Ce grand retour à la Politique que les Français imposent à Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, président de la République.
Emmanuel Macron, président de la République.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Crise au gouvernement

Le président de la République s’est fait élire en 2017 en misant sur l’épuisement des partis traditionnels puis en 2022 en misant sur la résignation des Français dans un environnement de confusion idéologique. Tout en semblant ne pas comprendre que le pays demeure extrêmement politisé.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Atlantico : Emmanuel Macron avait parié gagnant sur l’épuisement des partis traditionnels en 2017 et sur une forme de mise en retrait de la politique des Français en 2022 avec un cycle électoral où l’abstention était très élevée. Alors que la crise politique semble s’approfondir de jour en jour, est-il aujourd’hui hanté par le cynisme électoral qui a été le sien ? 

Virginie Martin : Au-dela du pari sur la démonétisation des partis politiques traditionnels, la matrice politique de Macron est de vider la / le politique de sa substance. L’enjambement devient alors une manière de gouverner. Enjamber le clivage gauche / droite, enjamber les échéances électorales, les résultats électoraux, enjamber la crise majeure que nous vivons depuis la séquence sur la réforme des retraites. D’ailleurs, sur cette loi, le choix stratégique du véhicule législatif qu’est le PLFRSS est la voie permettant tous les enjambements. 

Faire fi du pouls politique du pays est la boussole macroniste. Pourquoi ? c’est là que c’est intéressant à decrypter.

Ce type de gouvernance, prend ses racines dans des stratégies forgées autour de la seule conquête du pouvoir et de la réponse à la « modernité » pour ne pas dire « mondialisation ». C’est Dick Morris, conseiller d’un Bill Clinton en difficulté pour 1996, qui lui conseille de trianguler c’est à dire de ne pas se crisper sur l’idéologie démocrate, mais de jouer aussi la partie avec les Républicains. Barack Obama s'inspirera de cette tactique par la suite et sera d'ailleurs félicité par le duo Clinton-Morris. Mis également en difficulté aux élections à mi-mandat en 2010, Obama décidera carrément de conclure des accords bipartisans avec les républicains. Nouveau succès puisqu'il sera réélu en 2012 et que, grâce à la triangulation, il séduira et, de facto, neutralisera les républicains. 

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L'autre inspiration vient de Grande-Bretagne par le truchement de « la troisième voie » façon Tony Blair aidé par son conseiller Anthony Giddens : se rapprocher du centre, et se positionner au-dessus ou entre les partis dans une stratégie destinée à attirer un électorat plus large. La triangulation fait florès. 

Voilà pour la tactique politicienne qui bien sûr dépolitise considérablement l’échiquier et vide de son sens la question idéologique. C’est ce que l’on retrouvera le livre « Révolution » que Macron écrit pour sa campagne présidentielle de 2017. Un livre très peu politique, dans lequel chacun pourrait finir par se retrouver, un livre qui pourrait ressembler à ce que Chat GPT pourrait proposer. 

A cela, dans la lignée du blairisme s’ajoute la notion de « new public management » : l'État est certes important mais doit être géré « comme une entreprise », pour le meilleur et pour le pire. Partant, une sorte d’impossibilité de contradiction se met en place et le fameux TINA – There is no alternative - étouffe toute contestation. 

Si Anthony Giddens nomme 3ème voie cette matrice, E. Macron parlera de progressisme. Un terme qui n’a de sens qu’éclairer des explications précédentes. Grosso modo les partisans de cette matrice estiment que mondialisation et modernisation nous contraignent et que ces « choix » sont inéluctables. Cela pourrait s’appeler Progressisme aussi bien que « modernisme », que « le monde tel qu’il va », n’importe quel mot fluide et très flexible peut convenir  … Circulez, le politique est décédé. 

Au-delà d’un certain aveuglement politique d’Emmanuel Macron ou de ses proches, comment expliquer qu’aucune force politique dans le pays ne paraisse en mesure de répondre à l’énorme demande de sens politique qui émane de la société française ?

Je crois, qu’à la lumière de ce que je viens d’expliquer, on comprend mieux l’impuissance des partis de gouvernement à proposer « une alternative », à développer un autre type d’imaginaire politique, sauf à tomber du côté du souverainisme. 

Difficile en effet de trouver un espace face à un type de gouvernance se parant des vertus d’une certaine « neutralité » ou d’un « en même temps » et surtout qui dit combien elle est « inéluctable ». Il est d’ailleurs à parier que si la mondialisation se faisait moins (néo) libérale, ce type de responsables politiques se feraient moins (néo) libéraux et suivraient la nouvelle musique tant pour conserver le pouvoir, que pour adapter nos choix au désiderata du plus fort – l’Europe ou autre. 

C’est là où la technostructure répond parfaitement aux contraintes externes. C’est là où les partis traditionnels de gouvernement peinent à refaire de la politique ; avec quel paradigme ? Avec quelle matrice ? Que peuvent-ils dire sans être anti-européen, anti-capitaliste, anti-système ? Le piège s’est refermé. 

Les écologistes ont eux peut être la possibilité de pousser une histoire politique, mais leur crédo semble encore un peu court pour faire gouvernement. 

Quant aux autres le manque d’imagination, de travail, de réflexion idéologique et intellectuelle les contraient à être les béquilles d’autres formations. Le PS joue avec LFI, les LR avec Macron. Et la politique se meurt sur leur autel encore une fois. 

La politique se retrouve vivace via des partis de franche oppositions de type RN ou LFI ; ils répondent certes à une alternative mais peut être encore plus à une soif de refaire de la politique. Car, la demande, la soif de politique est forte, les résultats de l’élection présidentielle le montrent avec des résultats remarquables de la part de ces partis dit non gouvernementaux. 

On a vu que malgré le carcan des institutions et des modes de scrutin de la Ve, les électeurs avaient réussi en 2022, à imposer une forme de limitation du pouvoir présidentiel. Les citoyens français font-ils preuve d’une forme d’intelligence politique collective supérieure à celle de leurs élites ?

Certes, Macron été élu Président, mais les élections législatives ont limité ses pouvoirs. Quand les « élites » répondant à cette injonction d’accompagner « un monde qui bouge » (comme le disait Giddens), via cette triangulation, quand la politique devient technocratie, le peuple français lui reste profondément politique et politisé. 

Il sait parfaitement se situer sur un axe gauche / droite et n’a rien à voir avec ce peuple anglo-saxon, notamment américain, qui comprend – pour les avoir pensées – les cadres de la mondialisation, l’esprit du capitalisme comme le disait Max Weber, et qui n’a évidemment pas dans ses veines la Révolution de 1789. 

Donc, oui les français cherchent et veulent ce retour du politique, la résistance à la réforme des retraites en est une preuve évidente, alors ils cherchent du côté de le Pen, du côté de LFI, ils se campent sur des ronds-points, ils s’énervent de voir leur pays politique devenir un pays, juste un pays bercé par des contraintes externes. Un pays qui n’a plus rien à dire. 

La colère envers Macron est une sanction pour avoir dévoyé la politique made in France. Pour être allé chercher outre-Atlantique et outre-Manche ses inspirations. Macron est finalement bien loin de Machiavel. 

Aujourd’hui les partis de gouvernement se trompent en pensant être à bout de souffle, les français les attendent, faudrait-il encore que ces partis retrouvent confiance en eux, qu’ils retrouvent le chemin des bibliothèques et surtout qu’ils refassent de la politique.  Sans cela, inexorablement, les français iront chercher la politique là où elle se trouve.

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