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Ce que les nouveaux mots du dictionnaire disent de notre état psychologique collectif
©LUDOVIC MARIN / AFP

Ce n'est pas brillant

Bigoxerie, bore out, le Larousse a ajouté 150 nouveaux mots à son dictionnaire. Cet ajout en dit long sur l'état de notre société.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico :  Le Larousse vient de rendre public les 150 nouveaux mots qu'il comptait ajouter à sa nouvelle édition de son célèbre dictionnaire. Parmi eux, on trouve de nombreux mots qui ont trait à de nouveaux comportements sociaux ou des angoisses personnelles. Ainsi de la bigorexie (addiction au sport), le bore out (syndrome d'épuisement professionnel par l'ennui), le survivalisme (mode de vie de ceux qui se prépare à un catastrophe), l'obsolescence programmée, la malbouffe, la biopiraterie... Ces nouveaux mots racontent-ils la montée d'une société angoissée, que ce soit par son présent tout comme son avenir ? 

Jean-Paul Mialet : Les mots, a-t-on dit, façonnent la pensée. Les esquimaux  disposent d’un grand nombre de mots pour le blanc, et sans doute ne perçoivent-ils pas le blanc comme nous autres qui ne vivons pas dans le même environnement.  Chaque culture se donne un lexique influencé par son milieu et ce lexique a en retour une influence sur la façon dont l’individu le perçoit. Mais ce lexique n’est pas figé ; à l’inverse des langues mortes, les langues vivantes se renouvellent. L’environnement change, le bain culturel évolue. Et certains mots tombent en désuétude,  tandis que d’autres apparaissent. Ces mots nouveaux donnent une idée des modes et des préoccupations de la culture qui les emploie.

Selon Bernard Cerquiglini, l’éminent linguiste qui intervient dans le comité de sélection des mots retenus, l’évolution du vocabulaire ces dernières années traduit une montée d’une inquiétude : « malbouffe », « obsolescence programmée », « biopiraterie » en disent long sur un environnement que l’on soupçonne de malveillance. L’inquiétude atteint son point extrême dans le « survivalisme », un mode de vie que développent ceux qui se préparent à des catastrophes naturelles. L’obsession de la  « défonce » sportive fait également son entrée dans le nouveau lexique avec la « bigorexie » - un mot trompeur car  les progrès de la « malbouffe » et les obésités qui deviennent si nombreuses auraient pu tout aussi bien produire ce nouveau vocable que l’addiction au sport.  Enfin,  à l’opposé de cette obsession de la performance que recouvre la « bigorexie », mais qui peut également, chez des workhoolics, conduire au « burn out » quand la « charge mentale » est excessive, on compte à présent de nombreux « bore out », correspondant à des formes de dépressions produites par l’ennui au travail.

Au regard de cette sélection de mots, qu'est-ce qui selon vous caractérise l'individu moderne ? 

A travers les mots choisis, on ne peut que constater combien notre société se montre défiante par rapport à son environnement, un environnement qu’elle tente de préserver au mieux par le « locavorisme » (consommation des fruits et légumes de saison pour  aider le développement durable) et dont elle respecte les espèces animales, allant jusqu’à refuser d’établir toute hiérarchie entre elles dans l’ « antispécisme ». Parallèlement à cette défiance pour les dégâts d’un consumérisme qui n’a pas su respecter la nature et qui de plus lui propose des produits intentionnellement gâtés,  pour obliger à leur renouvellement, l’individu moderne sembler se replier sur lui-même pour échapper à un présent dénaturé et à un avenir cataclysmique. Mais seul avec lui-même, il est guetté par un vide qui le mène volontiers à un ennui profond. A moins qu’il ne s’il ne se jette dans une activité intense quiapparaît alors comme un étourdissement. Heureusement, surgissent aussi dans le nouveau vocabulaire des mots qui indiquent  un sens collectif : « ecoquartier », « co-voiturage ». Tout n’est pas perdu ! En retrouvant le sens du lien par solidarité face aux menaces, qui sait si l’individu moderne n’en viendra pas à sortir de lui-même ?

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