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Ce qu’il faut absolument savoir pour comprendre la Hongrie d’aujourd’hui
©STOYAN NENOV / POOL / AFP

Vu de Budapest

Aux dernières élections, dans un contexte de participation record, les électeurs hongrois ont renouvelé leur soutien incontestable pour le gouvernement de Viktor Orbán. La Hongrie a envoyé un message fort mais positif à l’Europe. Toutefois, pour le comprendre, il faut s’en finir avec l’angle d’analyse habituel.

Ákos Bence Gát

Ákos Bence Gát

Ákos Bence GÁT est responsable de communication et des affaires internationales du Danube Institute, ancien élève de Sciences Po Paris et de l’ENA.

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L’opinion exprimée par les électeurs Hongrois aux élections législatives du 8 avril 2018 peut se résumer ainsi : « Tout va bien chez nous, merci. » C’est une réaction non équivoque à la myriade de critiques que le gouvernement mené par Viktor Orbán et le peuple hongrois qui le soutenait devaient subir depuis 2010. 

Rappelons les faits, même s’ils paraissent un peu lointains. En 2010, l’alliance conservatrice du centre-droite, Fidesz-KDNP a gagné les élections avec une majorité écrasante après huit ans de gouvernement socialiste et libéral. La Hongrie est entrée dans une crise économique déjà avant l’éclatement de la crise mondiale en 2008. Cette dernière n’était que l’ultime goutte d’eau dans le verre poussant le pays au bord de la faillite. Le désastre économique était aggravé par de lourdes tensions sociales. Pour ne citer qu’un exemple, l’ère d’avant 2010 était celle de la prolifération de la formation paramilitaire d’extrême droite, « la Garde Hongroise » (Magyar Gárda). La crise politique était aussi tangible. Après l’exfiltration du discours de Balatonőszöd en 2006, dans lequel le premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsány a avoué d’avoir menti pendant des années « le jour, la nuit et le soir », la Hongrie a connu les vagues de manifestation les plus importantes depuis le changement du régime de 1989. Les événements pouvaient relever d’une forte dimension symbolique : ce sont les cadres du parti héritier de l’ancien parti communiste (le parti unique avant 1989) qui, une décennie et demie après le changement du régime, venaient s’affronter au peuple. La violence policière employée par le pouvoir en place n’a pourtant suscité aucun indignement spécial de la part des commentateurs européens et internationaux.

C’est dans un tel contexte que la nouvelle majorité au parlement a décidé, après 2010, d’entamer des réformes profondes pour boucler une fois pour toute la période de « transition » post-communiste ainsi que pour remettre le pays sur le chemin du développement économique. L’ancienne Constitution, dont la rédaction originale datait de l’époque communiste, a été réécrite par une assemblée constituante légalement formée. Les systèmes administratif et juridique ont été réformés. Le gouvernement a aussi commencé des manœuvres économiques allant contre les dogmes de l’orthodoxie économique de l’époque (impôts extraordinaires prélevés sur les banques et les grands groupes multinationaux au lieu des mesures d’austérité visant la population ; rachats par l’Etat dans des secteurs stratégiques du service publique ; diminution des charges des ménages ; etc.). 

L’économie constitue un domaine particulièrement précieux pour le gouvernement. Elle permet de mettre en face les critiques houleux de l’époque ayant jugé l’action gouvernementale « inutile », « nationaliste » ou « dangereuse » avec les chiffres d’aujourd’hui qui témoignent d’une manière incontestable du bien-fondé des décisions prises. 3,8% de chômage aujourd’hui face à 11% en 2010, une croissance constante du PIB depuis 2013 qui s’élève à plus de 4% aujourd’hui, un déficit public de moins de 3% depuis 2012, une dette publique en diminution, un taux de natalité en augmentation… Tout cela prouve que les actions gouvernementales largement discréditées par ceux qui parlent le plus fort peuvent tout de même bien fonctionner. 

En vue de ce troisième mandat consécutif pour Viktor Orbán, résultat d’un soutien démocratique extraordinaire, il est temps de poser la question : ne serait-il pas possible que ceux qui blâment la situation des droits fondamentaux et de la démocratie (domaines encore plus subjectifs) mal interprètent aussi les choses, de la même manière que les critiques économiques se trompaient concernant la Hongrie ?  

Aujourd’hui, il devient criant que la narrative de l’Etat de droit, c’est-à-dire de chercher à identifier une violation de tel ou tel principe fondamental (économique, social ou politique) dans chaque mesure gouvernementale ne permettra jamais de comprendre la politique hongroise. La politique est une affaire complexe, une décision peut résulter d’une multitude de dynamiques à la fois. Le souci de préserver le pouvoir est certainement présent dans l’esprit de chaque gouvernant, il suffit de lire les philosophes politiques classiques pour admettre que c’est un réflexe naturel de tout homme politique souhaitant faire valoir son projet de long terme pour un pays. C’est vrai en France, en Allemagne, aux États-Unis … et aussi en Hongrie. Là où beaucoup d’analystes de l’Europe occidentale se trompent souvent c’est que, s’agissant de la Hongrie, c’est l’unique aspect d’analyse qu’ils privilégient. Ainsi, la diminution de la charge des ménages devient une mesure populiste au lieu d’être une mesure économique aidant le pouvoir d’achat de la population. La taxe sur les grands groupes devient une agression protectionniste au lieu de constituer une mesure économique réaliste permettant de rééquilibrer une répartition des charges intenable dans le pays. Le refus d’une immigration incontrôlée est présenté comme un comportement xénophobe au lieu d’y voir un réflexe de protection contre un phénomène sans lien avec l’histoire du pays. La nouvelle Loi fondamentale est signe d’une dictature au lieu d’être un fondement solide et nécessaire d’un ordre juridique moderne ou un acte politique symbolique dans un pays qui tient à son passé, à son identité et à ses valeurs reniés pendant l’occupation communiste… Concordance de circonstances, cette analyse s’approche du discours de l’opposition politique en Hongrie. L’opposition hongroise paraît avoir pris en otage l’angle d’analyse européen ce qui est particulièrement pénible compte tenu du fait que la population hongroise vient de discréditer l’opposition pour la troisième fois consécutive.

Il n’est possible de sortir de cette impasse que par le dialogue. Les Hongrois ont envoyé un message que l’Europe doit comprendre correctement. De la part des destinataires du message, cela suppose l’abandon de la narrative de l’Etat de droit et la recherche d’un nouvel angle d’analyse pour mieux comprendre le contexte hongrois. Il faut comprendre que le message de la Hongrie n’est pas hostile. Surtout, il faut éviter les propos qui apostrophent les résultats des élections récentes comme l’acte d’une population « bête », « immature », « manipulée » ou « souffrant des complexes ». De la part des Hongrois, le message doit être davantage expliqué. De véritables efforts sont nécessaires pour trouver les bons mots, pour parler non seulement la même langue mais aussi le même langage.

C’est un exercice de tous les jours ; un exercice politique, diplomatique et intellectuel à la fois. Et surtout, une mission à long terme. L’Europe est un corps vivant qui se tissent et se renforce à travers le dialogue respectueux.

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