Ce que la carte des premiers ports internationaux nous apprend sur l'état de la mondialisation<!-- --> | Atlantico.fr
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Parmi les dix plus importants ports mondiaux, exprimés en terme de conteneurs, huit sont chinois.
Parmi les dix plus importants ports mondiaux, exprimés en terme de conteneurs, huit sont chinois.
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Nouvelle donne

Une carte récemment publiée par Business Insider montre qu'en 2012, les neuf des dix plus importants ports au monde se situent en Asie. Une nouvelle donne qui trouve une explication dans l'état actuel de l'économie mondiale. Mais pas seulement...

Yann Alix

Yann Alix

Depuis novembre 2010, Yann Alix occupe le poste de Délégué Général de la Fondation SEFACIL, laboratoire d’idées prospectives sur les stratégies maritime, portuaire et logistique. Au cours des quatre dernières années, il fut le directeur de l’IPER (Institut Portuaire d’Enseignement et de Recherche) et professeur invité au Transportation College de la Dalian Maritime University en Chine, à la Caribbean Maritime Institute en Jamaïque ainsi que chercheur associé pour le compte du groupe Logistel au Portugal.

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Atlantico : Les dix premiers ports mondiaux sont tous situés en Asie - dont 9 en Asie de l'Est ou du Sud-Est. De quand date ce retournement de la carte mondiale des ports ? Comment s'est-il effectué ?

Yann Alix : Pour expliquer cette nouvelle donne, il faut prendre en considération deux choses. La première est de se rendre compte que c’est la Chine qui concentre le maximum de trafic portuaire. Si on regarde bien la carte, on constate en effet que dans parmi les dix plus importants ports mondiaux, exprimés en terme de conteneurs, huit sont chinois. C'est une des conséquences de l’entrée du pays dans l’OMC (en novembre 2001, ndlr). Cela a permis en effet à la Chine de globaliser ses échanges à l’échelle planétaire. L’arrivée d’un pays comme la Chine dans une telle organisation a donné un nouveau visage à la mondialisation.

Une autre explication, qui découle de la première, réside dans le fait que l’on constate à l’heure actuelle un déplacement de la production manufacturière des États-Unis et de l’Europe vers la Chine. Un exemple parmi tant d’autres mais aujourd’hui on ne voit plus beaucoup de t-shirt « Made in USA ». Ils sont essentiellement produits en Chine. Des exemples comme cela il y en a des milliers. Et toute cette production, il faut la stocker avant de l’exporter. Et cela la Chine l’a très bien pris en compte.

Les ports européens - notamment Rotterdam seulement 11ème - ou américains régressent dans le classement. Est-ce seulement à cause du dynamisme asiatique où ces places portuaires n'ont-elles pas su s'adapter aux évolutions de la mondialisation ?

J’estime que c’est une régression somme toute relative. Les ports européens ne sont pas en retard. Ils sont même très modernes. Ils sont parfaitement adaptés aux exigences actuelles du marché. Tous les grands ports de l’ouest européen sont hyperactifs mais ils sont en concurrence avec l’Asie. En réalité, le déclin constaté est une des conséquences logiques de l’état actuel de l’économie mondiale. Le dynamisme du marché asiatique est tel que le trafic portuaire ne peut-être qu’en forte augmentation. Le constat est simple : il y a moins de volumes en sortie et en en entrée dans les ports européens et américains que sur le marché asiatique.

Cela dit les places portuaires européennes et américaines continuent leur modernisation. On évalue les ports à leur capacité à faire de la cadence, à avoir des outils technologique de pointe et de ce point de vue les ports européens sont au moins aussi modernes, si ce n’est plus que, que les ports asiatiques. Cependant, il est vrai qu’aux États-Unis, cette modernisation des interfaces portuaires est en retard par rapport à ce que l’on constate en Chine et en Asie du Sud-Est en règle générale. Mais là-encore, la principale explication demeure l’état de l’économie mondiale. Depuis la crise de 2008, les États-Unis ont ralenti leur consommation ce qui se traduit par moins de volumes importés parce que moins de consommation de produits asiatiques vers l’Amérique. Les ports américains n’ont plus grand-chose à sortir du pays.

Les évolutions de la carte des ports en faveur de l'Asie a-t-elle également changé la dynamique des flux ? Ces nouveaux ports ont-ils juste capté les anciens échanges, ou a-t-on assisté à une explosion des échanges intra-asiatiques ?

Tout d’abord, il faut noter qu’il y a eu une intensification des routes depuis et vers la Chine. Si on remonte quelques années en arrière, la route maritime la plus importante était celle reliant l’Europe à l’Amérique. Aujourd’hui, depuis une vingtaine d’années, une bascule a été opérée : les échanges les plus importants se font entre l’Europe et l’Asie du Sud-Est (de Singapour jusqu’à la Corée) et entre l’Asie du Sud-Est et l’Amérique. En volume et en valeurs, ce sont les deux grandes artères maritimes mondiales.

En revanche, en plus de cela, il y a un réel dynamisme sous régional intra-asiatique qui génère énormément de flux. Cela s’explique grâce aux très importantes croissances constatées dans des pays tels que le Vietnam, les Philippines, la Thaïlande ou encore l’Indonésie. Cela génère donc une hausse du trafic intra-régional car ces pays commercent énormément entre eux. Mais tout cela ne serait rien sans la place prédominante de la Chine. Le marché chinois se reflète énormément sur cette zone. Depuis quelques mois, on constate que de nombreux intérêts chinois s’installent dans des pays comme le Vietnam ou le Cambodge pour délocaliser et profiter de coûts de main d’œuvre encore plus intéressants. Ce qui engendre encore plus de flux. Il y a un effet cascade indéniable de l’influence de l’économie chinoise dans cette zone.

Et le Japon dans tout ça ? Et bien comme les autres, l’économie japonaise est atteinte depuis des années malgré des sursauts très faibles. Cela dit les ports japonais sont très modernes, très dynamiques mais restent tributaires d’une île dont les taux de croissance sont incomparables à ce qui se passe en Chine.

Quels avantages concrets apporte une puissance portuaire considérable pour un pays ? Quelle supériorité cela confère-t-il sur la carte de la mondialisation ? Qu'ont ainsi perdu les pays occidentaux en voyant leur place décliner ?

Les ports sont des portes d’entrée et de sortie du commerce mondial donc pour une économie comme la Chine, il était impératif et fondamental de pouvoir les moderniser. Cela a permis de soutenir leur modèle économique d’exportation. Sans ports efficaces, la Chine n’en serait pas là où elle en est : c’est une certitude. Même chose pour un pays comme les Pays-Bas. La croissance et la pérennité économique de ce petit pays repose essentiellement sur la performance d’un port comme celui de Rotterdam. Aujourd’hui, on est dans une économie de l’échange où avoir des ports efficients est devenu essentiel pour deux raisons : soutenir les exportations et gérer comme il faut l’arrivée des importations.

On le voit avec l’économie indienne. Les ports de l’Inde ne suivent pas la vitesse de croissance du pays. Même chose au niveau du Brésil. La compétitivité de certains produits brésiliens sera tributaire de la modernisation des grandes places portuaires du pays. Tout cela est lié. En effet, même si les coûts de transports restent faibles dans les coûts finaux, il n’en demeure pas moins que sortir proprement ses flux est essentiel. Les ports occidentaux demeurent performants mais ont de moins de moins de choses à exporter. On a tout délocalisé. Seule l’économie allemande est exportatrice nette en terme de valeur. Mais tout ce qui fait du volume se trouve en Chine.

Quelles sont, selon vous, les places fortes émergentes qui feront partie des grands ports de demain ? Quels seront leurs avantages ?

Les grands défis de demain en terme portuaires se situent à plusieurs niveaux. Le premier se retrouve chez les économies émergentes telles que les BRICS dont l’Inde et le Brésil. Ces deux pays produisent pour des dizaines de milliards d’euros mais cette production ne sort pas assez vite. La modernisation portuaire de ces deux futures grandes économies mondiales est donc un des grands chantiers de ces prochaines années.

De plus, l’ouverture du canal de Panama au premier trimestre 2015 devrait aussi avoir un impact sur le commerce maritime. Et notamment sur la modernisation des ports dans tout l’espace Amérique.
Un peu plus loin dans le temps, l’urgence sera la modernisation des ports africains et notamment ceux du Nigeria. Aujourd’hui le conteneur en Afrique est encore un marché minuscule mais les potentiels sont immenses.

Propos recueillis par Maxime Ricard

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