Ces conclusions qu’Emmanuel Macron pourrait utilement tirer du rapport de l’IGAS sur le Covid s’il veut refonder le système de santé français <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une visite dans un hôpital lors de la crise sanitaire.
Emmanuel Macron lors d'une visite dans un hôpital lors de la crise sanitaire.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Mesures d'urgence

Le chef de l’Etat a prévu de s’exprimer sur l’avenir de notre système de soins à l’occasion d’un déplacement à l’hôpital d’Evry ce vendredi.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico : Un rapport de l’IGASrévélé par le Parisien a étrillé la gestion de la crise Covid. Que nous apprend ce rapport sur le système de santé français et ses déficiences ?

Guy-André Pelouze : Il y a de nombreuses raisons d’être prudent dans ce que l’on peut affirmer au sujet de ce rapport.

UN RAPPORT QUE PERSONNE N'A LU EN DEHORS DES JOURNALISTES DU PARISIEN ET DE LA TECHNOSTRUCTURE DE LA HAUTE ADMINISTRATION

Il faut d’emblée clarifier pour le lecteur un point essentiel: je n’ai pas lu ce rapport, pas plus que vous ni que les nombreux commentateurs. Nous sommes donc dans le commentaire de quelqu’un qui affirme l’avoir lu. Il n’y a aucune raison de douter que la journaliste du Parisien ait lu les 205 pages du rapport. Mais ne jouons pas avec l’information, pourquoi une fois l’annonce effectuée et l’analyse publiée ne pas publier ce rapport? Je rappelle qu’il ne s’agit pas d’un document secret défense, par exemple le rapport qui a conduit à écarter le général Éric Vidaud après l’invasion de l’Ukraine… Il s’agit d’une affaire franco-française. Il s’agit de la réponse à la pandémie qui s’est soldée par une mortalité élevée lors de la phase sporadique de la Covid-19. C’est à mon avis injustifiable. Aujourd’hui le geste le plus rationnel de l’exécutif est de rendre public ce rapport.

UN EXEMPLE TYPIQUE DE LA "TRANSPARENCE OPAQUE" DE LA HAUTE ADMINISTRATION FRANCAISE ET DES POLITIQUES

Il y a d'une part un rapport de l’IGAS qui n'est pas rendu public en dépit de l'importance cruciale du sujet à savoir le retour d'expérience sur la réponse à la plus grande pandémie depuis celle de la grippe espagnole-chinoise. Il y a aussi le silence de ces 375 personnes interrogées qui adhèrent à une telle rétention d’information en dépit de son importance pour redresser le pays, ce qui soit dit en passant jette le trouble sur leurs dires…. Il y aurait aussi la Cour de Justice de la République comme destinataire dans le cadre des plaintes déposées contre des membres du gouvernement de cette époque. Il y a finalement la presse qui n’ose pas le publier pour l’instant. À la décharge de cette dernière, quand on lit le parcours juridique pour se le procurer et l’attitude des juges administratifs on peut comprendre une certaine retenue. Il reste à recommander à l’opposition (ne me demandez pas laquelle, ni si elle existe encore) de s’inspirer de la démocratie que chérissait Tocqueville. Il est de salut public de décliner The Freedom of Information Act (FOIA) dans nos institutions. Comme le soulignait le Président, les numéros verts ne marchent pas mais il n’y a pas qu’eux. La liberté est entamée.

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Qui peut formuler une demande de document à l’administration des États-Unis basée sur le FOIA?

Généralement « toute personne », quelle que soit sa nationalité.

« Toute personne » désigne tout particulier, y compris un citoyen étranger, un partenariat, une société, une association, une université, une entreprise et des gouvernements étatiques, locaux ou étrangers.

« Toute personne » comprend un avocat ou un autre représentant cherchant des dossiers au nom de toute personne.

« Toute personne » exclut un fugitif de la justice ou toute personne agissant au nom du fugitif - y compris un gouvernement étranger ou une organisation internationale - que la personne travaille ou non directement ou par l'intermédiaire d'un représentant.

« Toute personne » exclut les gouvernements étrangers demandant des informations aux agences de renseignement.


QUE NOUS DIT SEVERINE CAZES DU PARISIEN DE CE RAPPORT ?

“Leur constat, quasi clinique, est accablant: impréparation, désorganisation et circuit de décision « peu lisible ».

Jusque là, le retour d’expérience acte ce que tout un chacun a observé. Les masques qui ne servent à rien parce qu’ils ne sont plus là, la minimisation qui va conduire à confiner en extrême urgence et la respiration démocratique du virus lors des élections municipales. Pour ce qui est du centre de crise, on attendra de lire les détails car ce n’est pas le nombre jugé insuffisant de ses membres qui a conduit à un retentissant échec ce sont les décisions politiques. Encore une fois la haute administration de la Santé est abusée par sa vision centralisatrice et administrative exclusive, exemples:

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- Demain avec un centre de crise plus étoffé rien ne changera si la menace est prise à la légère comme lors de l’incroyable affirmation de nos élites selon laquelle un virus pandémique mettant l’Italie à genoux ne terrasserait pas le coq Français.

- Même chose pour les fonctions de J. Salomon à la Direction Générale de la Santé. Ce n’est pas une question de surcharge de travail, c’est une erreur organisationnelle. La DGS est une structure administrative alors que nous avons besoin de structures opérationnelles. Non pas en cas de pandémie, tous les jours. Car pour avoir une “vision claire et exhaustive” comme pour faire une opération chirurgicale, il faut s'entraîner dans les conditions les plus proches de la situation cible.

- Les 25 organigrammes en trois mois confirment le délire bureaucratique que l’on constate partout ou presque dans la sphère publique.

Ainsi l’exécutif et sa haute administration ont continué à fonctionner “as usual” s’épuisant à faire ce qu’ils ne savaient pas faire (acheter des masques sur le marché international) ou bien ne voulaient pas faire (rassembler toutes les forces soignantes).

Enfin ce rapport comprendrait 32 recommandations sur lesquelles S. Cazes nous renvoie en quelque sorte à un prochain article… Dommage. Quoi qu’il en soit 32 recommandations c’est beaucoup, beaucoup trop, une habitude dans ce cénacle très fermé qui fonctionne par phrases injonctives.

Figure N°1: Mesurer les résultats. La mortalité dans cette pandémie est très différente suivant les pays. De 300 à 900 morts par million pour le groupe à faible mortalité et de 2000 à 3200 morts par million pour le groupe à forte mortalité. Il s’agit là d’un sujet scientifique pour analyser les causes. La France est dans le groupe à forte mortalité.

Le chef de l’Etat a prévu de s’exprimer sur l’avenir de notre système de soins à l’occasion d’un déplacement à l’hôpital d’Evry ce vendredi. Quelles leçons le président devrait-il tirer du rapport s’il veut véritablement refonder le système ?

Guy-André Pelouze : Dans le chapitre des paroles, les mots choisis par les politiques sont souvent loin de la réalité. Refonder est un élément de langage, un signe que les communicants sont en action. Mais jamais aucun communicant n’a réglé un problème et encore moins réussi une réforme. C’est même bien plus grave, lors de cette pandémie ils ont failli dans la communication du péril et des moyens d’en sortir. Cet échec est en partie responsable de l’hésitation vaccinale aggravée qui empoisonne notre pays. On ne refondera pas le système de santé. Car il n’y a pas de système de santé. Il y a un système de soins pour les maladies qui comprend la médecine ambulatoire, les infirmières, les pharmacies, les laboratoires d’analyse et les établissements d’hospitalisation (maternité, hôpitaux publics et privés et centres de réadaptation et de soins de suite). Ce système de soins dont les bases remontent à la Royauté de l’an mille fonctionnait assez bien avant que la technostructure n’impose la planification soviétique qui a culminé dans les ordonnances Juppé et la création des ARH puis des ARS. Le jeu des acteurs permettait de satisfaire la demande avant que le système se bloque lentement par inefficience, confusion des genres, sur-administration, planification et obstination de la technostructure, persuadée de son omniscience. Il existe par contre une mission de santé publique dévolue à la santé des populations qui vivent en France. Cette mission comprend la veille de santé publique et une organisation en sommeil activable à chaque urgence pour venir en aide aux populations. Cette mission régalienne n’est assurée par aucune organisation dans notre pays et c’est donc la cible que le Président doit indiquer à son gouvernement. J’ai déjà exposé pourquoi en toute humilité après un tel échec nous devrions regarder d’abord ce qu’ont bâti les pays qui ont mieux réussi la réponse à la pandémie. La tâche est immense car il faut transformer une administration rétive à tout changement en une organisation opérationnelle basée sur :

- un centre de contrôle des maladies véritable tour de contrôle des menaces sur la santé des populations

- le big data en santé, un réseau public privé de traitement de l’information issue des assureurs et des dossiers médicaux électroniques pour alimenter le CDM

- un réseau académique des centres universitaires publics ou privés d’épidémiologie et d’autres spécialités impliquées dans les urgences sanitaires de masse. La responsabilité opérationnelle de ces centres est de fournir des analyses et des modèles d’anticipation sur ces urgences sanitaires de masse en permanence. L’appel à projet est un mode de fonctionnement quiassure un niveau d’excellence et garantit par le financement l’obtention d’un résultat.

- des équipes mobiles de santé publique organisées en régions et basées dans les principales villes, activables en fonction de la menace

Le président doit tenir compte du fait que les auteurs de ce rapport et ceux qui l’ont nourri sont précisément ceux qui n’ont pas su réformer depuis 40 ans pour que l’état se préoccupe de la santé des populations car c’est sa mission et laisse le système de soins fonctionner dans une économie sociale de marché très développée en s’assurant des règles indispensables.

Peut-on refonder le système de santé si l’on ne s’attèle pas aux problèmes qui ont entaché notre gestion du Covid ?

Guy-André Pelouze : Une fois ces grandes lignes exposées, il est possible de suivre le fil de la pandémie pour patiemment construire ces structures opérationnelles. Des structures opérationnelles qui ne pourraient pas résoudre l’accompagnement des populations frappées par une pandémie seraient à repenser. Fournir l’assistance aux personnes qui doivent s’isoler, fournir le vaccin à toutes les personnes cibles qui veulent être protégées est possible par la combinaison des technologies intelligentes et de la présence physique d’équipes sanitaires. Pour un pays riche avec une dépense publique parmi les trois plus élevées du monde c'est faisable à condition de maîtriser l'organisation, la subsidiarité et la coopération des forces soignantes.

EVALUER UNE POLITIQUE DE SANTE PUBLIQUE EST UN SUJET SCIENTIFIQUE

L’interview de "personnalités" est une habitude vieillotte et sociologisante qui a peu de chance de mettre en évidence les causes des dysfonctionnements. Dans cet exercice il est préférable d’appeler des personnes étrangères qui peuvent poser un regard neuf. Mais il faut surtout considérer le sujet comme scientifique et appliquer l’heuristique de la science. Il suffit de se référer à la littérature. Le consensus de Delphi sur la Covid-19 mais aussi d’autres publications récentes abordent ces questions de dysfonctionnements et d’optimisation des organisations de santé publique. Ce rapport comprend-il aussi une analyse et une métrologie de la performance de l'État (Figure N°1)? Nous le saurons lors de sa publication mais c’est beaucoup plus important pour les urgences futures que les opinions de 375 personnalités du sérail.

Figure N°2: Tableau de bord d'évaluation Covid-19. Pour évaluer une réponse à la pandémie il faut commencer par analyser et mesurer les décisions dans une perspective de benchmark. Chacun peut faire une évaluation de premier niveau en utilisant les questions 1, 2, 4, 5, 7, 11, 15, 18, 19

Pour répondre plus fondamentalement à votre question il ne suffira pas de tirer sur le fil de la pandémie pour améliorer la prochaine réponse en santé publique. Le Président et son gouvernement doivent s’enhardir et penser “outside the Ségur box”. En effet les routines du Ministère de la santé ont échoué, les préfets des ARS ont échoué et l’esprit Ségur inspiré du Grenelle est une illusion, les sparadraps fussent-ils en milliards d’euros ne pourront jamais remplacer une organisation intelligente et opérationnelle dans une pandémie. Ce n’est pas une question de personnes, c'est une question d’organisation inefficace. Ce rapport dans l’état actuel des informations dont on dispose est peu utile et il serait beaucoup plus efficace de mettre en marche l’immense réseau académique d’épidémiologie pour que sur des appels à projet les différents sujets énumérés dans les questions de la Figure N°1 soient évalués et publiés dans des revues à comité de lecture pour constituer une analyse crédible de la santé publique en France.

LA FRANCE MERITE UNE ORGANISATION DE SANTE PUBLIQUE EFFICIENTE 

Mais il y a des conditions nécessaires:

- l’Etat régalien doit laisser fonctionner le système de soins car il n’a pas besoin de l’état en dehors de quelques règles simples dont il faut assurer le respect quoi qu’il en coûte, et se concentrer sur la santé des populations.

- les soignants, les établissements de soins, d’analyse biologique, les pharmaciens sont les membres d’une même équipe. Ils doivent se coordonner et leurs domaines de compétences doivent être élargis pour faire face aux situations exceptionnelles qui vont se répéter pendant assez longtemps c’est à dire au moins une décennie, sans compter avec la probable augmentation de la menace infectieuse due au changement climatique.

- les données doivent être utilisées pour sauver des vies au quotidien et anticiper dans les urgences de santé publique. Elles sont inutiles tant qu’elles restent dans les silos de l’assurance maladie. 

Cette tâche n’est pas facile. Force est de constater que peu d’hommes politiques ont une vision à moyen terme du système de soins ou de la santé publique. Il faut être modeste pour être efficace et regarder ce que les autres pays bâtissent dans ce domaine la plupart du temps dans un consensus transpartisan. Le quinquennat débute, il n'est pas trop tard.

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