Ce que l’état de son armement révèle du niveau technologique de la Russie <!-- --> | Atlantico.fr
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L'armement russe est marqué par de fortes faiblesses technologiques.
L'armement russe est marqué par de fortes faiblesses technologiques.
©Konstantin Mihalchevskiy / AFP

Allo Téhéran, ici Moscou

L’importation d’armes iraniennes par la Russie démontre ses profondes faiblesses technologiques. Mais Moscou a aussi de vraies capacités.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Il y a quelques semaines, il a été rapporté que les États-Unis disposaient de renseignements selon lesquels l'Iran se préparait à fournir à la Russie des drones à utiliser en Ukraine et à former les Russes à leur utilisation. Ce mardi, la Russie a lancé un satellite pour le compte des Iraniens. Que nous apprennent ces informations sur les véritables capacités et faiblesses technologiques de la Russie ?

Tout d'abord, elle nous renseigne davantage sur l'Iran que sur la Russie elle-même, car Téhéran est une puissance méconnue dans le monde encore très fermé des drones. Cette avance technologique de l'Iran est en grande partie due à l'interception le 5 décembre 2011 d'un drone Lockheed Martin RQ-170 Sentinel près de la ville de Kashmar dans le nord-est du pays. Depuis, les ingénieurs iraniens ont réussi à utiliser une partie de cette technologie américaine pour leurs propres drones. 

L'Iran n'a rien ou presque à offrir à Moscou, à l'exception des drones, tandis que la Russie a beaucoup à offrir à l'Iran, notamment dans le secteur spatial. Cela explique cette coopération pour le moins inattendue. 

Abstraction faite du plan technologique, ce rapprochement doit également être vu comme un souhait de renforcement des relations diplomatiques entre Moscou et Téhéran, et représente dans les faits une menace pour la Géorgie (Caucase du Sud) plus que pour l'Ukraine. En effet, si les drones iraniens peuvent et vont certainement être utilisés en Ukraine, le rapprochement entre l'Iran et la Russie va se traduire par des pressions supplémentaires en Géorgie, qui est le chaînon manquant pour établir une liaison directe, notamment ferroviaire, entre les deux partenaires.

Sur un plan purement militaire, cela témoigne de la forte disparité technologique au sein des forces armées russes. La Russie excelle dans le domaine spatial (même si elle reste loin derrière les Etats-Unis, la Chine et la France) mais laisse beaucoup à désirer en matière de drones. Les drones russes (ZALA Lancet, le Kamov Ka-137, ou le ZALA 421-12) se positionnent loin derrière ceux d'Israël, des Etats-Unis, et même de la Turquie. 

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Comment expliquer cette ambivalence technologique de la Russie ? Comment peut-elle produire des équipements de qualité et en même temps avoir de graves déficits technologiques ? 

Les ingénieurs russes sont capables de développer des technologies avancées, comme le prouvent le char T-14 Armata, l'avion de chasse de 5ème génération Su-57, et les missiles hypersoniques, mais ils ne parviennent pas à mettre en place une chaîne de production. Dans les faits, la Russie peut se vanter de posséder certaines technologies, mais cela s'apparente davantage aux fameuses Wunderwaffe (arme miraculeuse en allemand) comme en possédait l'Allemagne nazie, qui n'existent qu'en faible quantité.

Développer un produit dans un atelier et en petit volume est une réussite majeure, mais la création d'une chaîne de production, avec un approvisionnement constant, une standardisation des produits avec un faible taux de rejet (méthodologie Six Sigma) est autrement plus complexe. 

Ainsi, peu de nations parviennent à produire en grande quantité un excellent produit, pourtant la production de masse est essentielle pour réduire les coûts de production, comme nous l'avons vu avec le F-35 américain et plus récemment le char allemand KF-51, deux produits haut de gamme réalisés à moindre coût.

Quelle est la responsabilité de l'Etat et de ses dysfonctionnements (bureaucraties, corruption, etc.) dans la situation ?

La Russie reste un pays où le gouvernement a son mot à dire, notamment dans le secteur militaire. C'est le cas de nombreux pays, mais on constate que plus la bureaucratie est présente, plus il est difficile de mettre en place une chaîne de fabrication réactive. Au contraire, l'absence totale de l'État permet aux entreprises de la filière militaire de se libérer et de produire plus rapidement et avec plus de cohérence.

En Russie, chaque achat d'un composant, la sélection d'un fournisseur, le choix d'une machine plutôt qu'une autre, passe par le gouvernement. Qui plus est, les experts qui travaillent pour le gouvernement ne sont pas compétents et enclins à la corruption.

Si la Russie était amenée à repenser son approche militaire de manière libérale, elle arriverait rapidement à la conclusion qu'il serait préférable d'acheter du matériel chinois, qui est de bien meilleure qualité que le sien (sauf pour les armes nucléaires). Bien sûr, ce n'est pas envisageable pour Moscou, c'est pourquoi la Russie persiste à utiliser du matériel militaire soviétique en Ukraine (char T-72, avions Su-24), et préfère cumuler les pertes humaines, en attendant que sa chaîne de production standardise enfin les chars T-14 et les avions Su-35 et Su-57. Pour ne citer que quelques exemples emblématiques.

Avec le début de la guerre en Ukraine et les sanctions internationales, de nombreuses livraisons de l'Occident à la Russie ont cessé. Dans quelle mesure la Russie souffre-t-elle de sa dépendance à l'égard des technologies occidentales ? 

Dans un monde interconnecté, l'ensemble de la production militaire dépend aujourd'hui des importations étrangères, et peu ou pas d'équipements peuvent être 100% nationaux. La Russie entend réduire sa dépendance aux importations, notamment les microprocesseurs. Pour y parvenir, il faudra plusieurs décennies d'investissements dans l'éducation et les lignes de production, un processus que même les Etats-Unis ont du mal à réaliser (et qui explique les tensions autour de Taïwan). 

Il faudra donc trouver de nouveaux fournisseurs de technologie, ce qui n'est pas l'aspect le plus problématique, puisque la Chine peut remplacer les Occidentaux en Russie. Cependant, Beijing souffre de ruptures de stock et préfère garder sa production pour son marché intérieur. La Russie est donc acculée et dépend désormais du bon vouloir de Beijing pour ses approvisionnements et sa survie militaire.

Cette faiblesse technologique russe explique la volonté de s'approvisionner en drones iraniens, et d'établir des relations avec des pays tiers pouvant aider lors de cette phase de transition qui va durer. 

L'approche russe est hasardeuse, puisqu'elle pourrait conduire à l'obsolescence de la Russie dans le domaine militaire (comme ce fut le cas pour l'URSS), mais aussi permettre l'émergence d'une grande puissance technologique autonome dans la prochaine décennie. 

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