Ce que l’explosion de Freeport, l'une des plus grandes usines américaines d'exportation de gaz naturel liquéfié, nous révèle de l’énorme fragilité énergétique européenne <!-- --> | Atlantico.fr
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Une capture d'écran représente l'explosion du site de Freeport.
Une capture d'écran représente l'explosion du site de Freeport.
©Capture d'écran / Quintana Beach County Park / Facebook / DR

Dépendance européenne

Freeport représente une pièce essentielle de l'infrastructure dans le cadre du désengagement de l'Europe du pétrole russe.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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Atlantico : Freeport LNG, une usine de liquéfaction américaine, est à l’arrêt pour «au minimum trois semaines» après une explosion survenue le mercredi 8 juin. Ce terminal d’exportation, qui représente 4% du marché mondial, contribue largement à fournir l’Europe en gaz naturel liquéfié.  Quel était l’importance de Freeport dans le cadre du désengagement de l'Europe du pétrole russe ? Que représente cette perte ?

Damien Ernst : On parlerait d’une perte de l’ordre de 10TWh de livraison de gaz pour l’Europe sur une consommation de l’ordre de 4000-4500 TWh pour l’Europe. 10TWh ne paraissent pas beaucoup mais sur des marchés aussi tendus qu’à l’heure actuelle, c’est déjà significatif.

Samuel Furfari : C’est effectivement 4% du marché LNG, Freeport peut expédier 33 millions de m3 de gaz, ce n’est pas énorme en soi, mais il est vrai que tout le marché du pétrole ou du gaz se matérialise toujours en petits pourcentages. Des milliers de petits projets font fonctionner le monde. Le gaz n’a brûlé que pendant dix secondes. Le système incendie a bien fonctionné. Mais l’incendie lui-même a duré une quarantaine de minutes. Ce qui est notable, c’est l’historique de cette installation.  Freeport est une entreprise qui a été créée par des capitalistes américains pour importer du gaz aux Etats-Unis lorsqu’on pensait qu’il n’y avait pas assez de gaz aux États-Unis, pas pour l’exporter. Cela a changé avec la révolution du gaz de schiste. Les Japonais ont investi là-dedans car ils ne s’embarrassent ni du réchauffement climatique ni des énergies renouvelables car ils ne se concentrent que sur leurs intérêts. Ils investissent dans du LNG quand nous investissons dans des éoliennes.

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A quel point cet incident montre-t-il les fragilités de l’Europe en matière énergétique ?

Damien Ernst : Nous sommes précaires, pas seulement sur le gaz, mais aussi sur le charbon, sur le pétrole. La moindre perte d’infrastructures, ou la moindre instabilité dans un État, comme actuellement en Libye, peut pousser significativement les prix à la hausse car il n’y a plus de marge nulle part. L’incident de Freeport, il y a cinq ans, était un non-évènement. Désormais, chaque incident est significatif. Cela signifie qu’à un moment donné, un groupe terroriste peut savoir que s’il cible une infrastructure en un point, il peut produire des conséquences dramatiques et fragiliser nos situations de manière importante. Nous sommes à la merci des événements. Des terroristes ou des belligérants peuvent cibler nos infrastructures et faire de gros dégâts à notre économie. On peut aussi se retrouver piégés, par exemple, par une décision américaine limitant les exportations de gaz en raison de la hausse des prix aux Etats-Unis. Les menaces peuvent aussi venir de pays amis pour des raisons électorales ou internes.

Avons-nous trop construit nos exportations sur une logique de paix ?

Damien Ernst : Notre péché originel est d’avoir accepté de dépendre beaucoup trop de la Russie. A partir du moment où on veut perdre cet approvisionnement russe au profit d’autres, cela entraîne une dépendance extrême aux structures d’importation de gaz. Le sevrage au gaz russe ne se fait pas en quelques mois. On a déjà été chercher 500 TWh ailleurs qu’en Russie, il en reste 1000, dont 500 qui semblent mission impossible d’ici moins de trois ou quatre ans. Nos moyens de nous protéger sont très faibles car nous sommes dans un monde très sensible aux attaques.

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A quel point avons-nous des capacités d’encaisser des chocs comme Freeport à l’heure actuelle ?

Damien Ernst : Nous ne savons plus encaisser au niveau de l’offre. On ne sait plus venir avec une offre additionnelle pour l’encaisser. Nos capacités de stockage en gaz pour l’instant ne sont pas mauvaises, mais nos capacités d’encaisser les chocs demeurent extrêmement faibles. Nous avons une capacité de stockage de 800 à 1000 TWh et nous sommes plus élevés, en termes de remplissage, que l’année passée.

Quelles sont les alternatives dont disposent l’Europe face aux potentielles pénuries liées à la guerre en Ukraine ou en cas d’incidents majeurs tel que la crise avec le site de Freeport ?

Damien Ernst : Les principales initiatives sont des terminaux flottants pour le gaz LNG que l’on voit en Allemagne, en Pologne. A court terme, c’est ce qu’on peut faire de mieux. A moyen terme, cela peut être de construire d’autres gazoducs et d’essayer de diminuer la demande pour le gaz. Différents pays ont mis en branle des projets mais construire des grandes infrastructures prend du temps.

Samuel Furfari : Nous sommes paralysés car nous ne savons pas nous passer du gaz russe. On peut se passer du charbon, on peut difficilement se passer du pétrole, et on ne sait pas se passer du gaz. Il n’y a pas beaucoup d’alternatives, l’Europe ne parle pas de sanctions sur le gaz car elle se pénaliserait elle-même. Si Vladimir Poutine arrêtait les exportations de gaz russes nous aurions de sérieux problèmes. Le monde industriel a besoin de gaz pour ses usines. Plus on peut importer de gaz d’un peu partout, comme de Freeport, mieux cela est. Le problème, c’est que certains pays, faisant fi du changement climatique, ont signé des contrats d’approvisionnement de gaz, donc une grosse partie de ce qui est produit est déjà vendu, notamment à des acheteurs asiatiques. Certains Etats ont donc été plus prévoyant que les Européens et ont maintenant la priorité. L’Europe est contrainte à la charité.

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