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Casser le cercle vicieux de la pauvreté : l'étude qui pourrait tout changer
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Ah quand même

Comment briser le cercle de la pauvreté qui enferme des familles dans la précarité ? Aux Etats-Unis, une expérimentation menée à Atlanta, auprès de familles afro-américaines pauvres, a donné des résultats spectaculaires. La "two generation approach" repose sur une idée simple : scolariser les enfants et accompagner les parents vers un emploi adapté au sein d'un centre éducatif.

Jozef  Corveleyn

Jozef Corveleyn

Jozef Corveleyn est professeur émérite en psychologie clinique à l'université de Louvain en Belgique. Ses recherches portent notamment sur l'analyse des situations extrêmes, comme la pauvreté, la famille, la violence et les structures de la violence.

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Aux Etats-Unis, un programme d'aide a permis à des familles en situation de grande précarité d'Atlanta de "sortir du cercle de la pauvreté", révèle The Atlantic. Baptisée "two generation approach", l'expérimentation consiste à donner une éducation de qualité aux enfants et à accompagner les parents dans leur recherche d'emploi, au sein d'un centre éducatif, le "Dunbar Learning Complex". Les résultats sont étonnants : en un an, 55% des enfants faisant leur première rentrée à l'école primaire savaient lire.1 800 parents ont également pu retrouver un emploi.

Atlantico : Qu'est-ce que cette démarche a de révolutionnaire, dans la lutte contre la pauvreté ?

Jozef Corveleyn : Cela sonne peut-être révolutionnaire (nouveau aujourd’hui), mais de telles expériences sont déjà connues depuis plus de vingt ans. Dès les années 60, à l’époque du président Johnson qui a lancé des programmes (assez chers, bien sûr, mais efficaces) pour combattre la pauvreté  (Early Head Start et variantes), on travaillait dans la même direction : favoriser l’accès à des emplois pour les parents pauvres ET favoriser l’éducation de leurs enfants.

Ce qui est relativement nouveau, c’est que cette approche combine l'aide au niveau "individuel" (parent-enfant) : soutien du parent pour être mieux équipé, formation des parents à de nouvelles compétences pour entrer sur le marché du travail, tout en scolarisant l'enfant et en accompagnant les parents dans l'éducation de leur enfant. Cette combinaison de formes de soutien est "expérimentée" depuis les années 90 sous le nom de "two generation approach". En effet, les très bons résultats de cette "expérimentation" à Atlanta prouvent encore une fois qu’une telle approche est beaucoup plus efficace que les programmes "isolés" : par exemple, favoriser seulement le chemin vers l’emploi ; ou donner à des familles pauvres l’occasion de faire participer leurs enfants à l’éducation scolaire "normale". On sait depuis de longues années qu’un enfant né dans la (grande) pauvreté a peu de chances de sortir du cercle vicieux de la pauvreté, à cause de déficits de son développement (sur le plan cognitif, affectif, social, etc.).

Dans le "Dunbar Learning Complex", tous les besoins des familles sont pris en charge : garde d'enfants, conseils sur la santé et l'alimentation, accompagnement dans les démarches administratives, conseils éducatifs, etc. Cette prise en compte de la personne dans sa totalité, est-ce la clef du succès ?

Certainement. Cela demande un grand effort de la société, mais au nom de la solidarité, cela devrait être la norme. C’est compréhensible : si le parent n’a pas d’emploi, il ne peut pas s’occuper correctement du devéloppement de son enfant, car il est empêtré dans les soucis quotidiens pour survivre. Ces parents n'ont pas reçu eux-même un niveau d'éducation suffisant ( ils ne savent pas lire, n'ont pas accès à la culture ou à l'information, etc.) pour faire progresser le développement de l’enfant. Ce développement va stagner. Résultat : à l'adolescence, l'enfant ne sera pas armé pour entrer dans une société toujours plus complexe.

Ce programme est basé sur la responsabilisation des parents, encouragés à devenir de bon éducateurs. Les parents ont-ils besoin d'être aidés dans leur rôle de parents ?

Les familles qui vivent en situation de grande précarité et qui sont reléguées en marge de la société en ont certainement besoin. En ceci, il s’agit en premier lieu de "la responsabilisation" de notre société. Ne pas augmenter les allocations des familles sans emplois, de ne pas les accompagner, de ne pas investir dans les quartiers marginalisés, de ne pas leur donner accès à une scolarité de qualité, de ne pas aider les parents à trouver un emploi etc. Tout cela relève de la volonté politique. 

Les parents qui n’ont pas eu eux-mêmes une bonne éducation ne sont pas capables de s’occuper bien de leurs enfants, ils n’ont pas les compétences de base (lire, écrire, s’intéresser à la culture, s’intéresser aux mouvements sociaux, …), ni la liberté intérieure pour s’ouvrir vraiment aux besoins développementaux de leurs enfants. Ils sont obnubilés par les soucis de chaque jour pour survivre, et par une perspective de vie assez "limitée" et pas très gai, qu’ils ont appris eux-mêmes à partir de leur propre enfance.

Pensez-vous qu'en France, cette méthode puisse être la solution pour éradiquer l'exclusion sociale ? 

Bien sûr, mais cela demandera un changement de mentalité politique fondamental, comme en Belgique d’ailleurs et dans différents pays de l’Union. Corriger les politiques actuelles par une bonne dose de "fraternité-solidarité". Comme le disait l’économiste Amartya Sen (Nobel 1998), on peut juger la valeur d’une société à la manière dont cette dernière s’occupe de ses membres les plus pauvres. En deux sens : oser de nouveaux investir sérieusement dans la lutte contre la pauvreté, visant justement l’amélioration de la formation des générations futures, donner une perspective de vie aux familles en pauvreté. Et déculpabiliser les parents vivant en sérieuse pauvreté : ce n’est pas de leur faute qu’ils sont nés ou qu’ils sont ‘tombés’ dans la pauvreté. En plus de ça, naturellement, il ne faut pas être naïf, on doit leur ré-apprendre à prendre des responsabilités.

Quelles sont les limites de cette méthode ? 

Naturellement il faut des délibérations et des discussions dans la société (la politique) concernant l’ampleur du ré-engagement de nos sociétés dans cette lutte contre la pauvreté, en soutenant et les parents et leurs enfants. La question des limites est une question politique. Ca se discute. Est-ce qu’on veut bien soutenir telle ou telle banque en difficulté, d’un côté, mais pourquoi ne pas soutenir en même temps la future génération obligée de grandir dans la précarité. C’est une question de choix, qui ne sont peut-être pas faciles en raison des relations de force sociales, mais ces choix sont nécessaires.

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