Ce que les cinq grands procès de Jacques Vergès révèlent de l’homme qu’il était<!-- --> | Atlantico.fr
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Jacques Vergèes est décédé jeudi à 88 ans
Jacques Vergèes est décédé jeudi à 88 ans
©REUTERS/Jacky Naegelen

L'avocat du diable

Jacques Vergès, un des avocats les plus controversés et redoutés du barreau de Paris, est mort ce jeudi à Paris à l'âge de 88 ans de causes naturelles. Cinq des procès qui ont fait sa célébrité sont décortiqués par l'avocat Francis Chouraqui.

L'un des plus grands avocats français des dernières décennies est décédé. Jacques Vergès est mort ce jeudi à l'âge de 88 ans. Il était surtout connu pour avoir régulièrement pris pour cibles l’État, la société ou la Justice. Pour défendre une cause autant qu'un client, cet avocat médiatique et narcissique, fin lettré, petit et rond, aimait provoquer et déstabiliser. La vie de Jacques Vergès a été très remplie. Il fut résistant, encarté au PCF qu'il quitte en 1957 car "trop tiède" sur l'Algérie, militant anti-colonialiste - il épousera d'ailleurs Djamila Bouhired, héroïne de l'indépendance et poseuse de bombes du FLN algérien, condamnée à mort mais finalement graciée -, il s'était imposé comme le défenseur de personnalités condamnées par l'Histoire.

Voici ce qu'en pense Francis Chouraqui, avocat notamment de Bernard Tapie, qui en dresse un portrait et analyse les cinq grands procès qui ont marqué la carrière de Jacques Vergès.

"Je ne le connaissais pas personnellement même si nous nous sommes croisés dans deux ou trois procédures. Je n’étais absolument pas sensible à son charisme ni à son charme. En revanche, ce que je sais de lui me le rendais profondément antipathique. Je considère que Jacques Vergès était un dévoiement de la profession d’avocat. Il faisait un show médiatique autour de sa personne qui n’a strictement rien à voir avec la profession. Quand on faisait appel à lui c’était en raison justement de son succès médiatique et non de ses connaissances juridiques ou autres. Je ne dis pas qu’il était un mauvais avocat mais son vrai fonds de commerce était, à mon sens, sa capacité médiatique à faire de la mousse autour des sujets dont il s’emparait. Autour des affaires qu’il héritait, il faisait sa propre publicité. Je n’ai strictement aucune forme d’admiration pour ce type d’individu".

Jacques Vergès et le FLN

Jacques Vergès est connu pour avoir été très engagé dans la guerre d’Algérie. Jusqu’à devenir l’avocat du FLN et à en défendre ses combattants. Il est notamment l’avocat  de l'emblématique Djamila Bouhired (qu’il épousera d’ailleurs plus tard), qui avait été capturée par les paras français, torturée puis jugée et condamnée à mort pour attentat à la bombe durant la guerre. A-t-il bien fait d’accepter un tel procès ?

Francis Chouraqui : C’est un sujet délicat mais je peux comprendre, et je comprends, la position des avocats qui ont défendu ce qu’on appelle les « résistants » ou les « terroristes » du FLN. Cela fait partie à mes yeux des causes honorables qu’il a pu défendre. Je pense que cela faisait partie de ses réelles convictions. Il était ce qu’on a appelé un anticolonialiste. Ce procès était donc dans la logique de ses convictions et il a défendu les personnes en question avec talent. Car quoi que je pourrais dire sur lui, c’était certainement une personne qui avait du talent.

Que peut-on dire de sa plaidoirie de l’époque ?

Soyons juste, je ne peux pas répondre à cette question car je n’ai pas assisté au procès. En revanche, ce que l’on peut dire c’est que dans le souvenir collectif  il a inventé ce qu’il a appelé lui-même « la défense de rupture ». Cela consiste à s’opposer et à décentre le procès sur d’autres choses. Ça, il l’aura fait avec beaucoup de talent, c’est indéniable. C’est d’ailleurs l’une des raisons de son succès. Les gens ne s’adressaient à lui non pas en raison de ses qualités de défenseur mais grâce à sa capacité à faire de la mousse tout autour, sur des sujets annexes.

Auriez-vous procédé de la même manière que lui ?

Il est compliqué de répondre à cette question. Je sais que c’étaient des procès qui, par nature, étaient extrêmement difficiles car émotionnels. A l’époque, il s’agissait de territoires français et il y avait une guerre à l’intérieur de ces territoires. Il y avait des positions très tranchées de part et d’autre, des drames de part et d’autre. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il est heureux qu’ il y ait eu à cette époque des avocats français pour défendre les personnes en question.

Jacques Vergès et le procès du "boucher de Lyon"

En mai 1987, devant la cour d'assises du Rhône, le procès du criminel de guerre nazi Klaus Barbie débute. Celui qui est à l’époque appelé le « boucher de Lyon » est défendu par Jacques Vergès. À l'issue du procès, Klaus Barbie est condamné à la prison à perpétuité « pour la déportation de centaines de juifs de France et notamment l'arrestation, le 6 avril 1944, de 44 enfants juifs et de 7 adultes (...) et leur déportation à Auschwitz ». A-t-il bien fait d’accepter un tel procès ?

Je suis en total opposition avec le positionnement de Jacques Vergès à l’époque. J’estime que c’est de l’ignominie à l’état pur. Klaus Barbie était une pourriture à l’état pur et je ne peux pas concevoir de le défendre. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le défendre. Peut-être que tout homme, et le diable lui-même, a sans doute besoin d’un défenseur. Cependant, la manière dont il a été défendu me paraît une ignominie.

Dès lors que peut-on dire de sa plaidoirie de l’époque ?

A mon sens, c’était indéfendable. Dans ce cadre-là. La première des défenses est celle qui consiste pour l’accusé à demander pardon. C’est-à-dire de reconnaître ses fautes et à demander pardon à ses victimes. Ce qui ne fut pas le cas de Klaus Barbie. Défendre des ordures pareilles oui, mais seulement si elles sont dans la contrition. Et non si elles persévèrent dans l’idée que leur combat était juste. Jamais le combat des nazis n’a été juste. J’estime que la première dimension de la défense est de faire en sorte que l’inculpé prenne suffisamment conscience de l’ignominie de ce qu’il a pu commettre pour demander pardon à ses victimes. C’est dans ce cadre-là que l’avocat peut remplir sa fonction.

Auriez-vous procédé de la même manière que lui ?

Comme je viens de l’indiquer, non. Je ne dis pas que cette ordure ne devait pas être défendue. Mais je répète : la première des défenses est celle qui consiste à obtenir de la part de l’accusé qu’il se repente de ce qu’il a fait. Il faut regarder cela sous l’angle des victimes et non sous celui des accusés.

Le procès Carlos

Le procès du révolutionnaire Carlos en1997. Celui-ci  est accusé d'avoir été l'organisateur de quatre attentats : le 29 mars 1982, dans un train Paris-Toulouse ; le 22 avril 1982, devant le siège du magazine Al-Watan Al-Arabi, rue Marbeuf à Paris ; le 31 décembre 1983 à la gare Saint-Charles de Marseille et dans un TGV Marseille-Paris. A-t-il bien fait d’accepter un tel procès ?

Pour moi, cela procède d’un fonds de commerce de rupture consistant à choquer le bourgeois et à défendre l’indéfendable. Et qui plus est à bien en vivre. Ici, l’accusé est le monde capitaliste et ce que Vergès considérait comme des ignominies. Mais au milieu de tout cela, lui-même en vivait bien. Je ne peux pas approuver ce type de défense.

Que peut-on dire de sa plaidoirie de l’époque ?

Il faut la remettre dans la dimension suivante : d’abord, cela dépend si vous vous adressez à des magistrats professionnels ou à des jurés. Si vous vous adressez à des jurés, c’est-à-dire des quidams qui par le coup du sort se sont retrouvés convoqués, évidemment ils ne sont pas sensibles aux mêmes arguments. Ils n’ont pas la même sensibilité que des magistrats professionnels. Devant ces derniers, la plaidoirie est nécessairement plus technique, moins passionnelle, émotionnelle.

Auriez-vous procédé de la même manière que lui ?

Personnellement, je ne l’aurais pas défendu. J’aurais fait jouer ma clause de conscience. Heureusement que les avocats ont la possibilité de le faire dans certains cas. J’estime en effet que son combat était un combat ignoble. Si je ne suis pas en adhésion avec les gens que je défends, je ne vois pas comment il est possible de les défendre. C’est en tout cas comme cela que je raisonne.

Le procès des Khmers rouges

Khieu Samphân est un homme politique cambodgien, chef de l'État du Kampuchéa démocratique de 1976 à 1979. Il est l'un des théoriciens et des dirigeants du Parti communiste du Kampuchéa, l'organisation suprême, responsable entre 1975 et 1979 de la mort d'environ 1,7 million de Cambodgiens. Arrêté en novembre 2007 et mis en examen pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre, il a notamment été défendu par Jacques Vergès qu'il l’avait croisé à Paris dans les années 1950. A-t-il bien fait d’accepter un tel procès ?

Là, on est dans le comble de l’ignominie. Avoir pu défendre cette horreur absolue, qui n’a rien à envier au nazisme ou aux goulags communistes, et que l’on puisse trouver des arguments et faire sa propre promotion à travers cette affaire, je trouve cela insupportable.

Que peut-on dire de sa plaidoirie de l’époque ?

J’avoue ne pas m’en souvenir et je n’y ai pas assisté, difficile donc pour moi d’en parler. Je ne peux pas porter de jugement. Cependant, je porte un jugement sur le principe. Je ne pense pas que tout soit défendable. Ce sont des régimes de tortionnaires et je trouve cela étrange que l’on puisse trouver des avocats qui soient prêts à défendre une cause pareille. C’est inacceptable.

Auriez-vous procédé de la même manière que lui ?

Je ne l’aurai jamais défendu.

L'affaire Omar Raddad

Omar Raddad est en 1991 accusé  d’avoir tué Ghislaine Marchal dont il était le jardinier. Il a été reconnu coupable par la Justice alors même qu’il n’a cessé de clamer son innocence. En 1994, défendu par Jacques Vergès, il est condamné à 18 ans de prison. Il bénéficiera d’une grâce présidentielle en 1998. A-t-il bien fait d’accepter un tel procès ?

Oui. J’ignore si Omar Raddad était coupable ou  non. Cependant, les faits à l’époque étaient totalement accablants. La victime ayant elle-même désignée son assassin. Dès lors, je ne peux qu’approuver ce qu’il a fait. C’est vrai qu’après, il a fait un battage formidable pour obtenir la grâce présidentielle. Mais peu importe. Dans le cas présent, Jacques Vergès a fait son travail d’avocat dans le sens le plus noble du terme.

Que peut-on dire de sa plaidoirie de l’époque ?

Soyons juste, c’était un dossier indéfendable. La culpabilité était absolue. Il était pratiquement impossible d’obtenir un acquittement. Mais ce qu’il a fait reste tout à fait admirable puisqu’il a obtenu, pour des raisons de pressions diplomatiques notamment, la grâce présidentielle. C’est ce qui me paraît intéressant d’ailleurs dans sa personnalité : cette ambiguïté complexe - être une pourriture absolue d’un côté et avoir de tels talents d’avocat de l’autre. Il s’est d’ailleurs lui-même défini comme un salaud lumineux. 

Propos recueillis par Maxime Ricard

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