Ce chercheur japonais pourrait bien révolutionner ce que l’on sait du sommeil, de la fatigue et des insomnies <!-- --> | Atlantico.fr
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Des chercheurs japonais ont tenté de percer les secrets du sommeil et de ses mécanismes.
Des chercheurs japonais ont tenté de percer les secrets du sommeil et de ses mécanismes.
©JOHN MOORE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Espoir de la recherche

Le professeur Masashi Yanagisawa, directeur de l'Institut international de médecine intégrative du sommeil de l'Université de Tsukuba, et son équipe ont mené des recherches afin de percer le mystère du fonctionnement du sommeil.

Marc Rey

Marc Rey

Le Dr Marc Rey est président de l'Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV). Neurologue, il a été responsable du Centre du Sommeil de l’Hôpital de la Timone – AP-HM à Marseille.

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Atlantico : Le chercheur Masashi Yanagisawa et son équipe ont fait un nouveau pas sur le chemin de la compréhension du fonctionnement du sommeil. L'enzyme appelée kinase 3, au coeur de leurs travaux, peut-elle jouer un rôle central dans la régulation du sommeil et constitue-t-elle l'indice que tout le monde recherchait ?

Marc Rey : Effectivement, la découverte de cet enzyme peut conduire, dans un avenir extrêmement lointain, à une meilleure connaissance des perturbations du sommeil. Il est impliquée dans la phosphorysation des protéines et va donc entraîner une modification des forces synaptiques. Or, puisque le sommeil est impliqué dans les forces synaptiques et ces phosphorysations étant elles aussi impliquées dans le fonctionnement des synapses ainsi que dans celui de notre horloge interne, on observe de fait des perturbations diffuses sur notre système immunitaire. Celles-ci concernent à la fois la croissance, la prise alimentaire ou le sommeil. 

Le problème étant, en l'occurrence, que cette découverte concerne des enzymes dont le niveau de diffusion au sein de l’organisme est particulièrement important, notamment du côté du cerveau. Ils sont, nous l’avons dit, impliqués dans le rythme de veille et de sommeil, mais pas seulement. Dès lors, s’il reste évidemment utile de trouver des enzymes qui interviennent sur le sommeil, il ne s’agit pas d’une découverte susceptible de régler l’ensemble des problèmes de sommeil auxquels nous sommes confrontés. Nous faisons face à une situation que l’on pourrait comparer à une expérience au cours de laquelle on aurait privé le sujet d’oxygène. Certes, il dort, mais il est dans le coma et quand il respire de nouveau, il se réveille. Difficile de dire que c’est un composant essentiel de son fonctionnement cérébral, au niveau neuroscientifique. Cet enzyme manque de spécificité pour nous être très utile. 

Les travaux sur l’enzyme kinase 3 permettent-ils d’avoir une nouvelle approche sur le fonctionnement de la fatigue ou les somnolences qui accompagnent parfois cette dernière ?

Oui, potentiellement, mais là encore il faudra avancer davantage dans la recherche pour en savoir plus. Pour reprendre la métaphore précédente, l’expérience réalisée permet d’identifier qu’un patient manque de sucre et tombe en hypoglycémie après l’avoir privé de sucre. Ces travaux sont très intéressants parce qu’ils mettent à jour des nouveaux mécanismes régulateurs. Hélas, l’action de ceux-ci demeure particulièrement générale, tant au niveau du cerveau que sur le système immunitaire, les lymphocytes T ou encore un certain nombre de cellules métaboliques. Ce n’est pas une clef du fonctionnement du sommeil que nous venons de trouver, c’est bien davantage une clef du fonctionnement cellulaire qui agit, entre autres, sur le sommeil. 

Cela n’empêche de développer un tas d’outils pour essayer de mieux dormir, qui vont de l’oreiller à la neuro-chimie.  Compte tenu de l’importance du sommeil, qui est un besoin physiologique et un comportement social, il faut toutefois comprendre qu’on ne peut se contenter de se représenter la chose comme un simple vase de sommeil que l’on remplirait en dormant comme on fait le plein d’une voiture avant de vivre notre vie pendant plusieurs heures d'affilées jusqu’à devoir procéder à un nouveau rechargement. C’est une vision biaisée de la question, qui gouverne bien souvent au développement de ces outils. 

Parce que c’est aussi un comportement social, le sommeil répond également à tout un tas de paramètres qui ne sont pas nécessairement biologiques. Ils relèvent, pour partie, de la psychologie. Ainsi, on a moins sommeil qu’on est stressé. D’une façon générale, c’est une situation dans laquelle l’être humain est capable de faire preuve d’une grande endurance : quand il craint pour sa vie, par exemple, il est capable de se priver de sommeil pendant très longtemps. 

Quelles sont les pistes pour s’assurer un sommeil plus abondant et de meilleure qualité au quotidien ?

Nous avons commencé à évoquer l’un des aspects de la réponse précédemment : le sommeil relève, pour partie, du comportement. Cela veut dire qu’il est possible de s’entraîner à trouver le sommeil. En cherchant à dormir à des horaires réguliers, par exemple, puisque l’on sait qu’il existe une très forte interaction entre sommeil et rythmes biologiques. Des horaires réguliers permettent une meilleure mise en phase de nos différents rythmes. En cas de jet-lag, par exemple, on expérimente une période de déphasage de ces mêmes rythmes. En moyenne, il faut savoir que le rythme de veille-sommeil prend huit jours pour se caler ou se re-caler. 

Évidemment, il est indispensable de connaître ses propres besoins en matière de sommeil. C’est quelque chose de très important, mais aussi de très individuel. Certains sont des dormeurs courts, qui n’ont pas besoin de beaucoup de temps de sommeil, d’autres au contraire sont des dormeurs longs. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut changer ; cela relève du génétique. Il y a aussi ceux qui sont du soir et dont la forme est complète en soirée. Ils seront incapable de s’endormir à 20h, même en se forçant la main. 

Faut-il penser que les travaux menés en ce moment au sujet de la régulation du sommeil puissent permettre de mieux contrôler la durée et la qualité du sommeil ?

Malheureusement, non, puisque le sommeil est plurifactoriel. Il est biologique, d’une part, mais pas seulement. Il va sans dire que nous serions tous ravis du développement d’un médicament capable de mieux réguler et contrôler la qualité de son sommeil ; qui permettrait à tout un chacun de se réveiller en pleine forme. Nous aimerions fonctionner comme des machines, que l’on peut instantanément éteindre ou rallumer. Mais les humains, nous pouvons continuer à chercher, n’ont pas de boutons on-off. Cela relève du fantasme. 

Cela ne veut pas dire que la recherche ne s’y essaye pas ! Les chercheurs travaillent sur les troubles du sommeil pour essayer d’affiner les réponses qu’il est possible d’envisager face à un patient. Parfois, il s’agit de guérir une hygiène du sommeil inadéquate, parfois le problème vient de la qualité du sommeil en tant que telle, comme cela peut-être le cas chez les patients souffrant d’apnée du sommeil. Il est essentiel, en cas de troubles, de faire un diagnostic chez un médecin approprié, d’autant que nous avons beaucoup progressé et sommes nettement plus à même d’identifier les causes à traiter. 

Depuis la crise covid, le nombre de patients souffrant de pathologies rendant le sommeil plus difficile semble avoir explosé. Ce n’est pas le covid stricto sensu qui a entraîné des insomnies, d’autant que celles-ci ont régulièrement touché les proches des malades plutôt que les malades eux-mêmes. En cause ? Le confinement, parfois, le caractère anxiogène des nouvelles diffusées à l’époque. Rester toute la journée assis sur son canapé contribue à déphaser le rythme de sommeil que nous évoquions précédemment. 

Peut-on dire, pour conclure, que l’enzyme kinase constitue une découverte porteuse d’espoir en matière de régulation du sommeil à l’avenir ?

A certains égards, oui, sans doute. Il est toujours utile, je le disais tout à l’heure, d’en savoir davantage sur le sommeil. Mais elle demeure bien trop diffuse dans son action pour que l’on puisse espérer de grandes avancées sur la seule base de sa découverte. Les kinases ont un rôle très important pour l’ensemble des rythmes biologiques, pas seulement pour la régulation du sommeil. Nous n’avons pas trouvé la clef spécifique à l'interrupteur du sommeil, si je puis dire. Dire cela, ce serait soutenir une extrapolation, un mensonge.

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