Ce que devrait faire le ministre Montebourg s'il voulait être fidèle au Montebourg des primaires <!-- --> | Atlantico.fr
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Docteur Arnaud, Mister Montebourg ?
Docteur Arnaud, Mister Montebourg ?
©Reuters

Mémoire

La solidarité gouvernementale fera-t-elle oublier au ministre du Redressement productif qu'il défendait une forme de protectionnisme durant les primaires du PS ?

Jacques Sapir

Jacques Sapir

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011).

Il tient également son Carnet dédié à l'économie, l'Europe et la Russie.

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Si Montebourg voulait rester fidèle à Montebourg… Il irait droit au but, et ne se satisferait pas de ce que lui impose la « solidarité » gouvernementale. Car il faut comprendre que cette solidarité n’est que le carcan de fer imposé à des personnalités diverses et des sensibilités toute aussi diverses par un courant qui au sein même du PS n’a dépassé que de peu les 40%. C’est une solidarité qui ne fonctionne qu’à sens unique.

Bien sûr, il y a bien des justifications à cette solidarité. Des justifications de haute politique, comme la nécessité de ne pas faire le jeu de l’opposition et de permettre l’application de la « ligne » du Président. Des justifications plus politiciennes aussi, comme celle de ne pas briser le consensus du PS et de prendre le risque de se trouver isolé. Et il est vrai que cet isolement, certains l’ont payé cher, que ce soit à gauche avec Jean-Pierre Chevènement ou à droite avec Nicolas Dupont-Aignan.

Pourtant, l’heure est grave et elle pourrait imposer le devoir de désobéissance à Arnaud Montebourg, s’il veut rester fidèle à Montebourg.

On parle aujourd’hui du bain de sang chez PSA. Certes, huit mille licenciements d’un coup, cela fait beaucoup de monde. Les milliers de licenciements qui se préparent chez SANOFI viennent alourdir la note. Mais tout ceci sera ravalé au rang de péripéties devant les 250 000 à 350 000 licenciements qui se préparent d’ici à la fin de l’année dans les PME et PMI aujourd’hui étranglées par la contraction du crédit à laquelle se livrent les banques et par la perte de compétitivité que subit l’économie française.

Alors, face à ce désastre en préparation, face à une probable seconde vague qui emportera encore 200 000 emplois au premier semestre de 2013, Montebourg cherche à agir. Il le fait sous les contraintes que ce gouvernement s’est imposé de lui-même. L’idée de nommer des « facilitateurs », ces commissaires régionaux qui se portent au chevet des entreprises en difficulté est excellente. La volonté de faire réaliser un audit des plans sociaux de PSA et SANOFI se justifie aussi. Quant à la banque de l’industrie, dont on comprend bien que le périmètre de son action sera plus important que celui de l’institution qui déjà existe, si dans son principe cette initiative est justifiée, elle ne prendra effet qu’au début de l’année prochaine et l’on peut se demander sur quels fonds. On peut donc craindre que sous-financée en cette période d’économies drastiques et tardive dans son application, elle ne soit largement inefficace.

Quelle est donc la solution ? Pour cela, il faut aller au cœur du problème. Depuis 1998, les gains de productivité ont été les mêmes en France qu’en Allemagne[1]. Si la compétitivité de la France souffre, ce qui condamne désormais massivement l’emploi industriel sur notre territoire vient du rythme d’inflation, et en particulier de l’inflation salariale. En fait, une partie de l’inflation correspond pour tout pays à la structure de son économie, ce que l’on nomme l’inflation structurelle[2]. Toute tentative pour faire baisser l’inflation au-dessous de ce niveau entraîne une chute des taux de croissance, ce que les économistes nomment l’output gap ou « écart de production »[3]. Oui, nous aurions pu avoir une inflation égale à celle de l’Allemagne, mais au prix d’une croissance déprimée qui aurait inévitablement vu s’accroître le chômage. N’oublions jamais que, tous les ans, près de 780 000 jeunes arrivent sur notre marché de l’emploi quand ils ne sont que 280 000 en Allemagne.

Reprenons ; les coûts salariaux sont plus élevés chez nous de 20%, même si, dans le cas de PSA, il est probable que des erreurs de stratégie industrielle sont aussi en cause.

Dès lors, pour les faire baisser il n’y a que deux solutions. Soit nous menons une politique agressive de déflation salariale, mais ses conséquences sur l’économie française en seront dramatiques. Ceci entraînera une contraction de la consommation de 12% à 15% (suivant les effets d’entraînement), ce qui, sur une période de deux ans, se traduira par une chute du PIB de 4% à 5% par an. Le chômage explosera et pourrait atteindre 20% de la population active[4]. La politique de redressement financier, dans laquelle s’est engagé le gouvernement, en deviendrait naturellement impossible. Soit nous dévaluons[5].

Si Arnaud Montebourg veut rester fidèle à Montebourg, il doit forcer le bureau du Président pour lui dire deux choses.

Qu’il nous faut du protectionnisme, d’abord, et en particulier contre les pays qui combinent une productivité élevée et des bas salaires. Mais surtout, qu’il faut dissoudre la zone Euro et prendre acte des divergences explosives entre les structures des économies depuis désormais près de 10 ans pour pouvoir dévaluer,

Bien entendu, cela ne règlerait pas tous les problèmes, et en particulier celui du sous-financement de la recherche-développement. Mais, cela donnerait à l’industrie la bouffée d’oxygène dont elle a désespérément besoin et cela permettrait de mettre en place des mesures plus structurelles dont cependant l’efficacité se fera attendre. La première et décisive action du redressement productif passe donc par la fin de l’Euro.

Et si, par malheur pour notre pays et pour ses travailleurs, le Président ne voulait pas l’écouter, alors il prendrait l’opinion à témoin.

Voilà ce que l’on attend d’Arnaud Montebourg. En ces temps de désastres cumulés, il faut savoir faire acte de désobéissance. Et quant à savoir si Arnaud Montebourg veut être fidèle à Montebourg, nous aurons d’ici la fin de l’été le cœur net.


[1] OCDE, Economic Outlook, n°90, novembre 2011, Paris.

[2] Sapir J., « Inflation monétaire ou inflation structurelle ? Un modèle hétérodoxe bi-sectoriel », FMSH WP-2012-14, juin 2012, Working Papers Series, http://www.msh-paris.fr

[3] G.N. Mankyw et R. Reis, «Sticky Information versus Sticky Prices: A Proposal to Replace the New Keynesian Phillips Curve» in Quarterly Journal of Economics, n°4/2002, pp. 1295-1328.

[4] Patrick Artus, « Le chômage va être insupportable dans les pays de la zone euro où la balance courante avait un déficit important avant la crise » Flash Économie n° 203, NATIXIS, 13 mars 2012, Natixis, Paris

[5] Patrick Artus, « Dévaluer en cas de besoin avait beaucoup d’avantages », Flash Économie n°365, NATIXIS, 29 mai 2012

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