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Ce que signifient vraiment les rêves étrangement réalistes que nous faisons davantage depuis le début de la pandémie
©Flickr

Imagination

En période de confinement, les rêves réalistes se multiplient. Pourquoi sont-ils d'autant plus présents en ces temps de crise sanitaire, d'isolement...? Que veulent dire nos rêves ?

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico.fr : Que sont les rêves "vivants" ? 

Pascal Neveu : Tout d’abord, il faut bien rappeler que les rêves fascinent les philosophes et les artistes depuis des siècles. Ils ont été considérés comme des messages divins (les interprétations de Joseph auprès du Pharaon, les rêves et prémonitions de la Pythie…), un moyen de libérer la créativité et, depuis l'avènement de la psychanalyse au 19ème  siècle, la clé pour accéder à notre inconscient.

C’est sans doute notre premier réflexe d’échange autour du petit déjeuner ou d’un café au bureau… Car ce monde qui nous échappe est entre la mort et le vivant… et peut-être des mises en garde des morts qui veillent sur nous.

Plus précisément, ces rêves « vivants » sont décrits depuis longtemps par les spécialistes. C’est ce qu’on appelle également des rêves lucides.

Le Professeur Isabelle Arnulf (auteure de « Une fenêtre sur les rêves », Ed. O. Jacob) de l’unité des pathologies du sommeil à La Pitié-Salpêtrière, avec laquelle j’ai eu la chance d’échanger lors de plusieurs émissions, les décrit comme la capacité d’un rêveur d’être capable d’introspection tout en maintenant une conscience éveillée sur son rêve, en l’orientant, et pouvoir agir sur son développement personnel

Cela permet d’ouvrir, de découvrir de nouvelles pièces de notre psychisme (d’ailleurs certains rêvent de nouvelles pièces dans une maison).

Lors de ces rêves, notre lobe frontal, sollicité dans les activités émotionnelles, de prise de conscience, intellectuelles… est alors plus largement activé.

Le travail du rêve amplifie donc notre capacité de créativité et de réactivité.

Ces rêves vivants ont une particularité : ils portent une force de vie intrinsèque qui échappe au rêveur et parlent de manière très frontale à celui qui le rêve et le conduit à « acter » son rêve, mais frappe également celui qui découvre par exemple une œuvre d’art. Car des peintres ont visionné leur future œuvre.

Qui n’a pas été interpellé par les tableaux de Jérôme Bosch, les gravures de Dürer, le monde de Dali… ? dont le contenu cauchemardesque, voire mythologique, nous rappelle les dédales de notre onirisme, à travers un inconscient collectif.

Comme l’artiste et nous-même nous noyons finalement dans des sentiments, entre rêve et réalité, comme la plupart d'entre nous, que nous l'admettions ou non, ou que nous l'ignorions à notre réveil, craignons mais vivons une forme d’anéantissement et d'oubli.

Un monde peuplé de masques, d’envolées, de chevaliers d’apocalypse, un tableau peut être cette fenêtre ouverte sur notre monde intérieur… cette inquiétante étrangeté qui nous parle tant.

Le rêve est donc une machine à créer. N’oublions pas que de nombreux écrivains, musiciens, chercheurs, prix Nobel, génies…  ont trouvé leurs réponses une nuit… en rêvant !

Autrement dit, le sommeil, les rêves, la remémoration des rêves… restent une activité cérébrale à part entière qui facilite l’exploration de nos facultés, afin de s’affranchir de nos propres limitations.

La créativité, c’est repenser un geste, un événement… en incluant de nouveaux paradigmes…  comme le rêve le permet. Car l’inconscient se moque de nos limites et interdits.

Pourquoi sont-ils d'autant plus présents en ces temps de crise sanitaire, d'isolement...? 

Même si Freud utilisait la formule que le rêve est la voie royale d’accès à l’inconscient… il faut le rapporter à un contexte.

Pour autant, neurologue qu’il est, il sait, et l’évolution des technologies médicales, des recherches en neurosciences, de l’imagerie médicale le prouve… qu’il existe 2 voies neuronales distinctes.

L’une sensorielle qui remonte toutes les informations (nos 5 sens) au cerveau.

L’autre motrice qui mène à une action après traitement par le cerveau.

Et ce qui nous intéresse, c’est justement le traitement de l’information par le cerveau qui est « l’organe » le plus fabuleux de notre organisme, car portant la mémoire. Une mémoire inconsciente infinie qui fait que chaque ressenti, chaque moment de notre vie est élaboré, traité, accepté, refoulé…

Le traitement de l’information est comparable à celui d’un ordinateur.

Le meilleur moment du traitement de notre vécu, des ressentis sensoriels, émotionnels… a lieu durant le sommeil. Seul le passage de la phase de sommeil paradoxal au réveil permet la mémorisation du rêve. Car nous rêvons toute la nuit.

Je pense qu’il faut tout d’abord différencier le fonctionnement cérébral du fonctionnement psychique, même s’il existe une interaction entre les deux. Le cerveau peut être comparé à un ordinateur qui donne une réponse suite à une stimulation. Le psychisme peut, quant à lui, être comparable à un serveur qui enregistre des milliards de données liées à notre vécu, notre environnement, nos connaissances, notre éducation, notre personnalité construite à travers notre identité… et qui va répondre de manière complexe en fonction de nos interdits, nos conflits, notre représentation du monde, nos angoisses…

En ce qui concerne la créativité, on sait, par exemple, depuis le début des années 2000, que le sommeil améliore les capacités d’apprentissage.

On sait également que les somnambules répètent la nuit des événements de la veille.

On a également identifié que des rêves anxieux (rater son train, être agressé…) sont des « entraînements » psychiques, d’anticipation face à un événement futur.

Sans doute est-ce un reste de notre cerveau reptilien, et d’époques lointaines où chasse, guerres, mécanismes de survie alimentaient notre vie psychique quotidienne.

Que ce soit chez les étudiants, les artistes, les sportifs, les dirigeants… non seulement les rêves, mais le fait de se rappeler ses rêves, de les revivre, amplifie notre organisation psychique et cérébrale via un dialogue intérieur : l’intériorisation du rêve (l’événement du rêve), son traitement (mon Moi face à cet événement ; le traitement des données par mon cerveau, ma mémoire, mes réussites, mes échecs, mes émotions positives et négatives…) et l’extériorisation du rêve (ma réponse à l’événement).

Dans un contexte de confinement, de mort planant au-dessus de nos têtes, confrontés à des proches malades ou décédés, d’angoisses multiples envers soi, pour ses proches, face à des discours non rassurants, la comptabilité quotidienne du nombre de morts, mais aussi l’isolement, l’incapacité ou la difficulté à pouvoir dialoguer, échanger avec des proches ou des spécialistes, à ne se parler qu’à soi-même, donc à ressasser toute la journée… le cerveau « rumine », creuse des « sillons » de pensées récurrentes qui font que la nuit, la pensée travaille et doit tenter de gérer une multitude d’informations, voire les mêmes quotidiennes… induisant une vie onirique encore plus étrange que d’ordinaire.

L’issue sont des sommeils perturbés, décrits dans la littérature clinique, des cauchemars ou rêves différents… L’usine à rêve étant le cerveau, lui-même confiné, nous avons tous eu des nuits différentes et des moments d’envolées « créatives » ou non, en tout cas de pensées qui nous interpellaient.

Peut-on s'attendre à une baisse du nombre de ce type de rêves une fois la vie habituelle retrouvée ? Ou le cerveau s'habitue-t-il à rêver d'une certaine manière ?

Oui, car le retour à la normale fera que le cerveau va recommencer à traiter des informations et sensorialités plus importantes que celles d’un « hamster dans sa cage », si je peux me permettre de l’imager ainsi.

La machine cérébrale et onirique va redémarrer comme nous commençons progressivement à redémarrer.

Alors cela peut provoquer des « réactions » oniriques intéressantes.

D’autant plus que le champ du désir et du plaisir, du retour à la vie va s’ouvrir.

Rappelons-nous comment cela fonctionne, même si de nombreux détracteurs anti psychanalystes vont contester cette approche.

Lorsque Freud appose un point final au manuscrit de sa Traumdeutung (l’interprétation des rêves) en fin d’année 1899, il a la prétention d’inaugurer le XXème siècle pour présenter la psychanalyse et une théorie du psychisme qui repose sur l’existence d’un monde auquel nous n’avons pas accès. Les rêves seraient « la voie royale d’accès à l’inconscient ».

Quatre principes ressortent de la théorie freudienne :

- il existe un contenu manifeste du rêve (le récit du rêve) et un contenu sous-jacent, dit latent (le sens réel du rêve) qui échappe au rêveur, et qui peut être interprété par associations-libres du rêveur.

- tout rêve exprime la réalisation d’un désir (non acceptés, non avoués consciemment)

- la production du rêve tient sur la satisfaction de ces désirs, par des voies détournées qui « déguisent » nos véritables pensées.

A cette fin, le psychisme se sert d’un processus primaire par déplacement, condensation et mise en image de nos désirs, puis d’un processus secondaire créant une cohérence acceptable de notre pensée psychique, rendant méconnaissable le sens latent du rêve.

- tout rêve reste individuel et son interprétation singulière du rêveur.

Il reconnaît des rêves « typiques », tels des rêves de mort d’être proches ou de soi-même, de sexualité, mais butera sur cette question de l’existence de rêves symboliques, auquel répondra Carl-Gustav Jung quelques années plus tard.

Freud a le mérite de défendre l’idée que des conflits psychiques peuvent expliquer certains comportements.

Contrairement au discours académique qui pense que le rêve tire son origine d’un affaiblissement cérébral, il défend la thèse que le rêve est lié à une suractivité du psychisme qui tente de trouver une issue à l’opposition entre désirs et interdits.

Dès 1892 Freud pense une élaboration des rêves liée aux événements de la veille du rêve.

C’est la raison pour laquelle il pense que le rêve n’est avant tout que satisfaction de désirs non satisfaits à l’état de veille.

Les disciples de Jung pensent, eux, que le rêve est un révélateur de notre transformation psychique.

Cette lecture du rêve ouvre des liens avec ce que la neurologie est capable d’expliquer de manière scientifique.

Notre psychisme et notre cerveau interagissent face à ce qu’est la vie, et nos événements de vie… et la façon dont nous devons y répondre.

Tout ceci est un résidu historique de l’interprétation des rêves, par les oniromanciens… alors que seul le rêveur détient la clef.

D’ailleurs les Grecs ne disaient-ils pas eux-mêmes : « Jai vu un rêve »… et non « J’ai fait un rêve ».

Comme nous pourrions faire référence à Gustave Moreau, à Odilon Redon dont les rêves ont permis leurs fabuleuses illustrations et dessins, l'idée est que tout dans votre rêve fait partie de vous, donc vous saurez ce qu'ils vont dire et vous pourrez ainsi mieux vous comprendre.

Comme s’il fallait simplement dessiner nos rêves, dans tous les sens du terme.

La vision de rêve d'Albrecht Dürer (1525) est la première représentation connue dans l'art occidental du rêve personnel d'un artiste. L'aquarelle, apparemment produite à la hâte au réveil, montre un déluge d'eau descendant du ciel pour l'engloutir. Et il écrit : « Je me suis réveillé tremblant dans tous les membres et il m'a fallu beaucoup de temps pour récupérer »…

A nous d’en faire un rêve « vivant » en ce moment terrible et cauchemardesque de notre existence.

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