La nicotine, cette machine à produire des sensations positives qui neutralisent la perception des risques du tabac<!-- --> | Atlantico.fr
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Journée mondiale contre le tabac ce jeudi.
Journée mondiale contre le tabac ce jeudi.
©Flickr/Fried Dough

Journée mondiale contre le tabac

Journée mondiale contre le tabac ce jeudi. Alors que les fumeurs savent que la consommation de cigarettes tue, ils continuent à fumer. L'explication touche à notre cerveau...

Pierre Prince

Pierre Prince

Pierre Prince est un médecin spécialisé en neurologie. Il est expert à la Cour d'Appel de Montpellier depuis 1981.

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Les risques du tabagisme sont bien connus. Indépendamment du cancer du poumon, le plus médiatisé, il y a des complications respiratoires graves notamment des bronchopneumopathies obstructives, des insuffisances respiratoires sévères, des complications cardio-vasculaires qui sont plus fréquentes et au moins aussi graves, ainsi que des cancers urinaires, complications bien moins connues. Malgré ce, les fumeurs, bien que connaissant ses risques largement médiatisés par les campagnes de prévention continuent de fumer.

Il est vrai que ces  risques délétères ne surviennent qu’à long terme alors que la nicotine a un effet immédiat donnant des sensations positives. Effectivement cette substance mime l’action de l'acétylcholine, qui est un médiateur chimique cérébral favorisant notamment les processus mnésiques. Elle a aussi des possibilités de modulation d'autres médiateurs. Elle a un effet  parfois un peu paradoxal stimulant et anxiolytique à la fois, dans une stimulation positive, entrainant une augmentation des sensations de plaisir par des mécanismes divers dont une baisse du seuil de stimulation des circuits de récompense avec une augmentation de la dopamine qui potentialise les sensations hédoniques

Elle a aussi un rôle potentialisateur sur la dépendance à d'autres drogues, notamment l'alcool (dont elle favorise l’appétence) et le cannabis, avec une augmentation des effets sur les systèmes de récompense.

La nicotine donne aussi une sensation d'amélioration cognitive, avec une meilleure performance mnésique, des capacités d'attention accentuées, par une action d’augmentation de l’éveil cortical et une stimulation limbique, corrélées à une augmentation générale et régionale du débit sanguin cérébral et de métabolismes locaux objectivée par l'étude de la consommation du glucose observée comme augmentée dans certaines régions après prise de nicotine.

D’autres sensations potentialisent cette impression positive, notamment les perceptions olfactives, les sensations locales de chaleur  qui réveillent les réminiscences de perceptions du sein maternel et de l’écoulement chaud du lait satisfaisant l’angoisse de la faim du nouveau-né, renforçant ainsi un attachement positif et rassurant

Le tabac est donc utilisé comme potentialisateur d'émotions positives, bloqueur d'émotions négatives pour aboutir petit à petit à une habitude, émotionnellement neutre, et enfin à une dépendance sur laquelle les émotions n’ont plus que peu d'effets.

Les effets positifs sont immédiats, faisant relativiser voire ignorer des conséquences graves, connues mais plus tardives, notamment dans l’adolescence où le tabagisme débute le plus souvent, adolescence au cours de laquelle existe un certain fantasme d'invulnérabilité et au cours de laquelle aussi l'individu, dit-on,  « se pose en s'opposant », avec une réaction rebelle contre ce qu'il considère comme une injonction ou une moralisation, dans un comportement qui l’achemine peu à peu vers une dépendance. Le sevrage entraîne par ailleurs une anxiété, une perte de la sensation de plaisir voire des affects dépressifs, incitant aussi à la récidive.

Cette évolution a trois acteurs, l'environnement, le produit et le contexte. Ce qui fait qu’il y a de grandes variations individuelles quand à la résistance à cette intoxication. Il existe certains facteurs génétiques notamment dans le métabolisme d'une enzyme qui oxyde la nicotine, qui favorisera le sevrage et diminuera l'appétence au tabac s'il s'agit de métaboliseurs lents, avec un effet inverse sur les métaboliseurs rapides. D'autres cofacteurs psychologiques notamment la recherche de la nouveauté, une dépendance à la récompense, un évitement de la douleur, favoriseront la recherche des effets anxiolytiques et stimulants de cette substance

La recherche compulsive est un conditionnement qui entraine un comportement contraire au comportement que l'intoxiqué dit vouloir souhaiter, dans une attitude de d'action irraisonnée. Certains sujets, émotionnellement fragiles, notamment dans l'adolescence, sont plus sensibles à ce type d'intoxication d'autant qu'elle s'associe souvent à des intoxications par l’alcool et le cannabis, qui additionnent leurs effets.

Il y a donc des réactions qui échappent au raisonnement, certaines idées préconçues aussi lorsqu'on pense qu'il sera toujours temps d'arrêter alors que les effets sont cumulatifs, que chacune des cigarettes se rajoute à l'autre et qu'on ne se rendra compte que trop tard, lorsque les pathologies secondaires seront déjà évoluées, qu’on aurait dû les prévenir et moins écouter les sensations stimulantes perçues comme positives, des premières expériences toxiques

Le cerveau est une mécanique fine, qui réagit aux substances exogènes à sa manière, nous donne aussi des moyens de modifier nos comportements envers lesquels nous gardons notre libre arbitre qui malheureusement nous pousse à aller souvent, considérant uniquement les bénéfices immédiats, vers des lendemains qui déchantent.

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