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Ce que la France aurait à gagner à observer le modèle estonien de l’Etat tout numérique
©RAIGO PAJULA / AFP

E-stonie

Depuis la chute de l'URSS, l'Estonie a parié sur le numérique. La dématèrialisaiton des services publics lui a permis entre autre de gagner en efficacité et relancer son économie. Pour plusieurs raisons, la France gagnerait beaucoup à s'inspirer de ce modèle.

Antoine  Picron

Antoine Picron

Antoine Picron est analyste en politiques publiques et chercheur à l'Institut Sapiens. Né en 1994, diplômé en droit de l’Université Toulouse 1 Capitole et de l’École d’Affaires publiques de l’Institut d’Études Politiques de Paris, il est passé par le cabinet de Conseil en stratégie Altermind, une société de conseil innovante mettant la puissance académique au soutien des dirigeants, ainsi que par le service économique de l’ambassade de France à Tallinn en Estonie. Antoine Picron a été rédacteur pour le journal de la faculté de droit de Toulouse, et est aussi chroniqueur occasionnel pour le blog « Trop libre » de la Fondation pour l’innovation politique.

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Atlantico : Dans une note publiée par l'institut Sapiens ce 11 juillet "L’E-stonie : modèle d’un état plateforme e-gouverné ", vous décrivez la situation d'un état qui est parvenu à se reconstruire sur une base numérique. Comment ce processus s'est-il mis en place en Estonie ? Quels ont été les moteurs de ce choix ? 

Antoine Picron : Comme les autres pays baltes, l’Estonie recouvre son indépendance en 1991. Les TIC ont rapidement été perçues par les pouvoirs publics comme le moyen d’acquérir non seulement un avantage compétitif vis-à-vis de pays face auxquels l’Estonie ne pouvait rivaliser au sortir de son indépendance mais aussi comme un moyen efficient pour fournir des services publics à l’ensemble de sa population. La transition démocratique et économique estonienne s’est dès lors accompagnée d’une transition numérique réalisée par le moyen de politiques volontaristes et partenariales avec la société civile.

Ce consensus autour des bienfaits du numérique a permis l’émergence d’un « Etat plateforme » fondé sur trois piliers. D’abord, la réduction de la fracture numérique tant dans son acceptation territoriale que générationnelle et sociale. Ensuite, la mise en place d’une identité numérique qui combine carte d’identité électronique et numéro d’identification numérique permettant d’accéder à l’ensemble des e-services publics comme privés. Enfin, le développement du X-Road, un système standardisé d’échange de données, décentralisé, qui permet une interopérabilité sécurisée d’une multitude de systèmes d’information publics et privés (925 institutions et entreprises publiques et privées pour 1190 e-services) et qui place au centre du e-gouvernement estonien le consentement de l’usager.

Comment évaluer les avantages, et les éventuels inconvénients de cette approche pour l'Estonie ? Le recul est-il suffisant pour en mesure la portée ?

Les avantages d’un tel modèle sont patents, pour le citoyen et pour l’administration.

Au-delà d’une approche coût - la dématérialisation de 99% des services publics permet des économies de l’ordre de 2 points de PIB - l’Etat plateforme estonien est fondé sur un objectif d’amélioration de l’action publique au profit de l’usager. Ainsi, à partir de leur identité numérique estonienne comme résidents peuvent enregistrer leur société en 18 minutes, accéder à leurs prescriptions médicales, utiliser la signature électronique, ou encore voter en ligne.

Par ailleurs, les pouvoirs publics estoniens capitalisent sur les outils numériques pour faire émerger un « Etat stratège 2.0 » répondant aux enjeux auxquels fait face l’Estonie. Dans une logique d’attractivité, l’Estonie a lancé en 2014, le programme « e-résident » qui confère l’accès à de nombreux e-services depuis l’étranger. Plus récemment, c’est par ses ambitions en matière de crypto-actifs envisagés comme source de financement public que l’Estonie s’est affichée.

L’Estonie se distingue aussi par la mise en place de régulations qui visent à catalyser les opportunités inhérentes à la révolution digitale sur son territoire.

Dans le secteur de l’économie collaborative par exemple, elle n’a pas cherché à réglementer l’accès des particuliers aux plateformes mais a préféré conclure avec celles-ci des accords ayant pour objet la transmission des données relatives aux revenus des particuliers. Autre exemple, dans le domaine de l’intelligence artificielle où une réflexion est actuellement en cours quant à l’opportunité d’octroyer la personnalité juridique à certains algorithmes.

In fine, accompagnée d’un environnement fiscal et réglementaire attractif, ces régulations ont favorisé l’émergence d’un écosystème de startups avancé avec des entreprises tels que « Skype », « Txfy » ou encore « Transferwise ».

Enfin, l’avantage comparatif estonien dans le domaine du numérique fait l’objet d’un véritable « nation-branding ». L’Estonie se positionne sur les scènes internationale et européenne comme Etat expert, initiateur de normes dans le domaine des TIC comme l’ont démontré la présidence estonienne du Conseil de l’Union européenne ou encore l’élaboration du manuel de Tallinn qui propose une application du droit international aux cyber-conflits. Ce nation-branding permet aussi aux acteurs estoniens de diffuser leur savoir-faire. Un accord de coopération entre la France et l’Estonie portant sur la gouvernance numérique, la lutte contre les cyberattaques et le développement de l’économie numérique a d’ailleurs été signé le 19 mars 2018.

Les inconvénients d’un tel modèle sont inhérents à ceux rencontrés par toutes les organisations face à leur transition numérique et sont principalement de deux ordres : sécuritaire et sociale.  

Sur le plan social, l’Estonie met en place des politiques de formation permettant la réduction de la fracture numérique en amont. La question des nouvelles solidarités en aval est en revanche peut abordée.

Concernant la sécurité, l’administration incorpore progressivement la blockchain dans ses registres et instaure des ambassades de données qui visent à assurer la souveraineté et la continuité de l’Etat plateforme estonien. Cependant en aucun cas ces programmes ne sauraient se substituer à la nécessité d’une vigilance accrue des pouvoirs publics face à la montée des cyber-menaces.

Dans quelle mesure une telle approche pourrait-elle être menée par un pays de la taille de la France ? Les enjeux d'échelle invalident-ils une telle possibilité ? Qu'est-ce que la France pourrait y gagner ? 

Le modèle de e-gouvernement estonien étant adapté à un pays présentant les caractéristiques d’une petite économie ouverte, sa reproduction stricto sensu fait effectivement face à certaines limites notamment démographiques (l’Estonie est un Etat d’1,3 million d’habitants soit l’équivalent de la métropole de Lyon) et tenant pour une large part à l’importance du rôle structurant de l’État dans la société française. Néanmoins, cette impossibilité peut être réitérée pour les modèles de e-gouvernement scandinaves, singapourien ou même anglais pour des raisons sensiblement similaires.

Si la France doit penser un modèle de e-gouvernement qui lui est propre, l’Etat comme la société civile ont tout à gagner à s’inspirer de l’approche estonienne pour au moins quatre raisons :

  • D’abord, le modèle de e-gouvernement estonien favorise une amélioration de l’action et du service publics sur l’ensemble du territoire, dans les zones urbaines comme rurales, et ce avant tout au bénéfice des citoyens.
  • Ensuite, le modèle de e-gouvernement est une source d’économie non-négligeables en termes de dépenses publiques et à périmètre d’action constant.
  • Il illustre les nouveaux enjeux auxquels doivent faire face les pouvoirs publics, notamment ceux de la souveraineté et de la continuité numériques.
  • Il constitue enfin un exemple d’utilisation des outils numériques par l’Etat conciliant protection des libertés individuelles et efficacité de l’administration.

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