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Ce secret inconfortable qui se cache derrière (presque) toutes les réussites
©Pixabay

Bonne chance !

Une nouvelle étude menée par des chercheurs italiens vient établir le lien fort qui unit la chance avec la réussite personnelle - et financière - des individus.

Marie Duru-Bellat

Marie Duru-Bellat

Marie Duru-Bellat est sociologue spécialiste des questions d’éducation, professeur à l’IEP de Paris et chercheur à l’Observatoire Sociologique du Changement et à l’Institut de Recherche en Education (IREDU). Elle travaille sur les politiques éducatives et les inégalités sociales et sexuées dans le système scolaire.

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Atlantico : Une étude menée par trois chercheurs italiens et publiée sur le site internet de la bibliothèque de la Cornell University tend à démontrer que la réussite individuelle des individus est plus liée à la chance qu'au talent. L'idée selon laquelle on fait "fortune" uniquement par sa pugnacité et son talent est-elle vérifiée ? Le terme de fortune n'indique-t-il pas que la chance joue un rôle primordial dans tout enrichissement personnel ?

Marie Duru-Bellat :Il est astucieux de relever que le terme de fortune a deux faces et fait aussi bien écho à la fortune matérielle que la bonne fortune  que l'on appelle communément la chance. Les résultats de cette étude ne sont pas nouveaux même s'ils peuvent surprendre. Alors que je travaillais sur le mérite il y a presque dix ans (cf. mon ouvrage Le mérite contre la justice, 2009), une étude de l'économiste Branko Milanović étudiant les revenus des ménages à travers la planète, démontrait déjà qu'environ 60% de ce que gagne une personne s'explique par le pays où cette personne est née, et 20% par son milieu social d'origine ;  le reste est inexpliqué et on peut l’imputer à une combinaison de mérite de pugnacité et de talent personnel. A ma connaissance, ces études de Branko Milanović n'ont jamais été infirmées et attestent que les revenus d'une personne dépendent pour une grande part de la chance. C'est encore plus vrai pour les grandes fortunes évidemment.

Ce constat est très à rebours des idées que véhiculent nos sociétés dites méritocratiques dont l’idéologie conduit à penser que si les gens sont riches, c'est principalement à cause de leur talent et de leur travail acharné. Généralement ce sont d'ailleurs les mieux lotis à penser de cette manière. Heureusement d'ailleurs car si les gens qui ne gagnent pas beaucoup d'argent pensaient ainsi, même si beaucoup le font, ce serait très démobilisateur (ils se percevraient comme « non méritants »). On peut comprendre donc que cette croyance soit défendue par ceux qui sont du bon côté et par certains partis politiques chargés de représenter au mieux leurs intérêts.


En quoi cette étude pourrait remettre en cause le système méritocratique tel qu'on le connaît aussi bien dans la sphère professionnelle qu'universitaire ?

Cela ne remettra rien en cause. Il y a d'un côté ce que produisent les chercheurs et ce qui est acceptable socialement et défendu par tel ou tel groupe social ou politique. Ce n'est évidemment pas la science qui décide de ce qui va être promu par les partis politiques ou les gouvernants de manière générale. Il y a longtemps que les travaux, que ce soit en sociologie ou en économie,démontrent l'importance du facteur chance dans la réussite des individus sans que cela n'ait de conséquences. Mais il faut bien trouver une explication aux inégalités de fortune qui sont importantes.  Le "mérite" est un terme très abstrait qui est de ce fait une explication extrêmement commode pour expliquer les inégalités. En même temps la méritocratie est une composante importante de notre société et il est évidemment important d'enseigner à nos enfants qu'ils peuvent s'en sortir par le travail et que leurs horizons sont ouverts s’ils s’en donnent la peine.

En France il ya déjà eu un tournant à partir des années 80 lorsque nous avons mis l’accent sur l'égalité des chances avec certaines mesures. C'est un thème récurrent des politiques éducatives et quels que soient les partis, tout le monde défend cet idéal d'égalité.Mais réaliser l'égalité des chances alors que des enfants grandissent dans des milieux sociaux très inégaux n'est pas la tâche la plus évidente à remplir.

Comment assumer ce paramètre de chance dans nos réflexions pourrait nous conduire justement à provoquer la chance ?

Il est évident que si l'on ne fait rien, les opportunités arrivent plus difficilement. Mais plutôt que l'idée de provoquer la chance, le fait d'assumer ce facteur extérieur incite à défendre le principe même de l'Etat social et la nécessité de "filets de protection" comme les minimas sociaux. Le salaire minimum, la retraite, sont autant d'éléments qui font que les inégalités sociales se sont beaucoup moins développées ces dernières années en France par rapport au reste du monde et notamment les pays anglo-saxons. L’existence de ces filets de protection dans certains pays, et pas dans d’autres explique aussi en partie le fait que sur notre planète, les espérances de vie peuvent varier du simple au double. Au moment où notre modèle social est de plus en plus décrié il est de bon ton de remettre les choses en perspective.

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