Castro : abjection castriste, trahison française<!-- --> | Atlantico.fr
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L'esprit de Fidel Castro veille toujours sur le quadrillage général de la vie sociale.
L'esprit de Fidel Castro veille toujours sur le quadrillage général de la vie sociale.
©ALFREDO ESTRELLA / AFP

Tribune

La mort du dictateur cubain Fidel Castro a donné lieu à certains hommages relativement déplacés en France.

Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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Tristesse, infinie tristesse : Fidel Castro est mort et le souvenir de mes amis cubains persécutés, emprisonnés, torturés, assassinés, est enseveli avec lui. Arrivée de Ségolène Royal pour saluer la mémoire d’un homme qui mit le pays à feu et à sang ? Ni colère, ni même indignation, devant cette cérémonie de glorification dont n'osait rêver le tyran. Un sombre sentiment seulement. Sans doute l’histoire est-elle celle de nos espoirs déçus. Sans doute aussi, enveloppé par les doux parfums de la mer, ce sentiment m’avait-il déjà envahi, ce soir du 13 novembre 1999, sur la Malecón à La Havane, quand entouré de quelques dissidents, nous préparions la manifestation de femmes pour le lendemain. "Enfin, la France va nous aider", disaient-ils, l’espoir accroché au cœur, le regard tourné vers cet océan où ils imaginaient la France en vaisseau amiral de la liberté. Hélas !, amis, hélas !, comment vous dire la vérité ?

Quelques heures plus tôt, à l’hôtel Nacional, sorti d’une chambré truffée de micros, dans le hall, quatre Français, un roi du poulet, un artiste célèbre et deux politiques, avaient plus simplement proposé de dîner avec Fidel et Raul Castro. A l’occasion du sommet ibéro-américain, un seul objectif leur paraissait digne d’être vécu : "faire la fête". Images de la France officielle, pour ces charmants drilles, Fidel Castro disait vrai : "Nous n’avons pas de prisonniers politiques, nous avons des prisonniers contre-révolutionnaires". Bien avant le pathétique Mélenchon, ils voulaient croire en cette fantasmagorie des attentats à répétition contre leur héros au lieu de se demander si, en bon stalinien, il ne se servait pas de cette accusation absurde pour liquider ses opposants.  A la manière de la sinistre Danielle Mitterrand, ils se donnaient même des airs de combattant de la libération en couvrant de leurs rires et de leurs chants les cris d’horreur des prisonniers.

Rencontrer l’épouse d’Oscar Elias Biscet, emprisonné depuis trois mois, vivant nu parmi des détenus de droit commun, torturé, privé de sommeil, interdit de visite, survivant avec la ration quotidienne de 70 grammes donnée aux prisonniers politiques ? Ils n’y avaient même pas songé. La nuit tombée, par des ruelles improbables, déjouer avec nous la surveillance policière, passer secrètement de domicile en domicile, rencontrer des initiateurs du projet démocratique, le Valera Project, qui seront tous arrêtés, leur donner un passeport de la liberté, soutenir les familles des détenus en pleurs qui raconteraient avec pudeur leurs vies terrifiées, celles de Jasmin Perez Porra, Juan Carlos Gonzales Leyva, Laeticia Gomez Arias, Lazaro Garcia, Omar Ruiz Hernandez et de tant d’autres ? Et, à chaque rencontre du Cuba réel, célébrer, cœurs enlacés, ces âmes meurtries, éprises d’humanité et de liberté ? Non, vous dis-je, à la Havane comme à Paris, politiques, diplomates, industriels français n’étaient pas intéressés. Quant aux intellectuels, pas un ne voulut me suivre quand tant accouraient pour entonner des chants révolutionnaires entre deux Cohibas. Déjà, à l’époque, pourquoi gâcher son plaisir dans ce pays où règnent corruption et prostitution, enfants compris, et penser aux centaines de détenus politiques qui vivent dans des cellules de 2m30 de large sur 2m de long, sans matelas, au milieu des rats, réveillés toutes les heures par des éclairages violents et frappés à coups de bottes ? Pourquoi s'inquiéter entre deux langoustes des "Comités de Défense de la Révolution" qui terrorisent, les quartiers ou des Brigades d’intervention rapides et groupes de "bons citoyens en colère" qui débarquent chez les dissidents, les brutalisent, insultent leurs enfants dans les rues, taguent leurs domiciles, voire les détruisent ? Pourquoi vivre dans le souvenir des dizaines de milliers de familles cubaines noyées par les gardes-côtes qui balançaient des sacs de sable sur les frêles embarcations de ceux qui fuyaient l’utopie castriste par le détroit de Floride ? Que la petite bande française des Tartuffe et des faux-culs de la moralité s’amuse.

Nous amuser, nous ne l’avons pas pu. Après une nuit de courses contre la police dans La Havane, le 14 novembre au matin, la manifestation n’eut pas lieu. Pas un Cubain dans le parc. Des femmes dissidentes avaient été arrêtées au petit matin, et emprisonnées. Je le fus à mon tour dans l’après-midi : rien qui vaille la peine d’être raconté, ni la pression, ni les menaces, ni la violence, tant le malheur qui frappe ce peuple m’avait conduit à l’indifférence et j’avais presque de la peine pour ces geôliers qui ne savaient sur quel pied danser avec un étranger et qui ne croyaient plus en rien, simplement effrayés de ne pouvoir assurer la répression qui leur permettait de survivre avec leur famille.

Rien n'a changé depuis du côté de Paris, comme je le pressentais lors de mes trois voyages au pays de la dissidence, auprès de prêtres et de défenseurs des droits de l'homme. Pas un mot contre ce droit pénal qui permet la plus violente des répressions au nom de "l’indépendance et de l’intégrité de l’Etat", de la "propagande ennemie", de "l’outrage" : des dizaines de milliers d’arrestations en 1999, plus de 2500 chaque année depuis 2011. 

Aujourd’hui encore, ils manifestent en nombre pour soutenir le régime, me dit-on. Bien entendu, et cela sous peine d'expulsion de son travail pour tout individu ayant une "attitude hostile" ou indifférente à la révolution. Par peur des "actes de répudiation" aussi. À la façon de Ramon Humberto Colas Castillo, expulsé de son logement et dont l’épouse qui refusa de divorcer perdit son emploi. À celle d'Antonio Manuel Gonzales Castellanos : puisque sa famille refusait de le quitter, à la demande de Fidel Castro, 2 000 personnes manifestèrent devant son domicile, cognant enfants et grands-parents. A la façon de milliers de Cubains effrayés de devoir affronter les gardiens du paradis cubain et leurs potes nauséabonds, les porteurs du tee-shirt de Che Guevara, sans doute fiers d’épater la galerie en portant le visage de l’assassin de milliers de paysans qui avaient refusé la collectivisation des terres, croyant qu’avec la révolution ils en deviendraient les propriétaires. Ah, cette chanson à la gloire du "commandant Che Guevara" qui tuait dans son propre bureau les paysans désarmés, combien d’ignares ou de collabos du régime sanguinaire l’ont entonné ?

Cela va mieux à présent, me dit-on. Certes, il n’y a plus que 250 lieux de torture, et une dizaine vraiment en activité. Et les marches hebdomadaires des "Dames en blanc", parentes des dissidents, sont acceptées… avec harcèlements, menaces sur la famille, violences, privation de soins publics, comme on le vit l’an dernier à Santiago de Cuba. Bon, j’aurais moi aussi voulu profiter de la plage au lieu d’évoquer Ariel Sigler Amaya, devenu paraplégique en 2010, ou Orlando Zapata Tamayo, décédé après avoir été privé de soins et d’eau durant 18 jours. J’aurais voulu, moi aussi (n’y ai-je donc pas le droit ?), n’avoir jamais entendu parler d’Ángel Moya Acosta ou de Damaris Moya Portiers, puisqu’en 2011, elles survécurent aux tortures. Et puis, avec quel délice je me serais précipité sur la plage pour un bon massage, satisfait de savoir que la méthode baptisée balancín (la bascule), où la victime placée sur le ventre a pieds et mains liés ensemble derrière le dos pendant des heures, est moins à la mode, bien que la technique des insectes et des rongeurs dans les cellules capitonnées et les simulacres d’exécution le reste un peu. Oui, se baigner dans les eaux chaudes, satisfaits d’apprendre qu’après avoir été privés de tous leurs droits, sous peine de 6 à 10 ans de prison, menacés de torture, les dissidents sont plus souvent sommés de s’exiler, tels ces Arce Cabrera ou Arevalo Padron, perdant tout, oui, mais gardant la vie ; tiens, passe-moi un mojito. Notez que ce qui chagrine un peu dans les grands complexes hôteliers où je ne suis jamais allé, c’est que, depuis 1996, pour travailler et obtenir des dollars, seule monnaie qui permet d'accéder aux magasins de touristes, il faut avoir la carte du parti et chanter aux niais, via la Rumba, la salsa, la trova, le mambo, "que la musique des tortionnaires est belle", glorifiant Fidel sans toujours avoir le bon ton. 

Le tyran est mort ? Mais son esprit est là qui veille sur le quadrillage général de la vie sociale. La répression a repris plus violemment depuis deux ans. Je croyais aux bienfaits de l’ouverture engagée par Obama : elle ne fit que renforcer le système. Et se taire est toujours le mot d'ordre des consciences qui n'en ont guère.

Le plus émouvant : l'absence de haine de nombre de dissidents après la mort de leur tortionnaire. Celui de l’économiste Marta Beatriz Roque, ou de Berta Soler, qui dirige les "Dames en blanc". Elles n'oublient rien, ces femmes qui souffrent de nos silences, elles savent un jugement qui ne leur appartient plus. Et, tels ces militants chrétiens qui défendent leurs valeurs depuis près de 60 ans, elles ne veulent pas, en insultant un mort, enfiler les guêtres de leurs bourreaux. Elles ressemblent à mon ami Mario Charnes de Armas, resté 30 ans en prison, oui, 30 ans, plus que le regretté Mandela, un homme dont la bien-pensance n’a jamais dit un mot par peur de briser les idéologies de gauche. Il est mort lui aussi sans haine, cette haine dont il me disait dans un bar de Miami qu’il ne voulait plus jamais la rencontrer. Et il rêvait de son île libérée. Et il croyait encore en la France, terre de liberté. Un rêve, malheureusement. 

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