Ces 3 chantiers qui pourraient sortir la France de l’ornière malgré son atomisation politique <!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que la réforme des retraites a suscité une crise sociale et politique, des mesures alternatives peuvent apaiser le pays.
Alors que la réforme des retraites a suscité une crise sociale et politique, des mesures alternatives peuvent apaiser le pays.
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Plan d'action

Dans un pays fracturé suite à la réforme des retraites, trois leviers essentiels permettraient de sortir de la crise démocratique.

Christian de Boissieu

Christian de Boissieu

Christian de Boissieu est économiste, spécialiste des questions monétaires et bancaires. Il est membre du conseil du collège de l'AMF (Autorité des marchés financiers) depuis mai 2011 et ancien régulateur bancaire.

Professeur à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, il a été président du Conseil d'analyse économique de 2003 à 2012.

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Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Charles Reviens

Charles Reviens

Charles Reviens est ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques.

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GRANDE REVUE INDEPENDANTE DES DEPENSES PUBLIQUES

Atlantico : Dans une situation sociale et politique complexe, comment mener une grande revue des finances publiques utiles pour le pays et qui puisse faire consensus en plus de remettre la nation sur les bon rails ?

Christian de Boissieu : Entre l’augmentation des taux d’intérêt et donc des charges d’intérêt de la dette publique, qui est loin d’être terminée, la hausse indispensable des dépenses publiques de la transition énergétique et écologique, le relèvement nécessaire des dépenses de défense et de sécurité dans le contexte géopolitique que l’on sait, les marges de manœuvre sont et seront minces. D’autant qu’il nous faudra dans le même temps ne pas sacrifier l’éducation, la formation ou la santé, bien au contraire, et que compter sur une croissance forcément aléatoire pour résoudre cette quadrature du cercle serait risqué et irresponsable.

Depuis vingt ans, nous n’avons pas su réduire vraiment les ratios de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires par rapport au PIB, même quand la croissance était là ! Aujourd’hui, dans les comparaisons européennes, nous n’avons même plus l’excuse d’un ou deux pays scandinaves qui seraient au-dessus-de nous pour ces ratios…

Il va nous falloir revenir à 3% de déficit public, stabiliser avant de réduire le ratio de dette publique. Pour s’en tenir à l’habituel critère de soutenabilité, à savoir l’écart entre le taux de croissance et le taux d’intérêt moyen sur la dette, nous sommes déjà et nous serons sur le fil du rasoir, avec des taux d’intérêt qui, comme indiqué, n’ont pas fini de grimper et une croissance « molle » à court terme et fort incertaine pour la suite.

Face à des ratios de dépenses et de prélèvements obligatoires plus élevés qu’ailleurs, la quantité et la qualité de nos services publics n’a pas suivi, loin de là. Cherchez l’erreur ! Elle réside dans le manque d’efficacité d’une part importante de nos dépenses publiques.

Quel est l'état des finances publiques, en France ? D'aucuns, à gauche notamment, soutiennent que la dette publique ne constitue pas nécessairement un réel problème. Quels sont les failles d'une telle analyse ?

Christian de Boissieu : Je salue l’idée de « revue annuelle des dépenses publiques » et la convocation prochaine d’Assises des finances publiques. A condition que tout cela débouche sur des résultats concrets. Depuis 20 ans, nous avons connu en France nombre de démarches qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, n’ont pas abouti : la loi organique sur les lois de finances (LOLF), la revue générale des politiques publiques (RGPP), la modernisation de l’action publique (MAP), la commission CAP 22 dont les travaux n’ont jamais été intégralement publiés…Assez de sigles et de travaux qui ne débouchent sur rien, ou sur trop peu ! Le chantier de l’efficacité des dépenses publiques ne peut être réouvert que s’il vérifie certaines conditions :

1/ Il faut combiner en l’espèce une volonté politique et une bonne méthodologie. L’une sans l’autre est insuffisante. Sur la méthode, des progrès ont été faits en matière d’évaluation des politiques publiques. Nécessaire, et jusqu’à présent insuffisant…

2/La démarche doit être inclusive, concerner l’Etat (et sa réforme), la sécurité sociale (d’où, entre autres, la question des retraites) et les collectivités territoriales. La LOLF, la RGPP et les autres exercices évoqués avaient le tort de ne pas considérer dans leur champ d’investigation ces collectivités locales.

3/La démarche doit être progressive et réaliste. On cite toujours l’exemple du Canada et de la Suède qui, au fond du trou, ont pratiqué en 1994 le big bang de la réforme de l’Etat. A méditer, mais pas nécessairement à imiter. Il vaut mieux atteindre des cibles possibles, au vu du contexte économique et social, plutôt que de se fixer des objectifs politiquement et socialement irréalistes. Car, avec la remise en cause inévitable de certaines dépenses d’intervention, d’une partie des niches fiscales, il y aura forcément des gagnants et des perdants, et une quasi-impossibilité d’« indemniser » ces derniers…

4/La démarche doit être transparente et concertée, deux conditions nécessaires du caractère démocratique du processus engagé. Donc, dès le début, associer l’ensemble des parties prenantes : les responsables politiques, les syndicats de salariés et d’employeurs, les élus locaux, des personnalités indépendantes,…Les administrations auront un rôle majeur, mais elles devront partager l’information et la méthode. Tout cela ne peut pas se passer en catimini. Dans la mesure où entrent en jeu notre avenir commun et nos choix de société, il va falloir expliciter les grands arbitrages touchant une bonne partie des dépenses publiques pour les cinq à dix années à venir.

Dans une situation politique et sociale complexe, comment mener une revue indépendante des dépenses publiques utile pour le pays et qui puisse faire consensus et remettre le pays sur de bon rails ?

Don Diego de la Vega : Cela va de pair avec le renforcement du parlement. Il faut s’appuyer sur nos pôles d’expertises et pas seulement sur l’Etat. Là aussi, il faut réunir toutes les parties prenantes, ainsi que des experts indépendants, des économistes spécialistes des dépenses publiques. Il faut aussi s’inspirer de ce que font les anglo-saxons. Et tout passer en revue. L’un des angles d’attaques, ce sont les associations. On distribue 40 milliards par an, dans un climat d’obscurité très fort. De manière générale, il faut réussir à s’attaquer aux gros morceaux, à commencer par la véracité des comptes publics. Il faut faire le point sur l’hors-bilan de l’Etat, les dépenses des ministères, les transferts sociaux. Tout cela va prendre beaucoup de temps. On se rendra probablement compte que l’on fait trop de choses et que qui trop embrasse mal étreint. Il faudra sans doute opérer des chocs de simplification. Lutter contre l’inflation législative sera utile. Cela demande aussi de se mettre d’accord sur la situation de base, là d’où on part, pour savoir où l’on veut aller. C’est ce qu’on aurait dû faire depuis 30 ans.

IMMOBILIER

Dans une situation politique et sociale complexe, comment mener un plan logement utile pour le pays et qui puisse faire consensus et remettre le pays sur de bon rails ?

Don Diego de la Vega : L’immobilier est un point important, mais rarement consensuel. Il faut construire plus, c’est la seule façon de faire baisser les prix. Mais les rentiers et les écologistes sont rapidement vent debout. D’autre part, la période est compliquée car il y a une hausse des taux qui n’est pas favorable à la construction. Il faut essayer de trouver le moyen que les gains de bien être liés à la construction de plus de logement soient répartis pour que les oppositions y trouvent leur compte. Une manière soit de les amadouer, soit de les contourner, etc. Le problème, c’est que les écologistes sont souvent dans une opposition idéologique sur ce sujet. Pourtant, construire c’est une manière de faire baisser les prix et donc de permettre à des classes plus populaires de se loger. Et il faut amadouer les bourgeois, mais comme ils ont largement profité de la hausse des prix de l’immobilier, il serait malvenu de les indemniser.

Charles Reviens : Pour répondre à la question on peut d’appuyer sur le questionnement classique de la démarche qualité notamment dans le secteur industriel.

« situation politique et sociale complexe »

Le titre de l’article du Figaro de Vincent Trémolet de Villers résume bien la configuration politique et sociale suite à la réforme des retraites : « la victoire et le malaise ». Certes la réforme a franchi toutes les étapes du processus institutionnel avec la validation des éléments essentiels de la réforme par le Conseil constitutionnel et la promulgation de la loi la nuit suivante. La question est de savoir s’il ne s’agit pas d’une victoire à la Pyrrhus : manifestations de masse, opposition d’une très grande partie de l’opinion (sauf les retraités auxquels la réforme ne s’applique pas), dégradation importante de l’image de l’exécutif dans l’opinion publique. D’où la nécessité de reprendre la main et le logement peut dans ce contexte être considéré comme un bon sujet.

« situation du logement en France »

Selon les derniers comptes du logement publiés et portant sur l’année 2021, la « dépense nationale en logement » représente 22 % du PIB, un niveau stable depuis 2010 mais qui avait beaucoup progressé sur les deux décennies précédentes puisqu’il se situait à 19 % en 1990.

On constate en outre que la dépenses de consommation des ménages français dans le champ du logement est particulièrement élevée à 27,6 % du total contre 25 % en moyenne dans l’Union européenne, la 6ème dépense la plus élevée de l’Union (derrière la Slovaquie, la Finlande, le Danemark, l’Irlande et la Tchéquie) et de très loin la dépense la plus élevée des 5 pays les plus peuplés de l’UE (Allemagne/Espagne/France/Italie/Pologne) selon les données Eurostat.

Les loyers qui représentent la composante la plus élevée de la dépense s’établissent ainsi à 19.7 % de la dépense des ménages en France contre 17.5 % en Allemagne. On peut s’interroger sur la pertinence pour le bien commun d’une dépense plus élevée puisqu’au final un logement rend globalement le même service indépendamment de son loyer et de son prix.

Sur le plan politique, on ne peut que constater que le logement n’est pas très présent dans le débat public général et a été largement absent des débats des dernières élections nationales de 2017 et 2022. C’est donc un sujet majeur dans son importance économique et social mais un nain politique. Cette situation n’empêche pas que l’agenda médiatique logement soit dominé par certains acteurs, par exemple la Fondation Abbé Pierre, seule organisation logement à laquelle Emmanuel Macron ait accordé un entretien lors des débats présidentiels de 2022 et qui pousse le débat logement principalement vers les enjeux de mal logement, de logement social et d’hébergement. Christophe Robert (interviewer d’Emmanuel Macron en 2022) de La Fondation Abbé Pierre est d’ailleurs co-animateur du CNR-logement (conseil national de la refondation).

Absence de consensus sur le logement

Charles Reviens : Par ailleurs le logement constitue un domaine très idéologisé et donc clivant dont lequel on peut identifier différentes tendances ou écoles ;

priorité aux locataires et au logement social traditionnellement portée par la gauche ; cette tendance a été poussée à son paroxysme par Cécile Duflot, ministre EELV du logement entre 2012 et 2014 et qui portait en la matière un discours essentialiste et manichéen opposant les « gentils » locataires et bailleurs sociaux aux « méchants » propriétaires privés et professionnels de l’immobilier ;

accent sur l’accession à la propriété porté historiquement par la droite ;

approche « keynésienne » poussant à l’investissement permanent dans le logement portée par les fédérations professionnelles ;

renforcement constant sur les quinze dernières années des préoccupations liées au développement durable et au changement climatique.

Donc tout plan d’action sur le logement fera des heureux et des malheureux sur le plan idéologique.

Quel plan d’action ?

Charles Reviens : On peut ici proposer deux pistes d’action :

la recherche d’une mise en cohérence globale de l’écosystème logement français, écosystème qui juxtapose par exemple un secteur locatif social administré par les pouvoirs publics dans ses moindres détails et un secteur privé de logement, notamment le marché de l’acquisition dont le niveau de régulation est en général plus faible que dans de nombreux pays, par exemple si l’on pense aux règles de limitation voire d’interdiction d’acquisition d’immobilier par les non-résidents en place en Suisse ou en Thaïlande ; cette dérégulation est à l’origine de l’expulsion des classes moyennes et des natifs de certains territoires comme nous l’indiquent par exemple Christophe Guilluy et Jérôme Fourquet ;

la question de l’accession à la propriété des jeunes, qui sont de fait exclu de ce marché compte-tenu des niveaux de prix ; du fait de cette situation, il ne faut pas s’étonner du succès massif de Jean-Luc Mélenchon sur cet électorat en 2022.

PARTICIPATION

Atlantico : Dans une situation politique et sociale complexe, comment mener un plan d’amélioration de la participation utile pour le pays et qui puisse faire consensus et remettre le pays sur de bon rails ?

Don Diego de la Vega : C’est un sujet relativement consensuel, mais qui va à l’encontre de l’état profond. Le problème c’est que dès qu’il s’agit de mettre en œuvre la participation, il n’y a  plus personne. Il faut réussir à se rapprocher d’un modèle suisse, ou américain. Il faut réussir à organiser une démocratie au quotidien. Le problème, c’est que cela va retirer du pouvoir à d’autres instances. Il pourrait être bon que les juges soient élus. Les grandes nominations devraient relever de l’élection, mais ça ne fait pas partie de notre culture politique à l’heure actuelle. La participation peut aussi être plus directe, par le référendum d’initiative populaire. Mais augmenter la participation, cela peut aussi améliorer le parlement tel qu’il existe aujourd’hui. S’assurer que le parlement contrôle mieux les comptes publics, nomme, par exemple, les membres du Conseil constitutionnel, etc. Il faut lui donner des moyens supplémentaires d’évaluation. On pourrait par exemple rattacher la Cour des Comptes au Parlement.  Il faut donc trouver un moyen de réduire le fait majoritaire pour que la majorité soit moins composée de députés godillots. Cela aidera à effacer le sentiment que les gens ont de vivre dans une fausse démocratie.

Mais la participation c’est aussi la participation en entreprise, autour des notions d’intéressement, etc. pour qu’il y ait une forme de démocratisation dans le champ professionnel.  Cela veut dire faire qu’il y ait plus de capitalistes, car ils seraient propriétaires d’action. Il faudrait que la génération de profits ne laisse pas les salariés comme spectateurs. C’est une mesure qui plaira aux gaullistes, qui ne devrait pas avoir trop d’opposition à droite, au centre et même dans une partie de la gauche. En revanche, à l’extrême gauche et notamment chez les communistes, ce n’est pas audible. On peut néanmoins lui expliquer que c’est la meilleure solution pour avoir des augmentations de niveau de vie. Le champ d’augmentation du salaire est très réduit, entre la concurrence chinoise, la robotisation, etc. En revanche, les profits, eux, se portent bien. Pour mettre en place cette participation, il faut mettre tout le monde autour de la table, y compris les syndicats. C’est le bon moment pour le faire car ils ont été humiliés. Il faut expliquer au patronat qu’on a besoin de salariés plus modifiés. Et expliquer aux partenaires sociaux que les augmentations de salaire sont illusoires. Ensuite, il faut éliminer les freins réglementaires et fiscaux qui gênent la mise en place d’un tel processus.  Le gouvernement pourrait encourager le mouvement en s’engageant à ne pas taxer. Tout cela permettrait de convaincre les patrons de partager le profit.

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