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Ce que l'on peut apprendre des graves erreurs de la CIA en Chine
©SAUL LOEB / AFP

Espionnage

Entre surestimation de leurs propres capacités et sous estimation des capacités chinoises, la CIA a perdu de nombreux agents en Chine.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Il y a un an, le New-York Times rapportait l'histoire de la perte par la CIA d'une "douzaine" de ses agents en Chine en 2010 mais selon d'autres sources, le chiffre pourrait être bien plus élevé. Foreign Policy dans un article en date du 15 août avance la piste d'une transposition des systèmes de chiffrage des communications utilisés au Moyen-Orient vers la Chine pour expliquer, au moins en partie, le désastre. Que penser de cette explication et que révèle-t-elle de l'état d'esprit des services de renseignement américains à cette période ?

Florent Parmentier :Cette affaire remonte effectivement au premier mandat de Barack Obama, mais la révélation n'en demeure pas moins spectaculaire, puisqu'il s'agit d'une perte importante pour la CIA chez le principal compétiteur stratégique. L'une des pires, sans doute, en plusieurs décennies, puisque construire un réseau de renseignement représente des années de travail, plus spécifiquement en Chine où le système de surveillance et l'appareil de sécurité sont extrêmement développés. Il n'est donc guère surprenant que les sources se soient asséchées à partir de 2010, et dégradant rapidement la qualité du renseignement américain. Le silence de la CIA à ce sujet, contrairement à celui de la Russie, est éloquent. 

Face à ces disparitions, l'hypothèse d'une taupe au sein des services ou de l'Ambassade, n'emportait pas la conviction des analystes (les cas de Robert Hanssen et Aldrich mes constituant pourtant des précédents), pas plus que celui d'un déchiffrement des systèmes de codage de la CIA. On peut voir dans les erreurs commises une sous-estimation du concurrent en matière de décryptage de messagerie, voire une forme d'aveuglement à un moment où l'Armée américaine était effectivement concentrée sur le Moyen-Orient, et tout particulièrement sur l'Afghanistan. Paradoxalement, on s'inquiète, à l'occasion de la parution des Wikileaks en 2010, de voir l'étendue de la puissance des services de renseignement américain, y compris sur le système démocratique !

Peut-on alors parler de vrai tournant pour Langley qui a pu prendre conscience alors de ses faiblesses mais aussi des forces de la Chine ?

Langley (le siège de la CIA) est conscient de l'intensité de l'activité d'espionnage de la Chine, le Guoanbu (nom des services secrets chinois) déployant des ressources et des ambitions au moins équivalent à celles de la Russie. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne le renseignement économique (technologies de la Silicon Valley, espionnage industriel) et la surveillance des enjeux vitaux (Tibet, Taïwan, Hong Kong...), ainsi que pour le contre-espionnage. Les services chinois montrent des compétences particulières en matière de cybersécurité. 
Dans le cas évoqué, ils ont su mettre oeuvre des opérations rapides et efficaces de contre-espionnage. 

Quelles leçons peut-on tirer en Europe de cet échec ? Au final est-ce que l'espionnage "à la papa" n'a pas encore de beaux jours devant lui  en constatant que la technologie ne sera jamais fiable à 100% ?

Le renseignement sur le terrain reste une composante essentielle du travail, qui ne pourra être remplacé par la techonologie ; cette dernière est un moyen et non une fin en soi. Espion est probablement "l'un des plus vieux métiers du monde", aussi ancien que l'exercice du pouvoir : après tout, pour prendre un exemple lointain, l'informateur de Xerxès, Ephialtès, joue un rôle décisif contre les trois cents spartiates lors de la bataille de Thermopyles (480 av. J.C.). Toutefois, il est également vrai que l'on a assisté à une technologisation et une bureaucratisation des services de renseignement au cours du XIXe et XXe siècle. C'est en ce sens qu'Olivier Chopin et Benjamin Oudet distinguent espionnage et renseignement, le second étant une innovation sociale et politique plus récente, liée au développement de l'Etat moderne (Renseignement et sécurité, Armand Colin, 2016). 
Dans ce contexte, il y a donc bien fort à parier que le renseignement humain a de beaux jours devant lui. 

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