Ce que l'explosion de la consommation de caféine révèle des besoins en énergie (et des lubies) de la vie moderne <!-- --> | Atlantico.fr
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Les ventes de café ont grimpé de 620 % aux Etats-Unis
Les ventes de café ont grimpé de 620 % aux Etats-Unis
©Pixabay.com

Potion magique

La caféine fait de plus en plus d'émules, qu'elle soit consommée dans le café ou dans les boissons énergisantes, dont les ventes décollent. Le signe d'une volonté d'être toujours "au top" qui en dit long sur certains maux collectifs.

Catherine Berliet

Catherine Berliet

Catherine Berliet intervient depuis 15 ans en conseil, formation, coaching de cadres et dirigeants pour le compte de grandes entreprises françaises. Diplômée en communication, elle est également thérapeute, praticien en Rêve Eveillé libre. Elle est co-auteur de : Et si je choisissais d’être heureux  ! : Le bonheur mode d’emploi  paru en juillet 2014 aux Editions Eyrolles, Manager au quotidien et Les outils de développement personnel du manager aux Editions Eyrolles. Elle est auteur de Et si je prenais mon temps aux Editions Eyrolles et co-auteur de "Et si je choisissais d'être heureux" avec Capucine Berliet toujours aux éditions Eyrolles

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Atlantico : Les ventes de boissons énergisantes ont grimpé de 620 % dans le monde depuis 1999, un pourcentage qui monte à 5 000% aux Etats-Unis. De quel mal ces chiffres sont-ils le symptôme ?

Catherine Berliet : Ces chiffres sont symptomatiques d’un désir de stimulation omniprésent et de l’intérêt à doper son acuité attentionnelle. La consommation galopante de boissons énergisantes et de café traduit cette volonté farouche d’être à la hauteur, d’assurer, de se maintenir éveillé et de donner le change. L’explosion des ventes nous indique qu’au XXIe siècle l’individu est obnubilé par son image, au point de vouer une vénération au culte de la performance, une sorte d’ambition héroïque de bien faire couplée à l’envie de correspondre à un schéma idéalisé du corps humain et de ses capacités. Les modèles proposés par les différentes projections sociétales, en particulier avec le monde du sport extrême, induisent des comportements nouveaux : nous voulons ressembler aux dieux du stade, ou aux Dieux tout court, être au top,  repousser nos limites et surtout ne jamais flancher. Nous guerroyons, sans merci contre nous-même pour coller à ces figures emblématiques au prix d’une lutte permanente. Être raccord avec cette symbolique, nous pousse à trouver des stimulants pour notre système nerveux central et à prendre toujours plus d’excitants, la caféine en fait partie.

Avons-nous développé une dépendance collective à la caféine ? Pour quelles raisons ? Par quels facteurs y avons-nous été poussés ?

Bien que la Société américaine de psychiatrie ne reconnaisse pas la dépendance à la caféine, elle prend la couleur d’une addiction pour certains, s’apparente au plaisir gustatif pour d’autres et s’exprime souvent comme une dimension mythique. Pour ma part cela me renvoie  à des habitudes de vie associées au bien-être, porteuses de sens et créatrices de liens. Que ferions-nous sans la machine à café, au bureau en particulier ? Ces modes de consommation sont l’occasion d’échanges et de partages. Dès potron-minet pour le café, à l’entrée de la nuit pour les boissons énergisantes, le précieux nectar nous sert de viatique et nous assure de résister à la pression, de nous tenir éveillé debout face à l’adversité et de dépasser nos limites. Ces comportements sont ancrés dans l’imaginaire collectif, du petit noir sur le zinc aux «cafés Philo», un horizon commun : celui de communiquer, de dissiper les brumes de la nuit, de se donner les moyens d’affronter ce qui nous attend : la vie, notre vie. Dur, dur, d’être un humain…

Nous sommes-nous ramollis au point d'avoir besoin d'un apport extérieur en énergie, ou bien est-ce la façon dont nous vivons aujourd'hui qui fait qu'il est impossible d'avancer sans ?

Aujourd’hui,même si nous vivons avec plus de confort et de facilité, les nouvelles technologies ont précipité les rythmes : polychronie (faire plusieurs choses en même temps), instantanéité, hyper-activité, autant d’éléments qui exigent une conscience aiguë du présent, et une attention toute particulière. L’homme ne s’est pas ramolli, il ne livre plus les mêmes batailles. Aujourd’hui l’armure et le glaive ne suffisent plus, l’ennemi s’appelle stress, et l’objet de nos croisades c’est de lutter contre la pression qui nous assaille, gommer nos doutes, pallier à nos baisses de régime pour suivre les diktats ambiants du « toujours plus ». Voilà pourquoi nous nous tournons vers les stimulants caféinés censés nous procurer quelques dosettes d’énergie sous l’œil admiratif de « What else ? », ou quelques gorgées d’excitation  sous la férule sportive ou tauromachique.

L’homme a toujours été avide de substances pourvoyeuses de force et de performance : de  la cola, du guarana, du ginseng, en passant par l’alcool et l’absinthe, boisson aux propriétés psycho-actives, « romantisée » par Verlaine & Co et incarnant un mode de vie bohème et créatif. La fée verte suscitait la stupeur, la taurine rouge aguiche notre vigilance : autres temps, autres vertus. De la langueur à la fureur de vivre.

La caféine est-elle dans un cas comme dans l'autre la bonne réponse à apporter au problème ? Le besoin en caféine est-il réel ou markété ?

Ces produits gorgés de stimulants aux noms évocateurs font florès, Astérix et Popeye ne sont pas loin, sauf que la Taurine a remplacé les épinards et le marketing la réclame. « Invictus nous voulons, invincible nous serons. » Le mythe se fait jour autour d’une boisson au goût nouveau évoquant l’extrême, le dépassement de soi et l’énergie. Une canette qui désinhibe et « donne des ailes », un breuvage qui accompagne le routier ou l’étudiant jusqu’au bout de la nuit. Le besoin est bien réel, la proposition se veut irréelle et se joue allègrement de nos rêves de toute puissance piqués à Frankenstein dans le pire des cas et empruntés à Nietzsche dans le meilleur.

Quels dangers cette consommation fait-elle courir et quelles alternatives seraient possibles ?

Au-delà d’une consommation épisodique, c’est sa réitération qui  fragilise l’individu. Sous les effets psychostimulants, notre réalité physique et psychique s’estompe. En ne conscientisant plus nos limites, nous mettons à l’épreuve notre système cardiovasculaire, respiratoire et gastro-intestinal et augmentons notre tension, notre irritabilité et donc notre stress. Le danger réside dans ces produits consommés par les jeunes pendant leurs pratiques festives et/ou sportives. Dans leur quête d’élan vital et de peps ils y associent d’autres produits comme l’alcool ou le cannabis, c’est ce mélange détonnant qui suscite l’addiction et devient dangereux. Le docteur Neil Caporaso de l’Institut National du Cancer dans le Maryland, nous explique « Que pour la première fois, nous savons que des gènes spécifiques influencent la quantité de caféine que consomment les individus ». Le diktat génétique  face à l’acceptation de notre impermanence et de notre finitude : déterminisme ou libre arbitre ? La sagesse réside dans l’acceptation  d’un homme qui ne se voudrait plus à l’égal de Dieu et qui s’accepterait tel qu’il est, sans peur ni reproches. Un paradigme qui desservirait les marchands du temple.

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