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La centrale nucléaire de Fessenheim, le 21 février 2020
La centrale nucléaire de Fessenheim, le 21 février 2020
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Naufrage

Le gouvernement a fini par reconnaître que la perspective d’une pénurie énergétique était bien réelle cet hiver. Pourtant, en s'intéressant à l’évolution de nos capacités de production thermique au cours des dix dernières années, le naufrage était prévisible

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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Le 23 août dernier, la situation ci-dessus reproduite du mix électroénergétique de la France inspirait la réflexion technique suivante à Jean Fluchère autrefois directeur du CNPE de Bugey et directeur de son célèbre centre de formation. 

À 23h45, après avoir massivement importé toute la journée, notre système électrique frôlait la limite de ses capacités en la matière, avec 9,7 GW, tandis que 4,6 GW de gaz n’auraient jamais dû être présents en été. Sècheresse oblige, l’hydraulique et les STEP s’en sont tenus à 5 petits GW que l’absence nocturne du photovoltaïque et la quasi absence d’éolien n’ont guère abondés.

Mais c’est la situation de notre production thermique – nucléaire en particulier – qui mérite toute notre attention et devrait mériter celle de nos décideurs et surtout celle de leurs censeurs. Sur 56 tranches, 31 sont arrêtées : 28 pour rechargement et maintenance, dont 12 pour réparations des corrosions sous contraintes, 1 en arrêt fortuit pour maintenance, 2 en économie de combustible pour subvenir aux besoins d’hiver. 

Considérons donc l’évolution de nos capacités de production thermique sur les dix dernières années :


Arrêt définif de centrales thermiques

2013

LE HAVRE

EDF

600 MW

2013

BLENOD

EDF

250 MW

2013

PROVENCE

E.on

230 MW

2014

LUCY

E.on

245 MW

2014

LE HAVRE

EDF

125 MW

2014

BLENOD

EDF

500 MW

2015

BOUCHAIN

EDF

250 MW

2015

LA MAXE

EDF

500 MW

2015

LE HAVRE

EDF

330 MW

2015

VITRY/SEINE

EDF

500 MW

2015

EMILE HUCHET

E.On

343 MW

2016

ARAMON

EDF

1 400 MW

2017

PORCHEVILLE

EDF

2 400 MW

2017

CORDEMAIS

EDF

700 MW

2018

CORDEMAIS

EDF

700 MW

2021

LE HAVRE

EDF

600 MW

?

PROVENCE

E.on

1 200 MW

TOTAL

-      10123 MW

Mise en service de centrales à Cycle Combiné Gaz, CCG

2013

TOUL

TOTAL

413 MW

2013

MARTIGUES

EDF

465 MW

2016

BOUCHAIN

EDF

575 MW

2022

LANDIVISIAU

TOTAL

440 MW

TOTAL

+ 1893 MW

Arrêt définif des 1800 MW de la centrale nucléaire de Fessenheim en 2020

Estimation de la perte de puissance en cogénération depuis 2013 : 2500 MW

Ainsi, la disparition délibérément programmée, ces 10 dernières années, de nos capacités de production thermique s’éleve-t-elle à : 10123 + 1800 + 2500 – 1893, soit 12530MW

En 2013, la puissance totale installée et mobilisable en France était de l’ordre de 100 000 MW.

Elle n’est plus que de 87 000 MW… pour autant que tous les moyens soient disponibles et que le stock hydraulique soit suffisant à permettre de fournir 15 000 MW à la pointe.

Or, en tenant compte du fait que la puissance maximale transitable par les interconnexions est de 14 000 MW quand les pays voisins sont capables de les fournir, une réédition de la pointe appelée à 102 000 MW, en février 2012, provoquerait une catastrophe nationale aux conséquences incalculables dans l’actuel contexte de numérisation généralisée de l’économie 

Comment avons-nous pu en arriver là ? Comment avons-nous pu placer le producteur d’électricité naguère premier et moins cher exportateur de l’UE en situation de plus grande vulnérabilité, aux côtés de Malte et de l’Irlande, selon l’association des régulateurs de l’UE ? 

La question ne pouvant s’exprimer, comme ci-après, qu’en termes techniques pose inévitablement la question cruciale du conditionnement de la compétence et de la conscience professionnelle du gestionnaire de réseau à son niveau d’autonomie, sinon d’indépendance à la tutelle politique, voire à une doctrine partisane. Dans la mesure où la responsabilité statutaire de ce gestionnaire, primant de loin sur toutes les autres, est celle de dispatcher économique d’énergie, ces types d’inféodations n’auraient dû et ne devraient avoir qu’une prise insignifiante sur l’exercice d’une mission purement technique où la prospective, la prévision et l’anticipation sont des prescriptions cardinales.

Si c’était le cas, comment expliquer que la marge d’exploitation de notre système électrique couramment comprise entre 5 et 6 GW vers le milieu des années 2000 n’ait pas été conservée ? La marge d’exploitation étant la somme des puissances de la demi-bande du réglage secondaire fréquence-puissance et de la réserve dite tournante ou tertiaire. Comment expliquer également qu’une réserve contractuelle complémentaire ou d’ajustement de 1500 MW ne puisse plus être, comme à l’époque, exigible des producteurs en moins d’une demi-heure et une autre exceptionnelle, en cas de dégradation avancée du réseau ?

Au bout du compte, à qui incombait l’essentiel de la responsabilité consistant à faire en sorte que ces producteurs demeurent constamment présents dans le système, en capacités suffisantes non pas qualitatives mais quantitatives de production, la sécurité de l’approvisionnement énergétique étant une priorité absolue avec laquelle RTE ne saurait en aucun cas transiger ?

Hélas, fortement influencé par sa coreligionnaire de tutelle, François Brottes, incompétent notoire, a fait plus que transiger : inspiré par les élucubrations de Négawatt et de l’ADEME, il n’a tenu aucun compte des demandes répétées d’André-Claude Lacoste, dès 2012, puis de Pierre Franck Chevet et enfin de Doroszuk, tous Présidents de l’ASN, privant le pays de toute marge électroénergétique ses prochains hivers, malgré l’alerte lancée en 2014 par Dominique Maillard ancien Président de RTE ; une imprudence de laquelle l’Allemagne s’est toujours gardée.

Pour preuve des préoccupations prioritaires de François Brottes, on ne veux que ce surréaliste rapport « signal prix du CO2, analyse de son impact sur le système électrique européen » paru en mars 2016 - https://presse.ademe.fr/wp-content/uploads/2016/04/Signal-prix-du-CO2_finale_29-03-16.pdf
Imagine-t-on  la Direction des services de la navigation aérienne proposer à la DGAC, voire à son ministre de tutelle, l’instauration d’une taxe destinée à doper l’utilisation du carburant Éthanol par les avions ?! C’est pourtant ce que RTE n’hésite pas à faire pour la circulation des électrons dans ce surréaliste rapport, davantage préoccupé d’environnementalisme que d’équilibre et de sécurité du système électrique. Selon RTE et l'ADEME, peut-on y lire, un prix de 30 €/t de CO2 permettrait de diminuer d’environ 15 % les émissions du secteur électrique européen… De même que cette conclusion du chapitre 6 : « Un prix élevé du CO2 favoriserait à long terme le développement des énergies renouvelables, de la flexibilité et du stockage ».

Quand le préjudice public causé par un tel personnage et par sa ministre de tutelle atteint le niveau redouté ci-dessus par l’unanimité nationale, la fin du temps de l’impunité des prétendus serviteurs de l’État doit impérativement sonner. Après un hiver possiblement douloureux, il reviendra peut-être aux Français de trouver le moyen d’en donner le signal et, surtout, de fixer les modalités d’une sanction exemplaire. 

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