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Cap à l'Est : l'Allemagne est-elle en train de construire une nouvelle ostpolitik ?
©Reuters

Auf wiedersehen

Si l'Allemagne a beaucoup insisté pour que le Royaume-Uni ne quitte pas l'Union européenne, elle a quand même préparé sa sortie, semble-t-il, ne serait-ce qu'en rassemblant les pays membres de l'Est de l'Europe. Une stratégie qui ne devrait pas plaire à la France.

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat est professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire Jean Monnet ad personam.

Il est l'auteur de Histoire de l'Union européenne : Fondations, élargissements, avenir (Belin, 2009) et co-auteur du Dictionnaire historique de l'Europe unie (André Versaille, 2009).

 

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Atlantico : La semaine dernière, des représentants de la Pologne, de la Slovaquie, de la Slovénie, de la Bulgarie et de la Roumanie ont rencontré des membres du gouvernement d'Angela Merkel. Dans quelle mesure peut-on dire que l'Allemagne travaille à une orientalisation de l'Europe, en réaction à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ?

Gérard Bossuat : Que signifie "orientalisation" de l’Europe ? La question semble tenir pour possible que l’Allemagne mènerait une action diplomatique de grande ampleur en Europe orientale auprès de nouveaux adhérents à l’Union pour constituer une zone d’influence ou un hinterland à sa dévotion, économique au moins. L’action de l’Allemagne a pour but, plus simplement, de resserrer les liens avec des pays dont beaucoup sont eurosceptiques actuellement et qui pourraient être tentés d’imiter le Brexit, et de délivrer un message clair : Ursula von der Leyen, ministre de la Défense, a rappelé que celui qui veut profiter d’une union politique et d’un marché de 500 millions de consommateurs doit en payer le prix en parts de souveraineté apportées à la communauté. La présence allemande en Europe orientale, outre le fait qu’elle est liée à des situations historiques ou géographiques et à des héritages culturels bien connus, est une garantie pour l’Europe des 27 de poursuivre son chemin en dépit de la sortie de l’Union de la Grande-Bretagne. Une question se pose : sera-ce suffisant pour convaincre des gouvernements eurosceptiques de contribuer à l’approfondissement de l’Union ? La différence de puissance entre l’Allemagne et ses voisins est telle qu’une sortie de l’Union de la Pologne, de la Hongrie, de la Slovaquie, etc., nuirait plus aux "fugueurs" qu’à l’Allemagne, qui bénéficie encore d’une aide structurelle importante de l’UE. En très grande difficulté, la Grèce, malgré ce qu’elle a dû accepter de Bruxelles (Commission et Conseil des ministres) pour obtenir des prêts, s’est accrochée à l’euro et à l’Europe.

Pourquoi l'Allemagne ne se tourne-t-elle pas plutôt vers la France, en vue d'une relance européenne orchestrée par nos deux pays ? A un an de l'élection présidentielle française, l'Allemagne considère-t-elle que cette option serait trop hasardeuse ?

On tient pour acquis une fois pour toutes que des initiatives franco-allemandes peuvent relancer l’unité, à savoir répondre aux attentes des populations européennes en termes de sécurité, de lutte contre le terrorisme, de création d’emplois, de formation des jeunes, de grands travaux, de conversion industrielle. La liste n’est pas limitative. Depuis François Mitterrand et Helmut Kohl qui ont lancé le marché unique, la monnaie unique, qui ont élargi l’Union en y faisant adhérer les pays d’Europe orientale et centrale, qui, avec Delors, ont résolu la crise avec Margaret Thatcher, qui ont, après des hésitations il est vrai, fait confiance aux Russes, rien de sérieux n’a réussi puisque le traité sur un projet de constitution européenne a échoué en 2005, remplacé par le traité simplifié de Lisbonne qui régit le fonctionnement de l’Union (1er décembre 2009).

On chercherait en vain trace d’une initiative nouvelle susceptible de relancer l’unité, ce qui signifie être capable de résoudre les graves problèmes des sociétés européennes. En résumé, assurer la sécurité économique et sociale des travailleurs, empêcher les conflits régionaux de dégénérer et limiter le nombre de personnes déplacées, inventer un nouveau rapport à l’environnement, développer la conscience d’une appartenance des peuples européens à des valeurs européennes tout autant qu’universelles parfois (droits humains par exemple). Historiquement et symboliquement, l’entente franco-allemande - on parlait aussi du couple franco-allemand - a joué un rôle de premier plan pour donner un sens à l’unité : éviter les conflits, la guerre, les résoudre pacifiquement. De ce point de vue, ce fut un succès. Or, le couple franco-allemand ne s’est guère exprimé en tant que tel ; chaque pays défend ses intérêts et ne peut plus formuler l’intérêt général européen correspondant au ressenti des populations. L’action franco-allemande devrait être refondée en privilégiant l’intérêt général européen et en créant des institutions communes dirigeant, avec les Etats, des secteurs riches d’avenir pour l’Union européenne. Le Brexit favorisera-t-il cette expression de l’intérêt général européen par les Français et les Allemands ? François Hollande et Angela Merkel sont au cœur de la réponse à donner au Brexit. Les semaines à venir diront s’ils ont su y répondre.

La question de l'équilibre continental, qui semble préoccuper tout particulièrement les Allemands, ne risque-t-elle pas de fractionner une Union Européenne déjà meurtrie par la sortie des Britanniques ?

Il y a en effet un risque de voir certains pays de l’Union travailler sur des bases nationalistes étroites. L’équilibre continental est fait du respect des minorités, du respect des frontières héritées de la Seconde Guerre Mondiale et de la Guerre froide, du développement économique et social fondé sur des compromis au sein de l’Union mais en allant vers un mieux-être général, du "culte" des droits de l’homme parce qu’ils protègent les individus et sauvegardent les libertés personnelles. L’équilibre continental par l’Union ne peut pas s’établir sur les querelles anciennes des nations ou les aspirations  d’un autre siècle ; même s’il faut en tenir compte parce que les images du passé imprègnent encore l’esprit des populations. La sécurité militaire de l’Union est actuellement assurée par l’OTAN, dont la Grande-Bretagne est un membre très actif. La crainte que suscite toujours la Russie auprès de certains pays d’Europe centrale et orientale peut conduire à un renforcement des liens avec les Etats-Unis, ce qui ne peut que nuire à l’élaboration d’un projet européen de défense commune ou de positions diplomatiques communes dans les organisations internationales.

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