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Cérémonie des Oscars : petite évaluation psychologique de l'Occident à travers les films hollywoodiens
©Reuters

Miroir, mon beau miroir...

Outre le fait d'être un divertissement particulièrement apprécié, le cinéma hollywoodien est un bon indicateur de la manière dont les Occidentaux perçoivent le monde, mais également dont ils se perçoivent eux-mêmes, comme en témoignent les thématiques abordées, la caractérisation des personnages, etc.

Michel  Bampély

Michel Bampély

Michel Bampély est docteur en sociologie de la culture à l'EHESS. Ses recherches portent sur les pratiques artistiques et les industries culturelles. Après avoir collaboré avec des maisons de disques comme Universal, Sony ou EMI, il dirige actuellement le label Urban Music Tour.
Sa thèse en sociologie, sous la direction de Jean-Louis Fabiani est intitulée "Sociologie des cultures urbaines : de la prise en charge des cultures urbaines par les industries créatives et les pouvoirs publics à leur transmission pédagogique dans l'enseignement supérieur".

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Atlantico : La La Land, Moonlight, Comancheria, Manchester by the sea, Fences, etc. : voici quelques-uns des films en compétition pour la 89e cérémonie des Oscars. Certains d'entre eux sont déjà de véritables succès en salles. Qu'est-ce que ces films, et plus largement l'ensemble de la production cinématographique hollywoodienne actuelle, révèle de la manière dont les Occidentaux perçoivent le monde ?

Michel Bampély : L’industrie cinématographique, comme toutes les industries culturelles, tient compte du marché, de la concurrence et des grandes tendances. Les superproductions hollywodiennes connaissent les goûts et les habitudes des publics qu’ils ciblent en menant des directions marketing finement élaborées. Les succès en salle que connaissent des films tels que La la Land, Moonlight, Manchester by the sea ou Fences ne dérogent pas aux règles des stratégies commerciales qui consistent à vendre des produits culturels à des consommateurs déterminés. Ces productions formatées connaissent pour la plupart d’entre elles des succès prévisibles, espérés, attendus par des actionnaires qui ont investi des capitaux de masse.

Le cinéma et la vision des réalisateurs influencent le public en jouant sur les émotions collectives. Les spectateurs doivent s’assimiler aux personnages et à leurs représentations du monde. Ce processus d’identification opère également dans le sens inverse où les réalisateurs puisent leur inspiration dans les grandes thématiques historiques et sociales de leur époque. Ce phénomène n’est pas propre au cinéma occidental et concerne le cinéma mondial. Les petits films indépendants, voire étrangers, à budget parfois modéré rencontrant un succès populaire inattendu en disent également beaucoup sur la manière dont les Occidentaux perçoivent le monde. La sociologie de la culture ne s’appuie pas uniquement sur l’hégémonie du cinéma de masse pour observer la société.

A travers la production cinématographique occidentale actuelle, quelles sont les angoisses de nos sociétés que l'on peut déceler ? A l'inverse, quelles informations ces films nous donnent sur ce qui fait rêver nos sociétés occidentales ?

Le cinéma met en image des symboles et des angoisses existentielles liées à la condition humaine comme la violence, l’injustice, la peur de la mort, l’abandon, la maladie, la haine de soi, d’autrui etc. Ces angoisses, déjà décrites dans la littérature, sont réadaptées au grand écran en produisant des émotions similaires sur le public. Mais le cinéma peut également mettre en lumière des angoisses collectives liées à notre ère industrielle et technologique comme la peur du déclassement ou l’effondrement de la société occidentale, dominée par une civilisation étrangère ou d’êtres venus d’un autre espace-temps. Les productions de films de super héros de Marvel et DC Comics reprennent ces thématiques, même s’ils ne sont jamais représentés à la cérémonie des Oscars. Et pourtant, ils font rêver l’Occident bien au-delà de ses frontières.

La fréquentation des salles de cinéma, malgré la crise économique, prouve que les sociétés occidentales rêvent toujours et aspirent naturellement à la prospérité matérielle, voire spirituelle promise par l’American Dream, la construction de l’Europe et l’industrialisation. Seulement, ces promesses s’effondrent à cause d’une mondialisation malheureuse qui crée au final une petite minorité de gagnants et une écrasante majorité de perdants, notamment dans les classes ouvrières et les classes moyennes blanches qui se croyaient à l’abri de la précarité. En revanche, il est tout à fait probable que dans les années à venir, la façon de "rêver" devant un film évolue avec l’arrivée de la réalité virtuelle qui proposera aux spectateurs de vivre des expériences d’immersion collective. 

Comment peut-on interpréter, à travers les films diffusés actuellement dans les salles de cinéma occidentales, le rapport qu'entretiennent nos sociétés occidentales à elles-mêmes ?

"Les fait sont têtus" comme disait Lénine dans sa lettre aux camarades de 1917. Pour donner un exemple précis, on peut relater l’expérience du président américain Donald Trump qui s’est créé des inimitiés profondes avec le monde du cinéma américain. Meryl Streep, lors de son discours aux Golden Globes, devant une salle remplie de stars hollywodiennes acquises, rappelait que de nombreux acteurs nommés cette année n'avaient pas uniquement que des ancêtres américains : "Hollywood grouille d'outsiders et d'étrangers. Si on les met tous dehors, vous n'aurez plus rien à regarder."

L’organisation de la cérémonie des Oscars, depuis l’appel au boycott des acteurs culturels comme Spike Lee ou Will Smith, a décidé d’intégrer parmi ses membres du jury davantage de femmes et de personnes issues des minorités ethniques. Le cinéma américain se nourrit de la mixité sociale pour se réinventer, se mondialiser et réaliser ses bénéfices. Certains professionnels du secteur portent des revendications paritaires et égalitaristes au sujet des rétributions de biens matériels et symboliques.

Ce grand défi sociopolitique concerne les sociétés occidentales dans leur ensemble. Le discours clivant de Donald Trump séparant les classes populaires entre elles lui a permis d’accéder à la Maison Blanche quand le cinéma cherche justement à dépasser ces clivages idéologiques. 

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