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Ce dont bénéficient (ou pas) les entreprises et propriétaires français en contrepartie du plus haut niveau de taxation au monde
©LOIC VENANCE / AFP

Cocorico

Selon un rapport de l'OCDE, les entreprises et les propriétaires français seraient les plus taxés au monde.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Est-ce que cela vous semble être un constat plutôt négatif ou faut-il mettre en balance cette information avec l’utilité de l’impôt ?

Philippe Crevel : La France étant le pays de l’OCDE ayant le plus taux de prélèvements obligatoires, il est assez logique qu’elle occupe la première place pour la taxation des entreprises et des propriétaires. Ce sont deux catégories de contribuables qui ont le défaut d’être facilement taxables, l’entreprise ne vote pas et le propriétaire ne peut guère passer entre les mailles des services fiscaux. Cette situation est évidemment préjudiciable. Il ne faut pas oublier que taxer une entreprise revient à ponctionner trois catégories d’acteurs, les salariés, les actionnaires et les clients. Taxer lourdement les entreprises revient à réduire les salaires, à diminuer les revenus des actionnaires. Ces derniers seront, en outre tentés, par ricochet de diminuer la masse salariale. Par ailleurs, taxer une entreprise renchérit le coût des produits et donc diminue le pouvoir d’achat des consommateurs. Il ne faut jamais oublier que mettre une taxe sur une vache, ne transforme pas cette dernière en contribuable. En assujettissant la pierre de multiples impôts, les pouvoirs renchérissent son coût. A ce titre, ils sont contraints de mettre en place des dispositifs incitatifs corrigeant l’excès de prélèvements (Pinel, Malraux, Censé – Bouvard, etc.). La France est un pays qui est toujours en souffrance en ce qui concerne l’immobilier à cause d’une fiscalité et d’une réglementation imposante.

Michel Ruimy : Le dernier rapport de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) sur les réformes fiscales menées en 2018 confirme une situation antérieure : après avoir détrôné en 2016 le Danemark qui occupait la tête du classement depuis 14 ans, notre pays conserve depuis, la première place des pays les plus taxés en ce qui concerne la fiscalité des entreprises et des propriétaires. Une médaille d’or que beaucoup de Français auraient souhaité ne pas remporter.

Ainsi, alors que des baisses d’impôts ont été annoncées par Emmanuel Macron (le chef de l’Etat a décrété 17 milliards de mesures en faveur du pouvoir d’achat des Français, dont 5 milliards de baisses de l’impôt sur le revenu l’an prochain), la France reste largement surtaxée par rapport à la moyenne des pays développés. En particulier, les recettes prélevées sur les propriétaires français (plus de 100 milliards d’euros) sont les plus élevées du monde et le taux de prélèvements obligatoires est d’environ 46% contre 42% pour le Danemark.

Tout ceci est bien négatif pour l’activité économique. Rien de surprenant à ce que le « ras-le-bol fiscal » évoqué par Pierre Moscovici en 2013 se soit transformé cinq ans plus tard en une « immense exaspération fiscale » pour reprendre les mots d’Edouard Philippe après la crise des Gilets jaunes.

La priorité est donc de faire baisser la pression fiscale globale d’autant plus qu’entre 2007 et 2017, la France est l’un de cinq pays au monde où elle a le plus augmenté : elle est, avec le Mexique, l’Argentine et la Slovaquie, l’un des rares pays où les prélèvements ont augmenté de près de 4 points de Produit intérieur brut (PIB) soit, sur la base de 2017, 85 milliards d’euros prélevés sur les entreprises et sur les propriétaires immobiliers.

Comment évaluer la pertinence économique de ces impôts pour les entreprises et les propriétaires au regard de l’investissement public ? 

Philippe Crevel : La qualité des infrastructures publiques au regard des standards internationaux est plutôt correcte même si surtout depuis une vingtaine d’années, la tendance de fond est à la baisse. Malgré tout, leur coût est élevé. De ce fait, la rentabilité de certaines infrastructures est inexistante. Il en résulte un endettement croissant qui ne peut qu’aboutir à un alourdissement des charges. Il est affirmé à tort qu’avec les taux négatifs, l’Etat fait une bonne affaire en remboursant moins qu’il n’emprunte mais il faut néanmoins rembourse pus de 99 % de ce qui est emprunté… Si cette somme ne crée pas de richesses, il n’y qu’un perdant, le contribuable.

 Le surcroît de prélèvements se traduit en France par un peu plus d’investissement que chez nos partenaires, et en particulier en Allemagne. Mais, ce n’est qu’une partie du surcroit qui est affecté à l’investissement, la majeure partie sert à financer des dépenses de fonctionnement.

Michel Ruimy : Les entreprises sont soumises, grosso modo, à un taux moyen d’impôt sur les sociétés (IS) de 32% (l’IS a baissé à 31% pour les entreprises faisant moins de 250 millions de chiffre d’affaires cette année, mais il est resté de 33,33% pour les autres). À titre de comparaison, en Europe, le Luxembourg et la Norvège ont réduit leur taux d’IS d’1 point, respectivement à 17% et à 22%. En Suède, il est tombé à 21,4% en 2019 et passera à 20,6% en 2021. La Grèce et les Pays-Bas suivent le même chemin. 

Si Emmanuel Macron a promis de ramener ce taux d’IS à 25% pour toutes les entreprises d’ici à 2022, il s’agit encore d’une facture de 2 milliards d’euros qu’elles devront régler dans le prochain budget pour financer une partie des « mesures Gilets jaunes » même si cette pression fiscale est, en partie, compensée par le régime le plus favorable de l’OCDE en matière de recherche et développement : le Crédit impôt recherche. Un crédit d’impôt d’environ 6 milliards d’euros qui sera toutefois raboté de 200 millions dans le prochain budget.

Autres champions du monde de l’imposition, les propriétaires immobiliers. La France est le pays où la pression fiscale sur les propriétaires (qui financent les collectivités locales) a le plus augmenté ces dernières années au côté de l’Argentine, de la Belgique ou des États-Unis. En dépit de la première baisse de la taxe d’habitation, elle est encore d’environ 4,5 points de PIB de recettes cette année, soit plus d’une centaine de milliards d’euros. Face à cette fiscalité accrue, le président de la République a annoncé qu’il supprimerait la totalité de la taxe d’habitation d’ici 2023, soit une baisse des recettes d’environ 25 milliards d’euros.

On voit bien que les taxes sur l’immobilier restent une source assez faible de revenus. Seul hic, la suppression de la taxe d’habitation risque, par vase communicant, de faire augmenter fortement la taxe foncière. Un bonneteau fiscal inévitable tant que les baisses d’impôts ne seront pas accompagnées d’une baisse de la dépense publique.

Au sujet des investissements publics, plus que le montant, il convient de s’interroger d’une part, à leur finalité et d’autre part, à la qualité de leur réponse. Il ressort de diverses enquêtes auprès des entreprises ou des ménages, un bon degré de satisfaction pour ce qui concerne la qualité des infrastructures françaises. Cependant, si la dernière étude de l’OCDE sur la situation économique de la France (mars 2019) observe qu’il n’y a pas de signes d’une insuffisance manifeste du montant des investissements publics en France, au moins au regard des autres pays développés, elle montre que leur qualité pourrait être améliorée par un meilleur choix des projets, fondé sur des évaluations socio-économiques, et une plus grande attention portée à la maintenance des équipements existants. Certains acteurs publics privilégient, en effet, la mise en place de nouveaux investissements au détriment de l’entretien de l’investissement existant.

D’autre part, ce niveau de taxation est aussi à confronter à l’utilité économique du modèle social français. Dans quelles mesures les entreprises bénéficient-elles de ce modèle ?

Philippe Crevel : Par rapport à l’Allemagne, les entreprises financent moins la formation des jeunes, cette dernière étant essentiellement assurée par l’Etat. En Allemagne, au sein du patronat, certains estiment que les entreprises françaises sont avantagées. Ils demandent que les lourdes dépenses d’apprentissage soient prises en charges par la collectivité publique. Aux Etats-Unis, les entreprises sont amenées à financer les dépenses de santé et de retraite de leurs salariés pour des montants élevés car le système de base proposé par les collectivités publiques. En France, les entreprises peuvent jouer sur le système d’Etat providence pour gérer les effectifs en ayant recours par exemple aux licenciements transactionnels. Les entreprises peuvent exploiter les importantes niches fiscales comme celle du crédit d’impôt recherche. De ce fait, il y a une profonde inégalité entre les entreprises qui profitent du système et celles qui sont contributrices nettes. Les PME et les TPE ont moins de marges de manœuvres pour optimiser leur situation fiscale. Elles subissent de plein fouet les coûts publics. Les grandes entreprises ont par ailleurs joué sur l’éclatement des chaînes de valeur pour échapper à la pression fiscale. Au-delà de ce constat, un niveau élevé de prélèvements est nuisible pour la compétitivité, pour le commerce extérieur et pour la croissance ainsi que pour l’emploi. Il incite à l’automatisation voire à l’attrition, pourquoi investir, pourquoi travailler plus si cela ne rapporte pas ou peu.

Michel Ruimy : La structure de la fiscalité dans un pays est un paramètre important à prendre en compte dans l’analyse de ses performances économiques. En effet, un code fiscal bien construit doit notamment être facilement appréhendable par l’ensemble des contribuables, doit promouvoir le développement économique et, au final, apporter les ressources nécessaires au fonctionnement de l’État. Au contraire, un système fiscal kafkaïen et opaque est, au contraire, coûteux pour les contribuables, provoque des distorsions économiques et fragilise l’économie du pays.

Beaucoup de pays ont pris conscience de cette situation et ont réformé leur fiscalité. C’est pourquoi, durant les dernières décennies, les taux marginaux d’imposition des entreprises ont décliné significativement à travers l’OCDE. Prenons l’exemple de la Nouvelle-Zélande. Elle a réduit, il y a quelques années, son taux marginal supérieur sur le revenu de 38 à 33% (devenant plus dépendante à la TVA) et a réduit son taux d’impôt sur les sociétés de 30 à 28%. Elle réalisé ces changements de fiscalité en complément d’autres mesures pour améliorer sa compétitivité (suppression des droits de succession, fin des taxes sur les plus-values, absence de taxes sur les salaires…). Résultat : elle est devenue, au plan économique, plus attractive et a enregistré de meilleurs résultats.

Cette tendance mondiale de baisse des taux d’impôts sur les sociétés et des taux d’impôt sur le revenu rend, en conséquence, notre système fiscal de moins en moins compétitif d’autant plus que, notre pays, à l’instar de certains autres, n’a pas suivi ce penchant. L’ensemble de ces pays ont introduit, ces dernières années, nombre de réformes qui ont significativement augmenté le taux marginal d’imposition que ce soit sur le travail, sur l’épargne ou sur l’investissement.

Aujourd’hui, à la suite de la réforme du système fiscal américain, la France a maintenant le taux d’imposition sur les sociétés le plus élevé. Bien que le gouvernement ait voté une loi prévoyant la baisse du taux d’IS à 25% en 2022, beaucoup d’autres changements seront nécessaires à la France pour avoir une fiscalité compétitive et être plus attractive au plan économique. Mais, cette situation soulève la question des dépenses publiques et sociales.

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