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L’ADN n’est donc composé « que » de 20 000 gènes.
L’ADN n’est donc composé « que » de 20 000 gènes.
©JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Le corps humain

Les 98% de notre ADN, connus sous le nom de génome noir, étaient au départ considérés par certains généticiens comme de l'ADN « indésirable ». Récemment des scientifiques en ont découvert une utilité.

Jean-Christophe Pagès

Jean-Christophe Pagès

Jean-Christophe Pagès est professeur de biologie cellulaire à l'université Toulouse 3, où il dirige le laboratoire hospitalier de biologie cellulaire. Ses travaux de recherche portent sur la génétique et les approches de transfert de gènes, avec un accent particulier sur la biologie rétrovirale comme outils pour développer des thérapies géniques.

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Atlantico : Les 98% de notre ADN connus sous le nom de génome noir étaient au départ, considérés par certains généticiens comme de l'ADN « indésirable ». Récemment des scientifiques en ont découvert une utilité, qu’elle est-elle ? 

Jean-Christophe Pages : Pour retracer brièvement l'historique, si, au milieu du vingtième siècle, l’on a pu penser que les génomes étaient constitués uniquement de gènes qui codent des protéines, cette vision a évolué avec l’essor de la biologie moléculaire dans les années 70. Ainsi, on a depuis longtemps identifié des séquences non codantes dans les génomes, en particulier aux extrémités et au centre des chromosomes. Lorsque l’on a commencé à penser pouvoir séquencer le génome humain, il était estimé qu'il y avait environ un million de gènes codant des ARN traduits en protéines. Cependant, au fur et à mesure du séquençage, ce nombre a été considérablement réduit, et les données les plus récentes montrent que le génome humain contient environ 20 000 gènes codant des protéines. Cette découverte a conduit à une redéfinition du concept de gène, qui intègre désormais mieux non seulement les séquences codantes, mais aussi les séquences régulatrices de l’expression environnantes. De plus, avec les gènes codant des protéines, ont été découverts des gènes non traduits, tels que ceux des microARN (environ 5000) et des longs ARN non codants dont le nombre n’est pas encore précisément établi. Ces séquences non codantes ont une fonction très importante dans la régulation de l'expression des gènes.

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Bien que certains chercheurs aient pu qualifier ces séquences non codantes de « junk DNA » (ADN déchet), il est maintenant clair qu'elles ont une importance majeure dans le contrôle de l'expression des gènes. Par exemple, la différence de 0,1% entre le génome humain et celui du chimpanzé, en plus de différences de séquences et de présence de quelques gènes, porte aussi sur l’organisation génétique (répartition des gènes sur les chromosomes) qui a des conséquences très importantes sur la temporalité et les modes d'expression des gènes. Ces différences entraînent un développement différent, notamment du système nerveux central, et donc des fonctionnalités différentes. En résumé, toutes les séquences du génome humain expliquent son fonctionnement génétique, et peuvent être considérées « utiles ». En génétique, l’utilité est un principe délicat car il est associé à une idée de finalisme incompatible avec les mécanismes de l’évolution.

Le patrimoine génétique des êtres vivants doit être vu dans son ensemble, tant en considérant les gènes exprimés, transcrits en ARN, codants ou non, avec les modalités de régulation de l'expression de ces gènes, qui dépendent de l’organisation des génomes.

Les scientifiques ont aussi remarqué la présence de « transposons » dans notre ADN. Que sont-ils et en quoi nous en disent-ils plus sur nos premières formes de vie ? 

Les éléments mobiles représentent une classe importante d'éléments présents dans notre patrimoine génétique, ils sont divers, comprenant les transposons, des rétrotransposons y compris des séquences de rétrovirus. Environ 45% de notre patrimoine génétique est constitué d'éléments mobiles, et 8% sont des séquences dérivées de rétrovirus. Parmi ces séquences, environ 99% sont non codantes et ont des fonctions importantes dans la régulation de l'expression des gènes. Par exemple, deux séquences rétrovirales de certains mammifères, dont les humains, codent deux protéines dérivées d'enveloppes de rétrovirus ! Elles sont présentes chez les mammifères depuis des millions d'années et ont contribué à la formation du placenta. Les éléments mobiles sont présents dans le génome de pratiquement toutes les espèces vivantes et ont joué un rôle important dans l’organisation des génomes, notamment depuis l'apparition des cellules eucaryotes il y a plusieurs milliards d'années. Les éléments mobiles changent l'expression des gènes et ainsi contribuent à l'évolution des espèces et à certaines adaptations en fonction de l’environnement. A ce jour, le maïs possède l’un des génomes avec le plus élevé pourcentage d'éléments mobiles (80%).

En quoi ces découvertes vont pouvoir nous être utiles à l’avenir ?

Le premier draft (séquence presque complète) de la carte du génome humain a été publié en 2001, et depuis lors, la proportion d'ADN codant et non codant est devenue de plus en plus précise. Ainsi, le nombre de gènes traduits a diminué de 35 000 à 20 000. Par ailleurs, la présence des éléments mobiles améliore notre connaissance de la structure du génome humain. La compréhension de la structure du génome humain, intégrant les éléments mobiles, permet notamment d’en mieux appréhender le fonctionnement et l’apparition de certaines maladies. Ce n'est pas tout à fait une nouveauté, il est su depuis pratiquement 40 ans que les éléments mobiles peuvent contribuer à causer des maladies génétiques, comme l'hémophilie en modifiant la structure du gène d’un facteur de coagulation. Autre exemple, un élément mobile au sein d'un gène est associé à une forme de maladie de Parkinson aux Philippines. Cette découverte montre simplement et une fois encore que les éléments mobiles participent au contrôle de l'expression des gènes. La forte prévalence de cet allèle aux Philippines vient de ce que l’on appelle un effet fondateur, la présence ou l’apparition de l’allèle au sein des premiers habitants de l'île. Comme la maladie se développe tard, après la principale période de reproduction, l’allèle n’est pas contre-sélectionné, et, en l’absence d’apports de gènes de l’extérieur, ce qui a été fréquent sur les populations insulaires à une période où les échanges étaient plus rares, l’allèle est maintenu.

Enfin, notons que, en ce qui concerne l'évolution des espèces, malgré la connaissance de l’importance des rôles des éléments mobiles, cela ne permet que peu de prédire les scénarios d’évolution.

L’ADN n’est donc composé « que » de 20 000 gènes, comment cela a-t-il pu donner lieu à des êtres aussi complexes que les êtres humains ? 

La complexité des êtres vivants, y compris les humains, n’est pas qu’une question de nombre de gènes traduits. Outre la question de la régulation de l’expression de ces 20 000 gènes, il existe plusieurs niveaux d’intégration. L’un tient à ce que chacun de ces gènes peut coder différentes protéines grâce à un mécanisme particulier, l’épissage, qui fait qu’un gène par coupure variable (mais codée) et liaison de l’ARN qu’il code peut générer des protéines de structure diverses. Les 20 000 gènes traduits et les milliers de gènes non codants, ne sont pas tous exprimés dans toutes les cellules d’un organisme. Et c'est ainsi surtout la combinaison de gènes exprimés dans une cellule qui en définit le phénotype (caractéristiques de structure et de fonction). Il faut aussi intégrer la dimension développementale, l’expression des gènes est un phénomène dynamique. A chaque instant le programme peut changer en fonction de l’environnement, modifications épigénétiques. Et au cours de la formation des êtres les profils et la temporalité d’expression des combinaisons de gènes participent de sa complexité. De plus, la variabilité génétique joue également. Par exemple, un gène participant à la formation du système nerveux, retrouvé chez les humains et les primates non humains, ne diffère entre ces espèces que par quelques nucléotides, la protéine codée n’est pas exactement la même, et la conséquence est simplement une différence de vitesse de développement du cerveau… qui change beaucoup sa complexité !

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