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Ce que cachent les chiffres de l’OMS sur la baisse drastique du nombre d’avortements constatés dans les pays développés depuis 25 ans
©Reuters

L'irréductible IVG

Malgré le développement des moyens de contraception, il restera toujours une part irréductible d'avortements et de grossesses non voulues.

Michèle Ferrand

Michèle Ferrand

Michèle Ferrand est sociologue, directrice de recherche au CNRS, chercheuse au sein du laboratoire "Cultures et Sociétés Urbaines" (CSU), composantes du CRESPPA, rattachée à l’Université de Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (France).

Ses domaines de recherche portent sur la famille et le travail, l’école, la sexualité, les rapports sociaux de sexe dans les sociétés à ethos hiérarchisé. 

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Atlantico : Une étude de l'OMS observe que le taux d'avortement dans les pays aisés chute brutalement ces 25 dernières années. Etrangement, la baisse est sensiblement égale voire plus importante dans les pays où l'avortement est interdit (37%) que dans ceux où il est autorisé (34%). Faut-il conclure à l'échec de l'interdiction de l'avortement?

Michèle Ferrand : Il faut comprendre que l'avortement n'a rien à voir avec la réglementation. L'interdiction de l'avortement ne limite pas l'avortement. Mais je ne suis pas d'accord avec ces chiffres. Je ne comprends pas comment l'OMS a fait ses calculs. Je pense que dans les pays où l'avortement n'est pas autorisé, et la communication sur la contraception peu développée, l'avortement est plus fréquent. Sans doute l'avortement n'est-il pas déclaré officiellement.

En revanche, je suis d'accord sur le fait que, peu importe la réglementation, les femmes qui ressentent le besoin d'avorter, avortent.

Quelle différence alors entre un pays interdisant l'avortement et un pays l'autorisant?

La différence se trouve bien plus dans les conditions de cet avortement. Dans les pays où il est interdit d'avorter, les choses sont plus injustes et doivent être distinguées entre les femmes issues de milieux aisés et les femmes issues de milieux plus humbles. Pratiquer l'IVG dans un pays où cela est interdit, sans argent, est un calvaire. Un parcours du combattant qui se résout souvent par un avortement dangereux.

Lorsque les femmes ont les moyens, il leur suffit de trouver un médecin, à l'étranger, ou même de se procurer le bon comprimé. Mais là encore, il ne faut pas oublier qu'avorter médicalement n'est pas sans danger.

La légalisation de l’avortement, en France comme dans d’autres pays, a considérablement amélioré les conditions sanitaires de sa prise en charge, entraînant ainsi une réduction spectaculaire des complications graves et des décès.

Le développement des moyens de contraception dans les pays développés a permis une baisse importante des avortements entre 1990 et 2014, de 46% à 27%, mais il reste toujours une part irréductible d'avortements, même dans les pays aisés, comment expliquer cela?

L’avortement est une forme de contrôle des naissances qui est complémentaire à la contraception, ce n’est pas l’un ou l’autre, mais l’un et l'autre. Ce n’est qu’un ultime recours en cas d’échec de contraception. Lorsque la loi Veil libéralisant l’avortement en France a été votée il y a 30 ans, elle a été accompagnée d'un développement parallèle de la pratique contraceptive (légalisée par la loi Neuwirth de 1967 et dont le remboursement avait été voté quelques jours avant). On aurait pu s'attendre à ce que le taux d'avortement diminue. Les grossesses non prévues ont bien diminué mais pas le nombre d’avortements. C'est le paradoxe.

Si les grossesses non prévues diminuent du fait de la contraception, pourquoi le nombre d'avortement ne diminue pas plus encore?

En réalité, cela s'explique par l'évolution du statut des femmes. Les femmes ne veulent plus subir une maternité contrainte mais choisir le moment de leur maternité. Aujourd'hui, on n'accepte plus d'avoir un enfant quand on ne l'a pas désiré. Les femmes avortent de plus en plus car cela ne correspond pas à leur schéma. L'enfant est "programmé". Il doit arriver dans un contexte affectif stable. Il faut aussi que les parents aient atteint un certain niveau dans leur carrière professionnelle. En outre, les couples sont plus souvent confrontés à des difficultés socio-économiques du fait de la crise. Ce qui n'encourage pas à avoir un enfant. Autant de raisons qui annulent statistiquement une plus grande baisse des taux d'avortement.

Propos recueillis par Clémence Houdiakova

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