Ce qui se cache derrière les procédures anti-israéliennes de l’Afrique du Sud à la Cour Internationale de Justice <!-- --> | Atlantico.fr
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Le procureur général adjoint d'Israël pour le droit international Gilad Noam, le conseiller juridique adjoint principal du ministère des Affaires étrangères d'Israël Tamar Kaplan Tourgman lors d'une audience à la CIJ à La Haye, le 17 mai 2024.
Le procureur général adjoint d'Israël pour le droit international Gilad Noam, le conseiller juridique adjoint principal du ministère des Affaires étrangères d'Israël Tamar Kaplan Tourgman lors d'une audience à la CIJ à La Haye, le 17 mai 2024.
©NICK GAMMON / AFP

Obsession ou trouble stratégie ?

Israël a répondu ce vendredi aux allégations de « génocide » portées par l’Afrique du Sud, devant la Cour Internationale de Justice à La Haye.

simone rodan

Simone Rodan-Benzaquen

Simone Rodan-Benzaquen est Directrice Générale d'AJC Europe.

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Atlantico : La plus haute juridiction de l'ONU a repris ses audiences jeudi et vendredi dans le cadre de la procédure d’appel suite à une plainte déposée par l'Afrique du Sud, qui accuse Israël de génocide lors de la guerre de Gaza et demande l'arrêt d'urgence de son offensive à Rafah. Quel bilan tirer de cette nouvelle étape judiciaire ? Quelle a été la ligne défendue par Israël dans la journée de vendredi ?

Simone Rodan-Benzaquen : C’est la quatrième fois que l’Afrique du Sud intervient sur le même sujet. Tout comme le Nicaragua, qui avait accusé l’Allemagne de participer à « ce génocide » et avait étalement été débouté, l’Afrique du Sud a de nouveau allégué devant le tribunal que l’offensive limitée actuelle d’Israël à Rafah constitue le ‘coup final’ de Jérusalem dans son effort pour commettre un génocide. Elle a demandé à la cour d’ordonner à Israël de mettre fin à son opération militaire. En réponse vendredi, l'équipe juridique israélienne a rejeté cette accusation grotesque accusant l'Afrique du Sud d'ignorer le fait qu'elle continue de faciliter le transfert de l'aide humanitaire à Gaza, et a déclaré que Pretoria tentait de détourner le droit international à travers la Convention sur le génocide pour que la CIJ "microgère" la guerre avec le Hamas, ce qui, selon les représentants d'Israël, dépasse largement le mandat de la cour.

Gilad Noam, adjoint du procureur général israélien pour le droit international, a argumenté que l'application de la Convention sur le génocide dans ce contexte était totalement inappropriée et abusive. Il a mis en évidence que le conflit armé, bien que tragique, ne constitue pas un génocide et que l'opération militaire à Rafah n'avait pas d'autre objectif que de détruire l'infrastructure militaire du Hamas et de libérer les otages. « Israël est parfaitement conscient du grand nombre de civils concentrés à Rafah. Il est également parfaitement conscient des efforts du Hamas pour utiliser ces civils comme bouclier", a déclaré M. Noam

L'équipe israélienne a informé la cour que le département juridique de Tsahal et une commission israélienne indépendante enquêtaient sur les incidents de conduite criminelle présumée par les forces israéliennes lors du conflit actuel, tandis que les agences d'application de la loi civile israéliennes ont décidé de mener des procédures légales concernant certaines expressions d'incitation par les citoyens. Cela, ont-ils dit, prouve que le système judiciaire d'Israël est parfaitement capable et prêt à s'attaquer à tout acte répréhensible pendant la guerre.

Pourquoi les accusations de la CIJ ne tiennent pas ? Qu’est-ce que cela révèle sur l’obsession des instances onusiennes vis-à-vis d’Israël ? Cela tourne-t-il à une forme d’acharnement ? Israël risque-t-elle d’être condamnée à l’issue de la procédure ?

Le génocide est une catégorie juridique définie par une convention adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948 et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale en 1998. Il consiste en des actes commis avec l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Il serait totalement extravagant de qualifier de génocides des bombardements qui atteignent des civils tout en visant des objectifs militaires, que ce soient ceux des bombardements anglo-américains d’autrefois pour permettre le débarquement, ou ceux d’Israël aujourd’hui pour venir à bout du Hamas.

L'accusation de génocide portée contre Israël s'inscrit en réalité dans une longue tradition de critiques souvent utilisées à des fins politiques plutôt que basées sur des critères juridiques de ce qui constitue un génocide selon le droit international. Ce motif d'accusation a été utilisé de manière récurrente pour intensifier les attaques politiques et idéologiques contre Israël et le sionisme.

Cette pratique trouve ses origines dans le contexte de la Guerre froide et des tensions politiques entre Israël et ses voisins, ainsi qu'au sein des forums internationaux. La résolution de 1975 de l'Assemblée générale des Nations Unies, qui qualifiait le sionisme de racisme, illustrait déjà cette stratégie qui avait pour objectif de délégitimer et diaboliser les fondements d'Israël. Bien que cette résolution ait été abrogée en 1991, le schéma de stigmatisation d'Israël a persisté et est devenu un élément récurrent dans les débats internationaux autour d'Israël.

Les conférences, comme celle de Durban contre le racisme en 2001, qui se sont transformées en forums accusant Israël de tous les maux, y compris de génocide, montrent comment les institutions onusiennes et non gouvernementales sont traversées depuis longtemps par une idéologie dangereuse, qui s'éloigne de l'universalisme et instrumentalise des causes louables contre le seul état juif.

Et bien sûr qu’il y a un problème dans les instances onusiennes. Depuis 2006, plus de la moitié des résolutions condamnatoires du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ont ciblé Israël, alors que des régimes tels que la Chine, Cuba et le Pakistan ont été élus à son plus haut organe de droits humains. Depuis 2015, l’Assemblée générale des Nations Unies a condamné Israël 140 fois, contre seulement 65 condamnations pour tous les autres pays combinés. La rapporteuse spéciale pour les territoires occupés, Francesca Albanese, a récemment publié un rapport outrancier sur « l’anatomie d’un génocide », se demandant publiquement si les attaques du 7 octobre ne sont pas des « actes de résistance » et mentionnant l’influence du lobby juif sur les États-Unis.

L'accusation de génocide, en plus d'être juridiquement infondée, est utilisée comme un outil contre Israël et plus largement les juifs. C’est un procédé extra dangereux, qui derrière des termes de droits humains, de droit international et d'antiracisme, masque un antisémitisme profond. Si Israël venait à être condamné pour génocide, cela viderait non seulement de tout sens la Convention de Genève sur le génocide, mais cela remettrait aussi en question les institutions qui ont été le fondement du monde depuis la Seconde Guerre mondiale. Cela mettrait en danger tout État armé occidental, forcé de se défendre contre une attaque terroriste, et institutionnaliserait également une forme d’antisémitisme contemporain dont on ne peut que craindre le pire.

Qu’est-ce qui se cache derrière les procédures de la Cour Internationale de Justice contre Israël ? Pourquoi l’Afrique du Sud s’est-elle autant investie dans cette procédure ? Des puissances étrangères sont-elles à la manœuvre derrière cette stratégie de la CIJ contre Israël ?

Il est difficile de l’affirmer avec certitude, mais ce qui est certain, c’est que l’Afrique du Sud s’est de plus en plus alignée avec la Russie et la Chine, renforçant ainsi son association avec le bloc économique des BRICS. Les cinq membres fondateurs, dont l’Afrique du Sud, se sont réunis à Johannesburg l’année dernière pour le 15e sommet du groupe. Lors de cette rencontre, ils ont convenu d’élargir le nombre de membres et, avec l’aide de l’Afrique du Sud, ont inclus l’Iran. Des experts estiment que les relations qui unissent l’Iran et le lobby anti-israélien en Afrique du Sud font partie de la stratégie de la République islamique pour disposer d’ « appuis stratégiques » en Afrique et gagner en influence au-delà du seul Moyen-Orient. Il y a une réelle opportunité pour l’Iran de tirer encore davantage parti des pays et des entreprises africains dans le but de contourner les sanctions de l’UE, des États-Unis et du Royaume-Uni. Le partenariat croissant de l’Afrique du Sud avec eux facilite cette démarche. L’allié de l’Iran, le Hezbollah, opère dans de nombreux pays africains, y compris en Afrique du Sud,. L’ANC a multiplié les contacts avec le Hamas ces dernières années. Depuis 2015, l'Afrique du Sud et le Hamas ont signé deux mémorandums d'entente pour coopérer dans la pression diplomatique et économique contre Israël. Lors d’une interview à la Carnegie Endowment, la ministre Pandor a déclaré (à un modérateur incrédule) qu’elle ne savait pas si l’Iran était un régime autoritaire. Elle a affirmé : “Je ne sais pas s’ils sont un régime autoritaire,” et lorsque le modérateur l’a interrogée à nouveau, elle a dit : “Je ne suis pas au courant — je n’ai pas cette définition dans mon registre.” »

De plus,selon l’organisation Foundation for Defense of Democracy, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, semble avoir un intérêt pécuniaire compromettant avec l'Iran qui remonte à plus longtemps – au moins deux décennies, lorsque l'entreprise qu'il dirigeait était impliquée dans un prétendu système de corruption et de trafic d'influence entre la République islamique d’Iranet son géant des télécommunications.

Les soupçons selon lesquels l’Afrique du Sud bénéficierait financièrement de son soutien au Hamas ont émergé avec le dossier de la CIJ. Cette démarche a soulevé des interrogations, notamment parce que le gouvernement sud-africain, pratiquement en faillite, dépensait des millions en frais de demande préliminaire à la cour et en coûts de préparation et d’argumentation de 10,5 millions de dollars pour un procès éventuel estimé à coûter environ 80 millions de dollars aux contribuables, selon des sources citées.

Le parti dirigé par Ramaphosa, l’ANC, n’avait qu’équivalent à 5 000 dollars sur son compte bancaire en novembre 2023 et a été incapable de payer ses propres employés pendant des mois. Une semaine avant de lancer son affaire à la CIJ, l’ANC a cependant annoncé le 22 décembre le règlement soudain de la dette de plusieurs millions de dollars et un accord avec les créanciers.

Paul Hoffman d’Accountability Now a observé dans une interview largement citée : ‘Si vous regardez l’interaction entre l’Iran et l’Afrique du Sud depuis l’attaque du Hamas contre Israël, nous avons eu beaucoup d’interactions, non seulement avec l’Iran mais aussi avec la direction du Hamas, qui a visité Pretoria. La ministre des Relations internationales a visité l’Iran et de là est venue la demande qui a été faite à la CIJ par l’Afrique du Sud. Et soudainement, les dettes ont disparu.’

L’ANC n’a pas souhaité discuter publiquement de l’accord. Selon le Daily Maverick sud-africain, Naledi Pandor, ministre des Relations internationales et de la Coopération d’Afrique du Sud, a nié que le Hamas ait financé l’affaire mais a déclaré qu’elle ‘n’avait pas vérifié auprès de l’ANC si l’Iran lui fournissait des finances’.

Enfin, nous sommes à moins de deux semaines des élections nationales en Afrique du Sud. L’ANC pourrait obtenir moins de 50 % des voix pour la première fois depuis la tenue d’élections libres et équitables en 1994. L’ANC voit dans cette affaire portée devant la CIJ l’occasion de reconquérir les électeurs musulmans qui votaient pour elle jusqu’en 2006. De nombreux électeurs musulmans ont voté pour le parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA). La DA bénéficie du soutien de la plupart des électeurs des minorités en Afrique du Sud, à savoir les électeurs blancs, les électeurs de couleur (le terme « couleur » est utilisé de manière non discriminatoire en Afrique du Sud pour désigner les personnes d’origine métisse) et les électeurs indiens. Ces communautés comprennent des électeurs juifs et musulmans, deux groupes très passionnés par cette question. L’ANC se sert de cette affaire comme d’un sujet de discorde pour tenter de récupérer le vote musulman de la DA. Le fait de se concentrer sur les questions internationales permet à l’ANC de détourner l’attention de ses faiblesses intérieures. L’économie est en difficulté, le chômage, en particulier celui des jeunes, est très élevé. Les infrastructures, et notamment l’approvisionnement en électricité, posent des problèmes majeurs.

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