela peut être des gens qui médiatiquement sont envoyés plus souvent que les autres parce qu’ils ont des capacités supérieures pour défendre les idées du mouvement. Mais malgré tout, le RN c’est avant tout et surtout le parti de Marine Le Pen.

A la France Insoumise, les oppositions au sein du Parti pourraient-elles provoquer la fracture du parti et affaiblir la posture de leader de Jean-Luc Mélenchon ?

Sylvain Boulouque Ces contestations au sein du parti sont quelque chose qui existent depuis longtemps dans le parti de gauche. Plusieurs fois il y a eu des contestations depuis que Mélenchon a quitté lePS. C'est un phénomène récurrent et, à chaque fois, Mélenchon a su retomber sur ses pattes sans difficultés. Les crises successives se suivent et sont régulièrement oubliées. Surtout lorsque les critiques émergent à bonne distance du noyau dirigeant. Le seul risque réel serait que la popularité de François Ruffin augmente mais pour l'instant il n'est qu'apparenté à La France insoumise, il n'en est pas militant. Il n'a donc pas de poids réel dans la campagne.

A droite, comment jugez-vous le positionnement de la Président du RN vis-à-vis des gilets jaunes ?

Jean-Yves Camus : Elle a saisi qu’on ne pouvait pas être dans la récupération, qu’elle ne pouvait dire à ces gens de les rejoindre parce qu’ils auraient été sur la même ligne. C’est d’ailleurs ce que montre sa réaction au jour de la première manifestation : elle a réagi par une communiqué de presse. Pas par une descente triomphale au milieu de la foule pour se faire applaudir. Elle est à mon avis comme les autres. Elle regarde ce mouvement avec attention, mais elle a compris que malgré des compatibilités avec le RN, les gilets jaunes sont très défiants envers les gilets jaunes en général, y compris le RN. Marine Le Pen attend de voir comment évolue le mouvement, comment se passent les manifestations. Elle ne peut pas dire que ces gens sont des adversaires, parce qu’ils sont sociologiquement compatibles avec l’électorat du FN, mais ne peut pas dire non plus que ce mouvement est 100% sur sa ligne, parce que cela reviendrait à avaliser les débordements et groupuscules qui se montrent ici ou là, mais aussi parce que sur la question de la fiscalité, elle s’oppose en défendant les acquis sociaux.

A LFI, si seul le noyau dirigeant et historique tient, n'y-a-t'il pas une difficulté à s'ouvrir à de nouveaux militants ?

Sylvain Boulouque Même s'ils ont perdu un socialiste insoumis en la personne de Liêm Hoang-Ngoc, un rapprochement a été opéré dans le même temps avec de vieux complices de Mélenchon comme Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann. Il semblerait qu'il y ait une complicité et une porosité très grande entre ceux-là, si bien qu'il n'est pas impossible qu'on les retrouve tous ensemble relativement rapidement. Il y a donc eu un départ certes, mais il sera compensé par l'arrivée d'autres militants potentiels.

Mais surtout : actuellement, toute une partie des Gilets jaunes est composée de sympathisants, voire de militants de la France insoumise, et qui participent activement au mouvement. Bien sûr, c'est un mouvement fortement hétérogène, et il faudrait donc voir blocage par blocage, mais les circonstances ne sont certainement pas mauvaises pour la France insoumise. Il y a vraiment une dimension de contestation qui peut permettre à la France insoumise de se développer. Il n'est donc pas étonnant que Mélenchon relaye lui-même activement lesrevendications des Gilets jaunes.  

En tablant sur la convergence des luttes avec le Rassemblement National, la France Insoumise ne joue-t-elle pas un jeu dangereux ?

Sylvain Boulouque Pour le coup, La France insoumise est un peu en train de perdre son profil social "de classes". Elle veut agréger dans sa lutte, non seulement des employés et des salariés, mais également des patrons, des dirigeants. Ce qui, pour les seconds, n'était pas du tout jusqu'à maintenant les profils que recrutainent La France insoumise. Il y a donc un changement de nature, peut-être purement tactique. Il se peut que LFI cherche surtout à récupérer, à s'inscrire dans le mouvement social des "gilets jaunes" mais il y a, par rapport aux organisations de gauche traditionnelles, une évolution dans les termes du discours. 

D'autre part - même si comparaison n'est pas raison, et que les circonstances historiques ne sont pas exactement les mêmes -, à plusieurs reprises dans l'histoire des années 30, lescommunistes ont eu tendance à vouloir s'allier avec les nationalistes. Ce fut notamment le cas à Berlin à 1931 et une seconde fois lors de la manifestation du 6 février 1934. Dans lepremier cas, le cas allemand, cela n'a pas été en leur faveur. 

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