Campagne électorale de Reconquête : l’union des droites lors de la présidentielle n’était-elle qu’un fantasme d’éditorialistes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Zemmour, Marion Maréchal, Guillaume Peltier, Sarah Knafo, Philippe de Villiers lors d'un meeting d'Eric Zemmour durant la campagne présidentielle.
Eric Zemmour, Marion Maréchal, Guillaume Peltier, Sarah Knafo, Philippe de Villiers lors d'un meeting d'Eric Zemmour durant la campagne présidentielle.
©CLEMENT MAHOUDEAU / AFP

Bonnes feuilles

C’est la question que se pose Marylou Magal dans son livre "La Bérézina Eric Zemmour Autopsie d'une déroute électorale" publié aux éditions du Rocher. Extrait 1/2.

Marylou Magal

Marylou Magal

Journaliste politique au Figaro après avoir suivi les élections présidentielle et législatives pour L'Express, Marylou Magal traite en particulier de l'extrême droite et de la droite « hors les murs ». Elle a publié « La BéréZina Eric Zemmour : autopsie d'une déroute électorale » aux éditions du Rocher.

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Printemps 2021. La présidentielle est dans un an, et le tout-Paris bruisse de murmures. À droite, les stratèges s’activent. Les partisans de l’union, particulièrement. Retranchée dans l’appartement de Guillaume Peltier, une petite équipe se retrouve en secret. Autour de la table: les époux Ménard, le député LR du Loir-et-Cher, Sarah Knafo et Éric Zemmour. « À l’époque, on évoquait la nécessité de tisser des liens entre les droites, se remémore le maire de Béziers. On voulait tenter de mettre en avant ce qu’on avait en commun, c’était un vrai projet. » Éric Zemmour le sent. Cette fois, peut-être, il a une chance. Philippe de Villiers et Patrick Buisson avant lui ont échoué à offrir une maison commune à ces électeurs orphelins et une porte de sortie aux conservateurs, libéraux, et identitaires. Lui espère, plus que tout, abattre les frontières entre la droite libérale et la droite nationale. Dans les faits, cela revient à ressusciter le RPR pour réconcilier la bourgeoisie patriote avec les classes populaires. « Cette alliance, finalement, c’est la déclinaison sociologique de l’union des droites en tant que théorie politique, analyse le politologue Jérôme Fourquet. Lorsqu’il se lance, Éric Zemmour ambitionne de parler à des catégories aisées, retraitées, plutôt acquises à la droite classique, ainsi qu’à des classes moyennes et populaires, plutôt acquises au Rassemblement national. »

Essayiste, déjà, il se plaisait à le répéter. Désormais politique, le candidat identitaire revendique, dans son sillage, un avenir uni pour son camp, et ne cesse de théoriser son concept qui se résume en une phrase: rassembler les droites pour mieux sauver la France. « Je veux montrer qu’il y a un horizon, répète-t-il aux journalistes. Les systèmes partisans sont dans une impasse, nous sommes donc coincés entre le RN et LR, ce qui nous empêche de défendre une certaine idée de la France. L’impasse politique a des conséquences métaphysiques. Il faut agir en deux temps. On se rassemble pour sauver la France, et le moyen c’est une recomposition du paysage politique. De 1958 à 1970, les gaullistes gagnaient car ils avaient face à eux deux gauches irréconciliables. Mitterrand a renversé cette tendance. Je suis le Mitterrand de la droite. Je veux rassembler les droites pour casser cette malédiction. »

Et comme, en politique, il n’est de vision qui ne s’incarne, Éric Zemmour offre à ses soutiens le tableau de cette union. À Cannes, le 22 janvier 2022, devant plus de quatre mille militants chauffés à blanc, se succèdent à la tribune Laurence Trochu (figure du Mouvement conservateur et de La Manif pour tous), Guillaume Peltier, Jérôme Rivière, Phillippe de Villiers et Gilbert Collard. Façon de porter un coup fatal au mur qui se dressait entre Les Républicains et le Rassemblement national. Le thème du meeting est clair: l’union des droites. La salle est comble, galvanisée. Les orateurs en appellent aux électeurs des deux partis, ciblant la réserve de voix visée par la zemmourie pour remonter dans les sondages. On emploie les grands moyens de communication, dans les discours et sur les réseaux sociaux. Entre les lignes: « Voici pour vous, électeurs orphelins, l’avenir de la droite unie qui saura ouvrir une nouvelle voie pour sauver la France. »

« 20h02. » La formule devient le nouveau mantra des partisans d’Éric Zemmour, employée à outrance pour décrire l’espoir d’une recomposition du camp national, post-second tour de l’élection présidentielle. Au-delà de la perspective de sa propre victoire, l’équipe du candidat entend le présenter comme le fossoyeur des vieux partis, faisant de ce postulat un argument de campagne. Au risque de restreindre la portée de leur discours. Côté Les Républicains, on en est certain: le concept reste une théorie politique, qui ne fait écho qu’auprès d’un public averti, et n’est en aucun cas un facteur décisionnel pour les électeurs. « Ils ne se rendent pas compte que l’union des droites ne parle qu’à un électorat surpolitisé: à Twitter et aux lecteurs de L’Incorrect, analyse un connaisseur des mécanismes électoraux. 90 % des électeurs n’en ont absolument rien à faire de cette théorie politique. Ils veulent qu’on leur parle d’eux, de la France, de leur quotidien. » En interne également, le concept ne fait pas l’unanimité. « Nos soutiens ne veulent pas qu’on leur parle de l’avenir de la droite, mais de l’avenir de la France », avance un ex-frontiste. « Droite, gauche, les électeurs s’en foutent, renchérit un soutien repenti. Tout ça est une erreur politique. J’en veux à Éric Zemmour de ne pas viser la victoire mais un vaporeux coup d’après dont le but ne serait que de tuer LR et le RN, je n’en vois pas l’intérêt. »

Des conseillers préviennent le polémiste: en misant sur l’union des droites il se cantonne à un électorat groupusculaire, et faire de ce concept un des piliers de sa communication risque de lui mettre à dos une partie de son potentiel électoral. D’autant que la thèse de l’explosion des partis est un pari risqué. « Éric Zemmour n’est pas une promesse d’avenir, mais une promesse de dynamite, ajoute un membre des Républicains. Or pour que le pari soit un succès, il faut une dynamique, mais si la dynamite est mouillée, ça peut s’effondrer très rapidement. » Comprendre: si le scrutin ne valide pas sa théorie, et n’acte pas la mort des anciens partis, c’est toute sa candidature qui s’en verra décrédibilisée. Car parmi toutes les théories politiques, celle de l’union des droites relève le plus de la chimère derrière laquelle beaucoup ont couru sans succès. Dans l’esprit des électeurs, le combat, certes romanesque, revêt des airs de quête perdue d’avance. À la fin de l’hiver, l’électorat potentiel d’Éric Zemmour est-il prêt à voter pour une perspective de recomposition politique à l’élection la plus importante, plutôt que pour un programme portant sur son quotidien ? La question divise jusque dans ses propres rangs. Les ténors LR, pour leur part, sont persuadés du contraire, et malgré le story-telling outrancier de Reconquête!, aucune figure de poids ne rejoint l’aventure, peu convaincus qu’ils sont par cette ligne stratégique. Alors, pour incarner le récit vendu par l’essayiste, ses équipes décident de jouer leur dernière carte, celle du fantasme de la droite. 

Marion Maréchal, le pouvoir illusoire de l’union des droites

Budapest, le 23 septembre 2021. Répondant à l’invitation du très conservateur Premier ministre hongrois Viktor Orban, Marion Maréchal intervient dans une conférence sur la démographie. Devant une assemblée nationaliste enthousiaste, elle prend la parole pour évoquer la famille comme « cellule de base de la société ». Et conclut: « Si la famille n’est pas défendue, il n’est pas impossible que la France devienne une république islamique. » Une petite musique qui résonne familièrement aux oreilles de ceux qui ont suivi, au cours de l’été, les dernières aventures d’Éric Zemmour et son alerte permanente sur le danger de « l’islamisation de la société ». Il est des duos politiques qui suscitent, plus que de raison, le fantasme des militants. Celui d’Éric Zemmour et Marion Maréchal en fait partie, et tout clin d’œil est sujet à interprétation. Figures de la droite radicale et identitaire française, ils cristallisent les attentes de ceux qui rêvent d’investir l’espace entre le Rassemblement national et Les Républicains. Alors, dès que les vélléités présidentielles du polémiste ont été révélées, les soutiens de Marion Maréchal ont levé l’oreille. Au mois d’août, Erik Tegner, poisson pilote de la campagne zemmouriste, se frottait les mains: « La question n’est pas de savoir si elle va jouer un rôle dans la candidature, mais quel rôle elle va jouer », assurait-il.

Depuis son retrait de la vie politique, en 2017, chaque mouvement d’orteil de l’ex-députée du Vaucluse est scruté par la classe politique et journalistique. Bénéficiant du fantasme de l’absente, elle devient la cible de toutes les théories. Marion Maréchal, appréciée par la droite radicale pour son conservatisme et sa propension libérale, pourrait être celle qui ferait bouger les lignes et arriverait à rompre la malédiction de l’isolement qui frappe les frontistes. La zemmourie l’a bien compris. Depuis des mois, les lieutenants d’Éric Zemmour jouent avec son image, distillant son nom par-ci, par-là, laissant sous-entendre la tenue de rencontres, de discussions. Elle-même ne s’en cache pas. « Sarah Knafo est une amie, assure-t-elle à Budapest. On se voit régulièrement, on parle, mais je ne suis pas impliquée structurellement dans cette campagne. » Pour l’instant.

Car l’étau se resserre. À l’hiver 2021, les plus proches de Marion Maréchal, ancrés dans la région lyonnaise, ont déjà tous rejoint la campagne du polémiste. Et ils sont nombreux à faire pression sur l’ancienne parlementaire pour qu’elle franchisse le cap. Plusieurs éléments la retiennent encore. D’abord, un conflit de loyauté: trancher entre la fidélité à sa famille, son ancien parti, et la fidélité à ses idées personnelles. Ajoutez à cela que ses relations avec Éric Zemmour ne sont pas des plus cordiales. « Il la méprise de manière absolue, et ne comprend pas l’aura dont elle bénéficie », assure alors un visiteur du soir. La perspective de travailler avec Sarah Knafo, également, inquiète l’exfrontiste, comme certains de ses amis. « Ce sont deux forts caractères, qui partagent les mêmes ambitions et le même espace: ça ne peut que mal se passer », soutient un ami. Mais les mois passent et la décision s’impose de plus en plus: Marion Maréchal, qui entend bien revenir sur le devant de la scène, ne peut laisser un autre préempter son espace politique, et prendre le risque de laisser passer le train en marche.

Le 6 mars 2022, elle sort du bois. Presque trop tard. L’extrême droite est un petit monde, et le ralliement avait été éventé, si bien que Marine Le Pen avait déjà préparé sa contre-attaque, coupant presque l’herbe sous le pied de son concurrent. Avant même que Marion Maréchal n’annonce sa décision, la candidate du Rassemblement national l’avait qualifiée de « bouée de sauvetage » d’Éric Zemmour. Au meeting de Toulon, le 6 mars, la surprise Marion Maréchal n’en est déjà plus une, et l’effet d’annonce fait « pshitt ». « Marine Le Pen est très forte, elle nous a coupé l’herbe sous le pied », reconnaît un membre des équipes, qui soutient à demi-mot que le ralliement de Marion Maréchal est presque démonétisé, tant il a tardé à venir. « Absolument pas, conteste un proche de cette dernière. Cela signifie qu’elle va exister politiquement, et ce sera à nos côtés. » Entre les lignes: Éric Zemmour aura ressuscité Marion Maréchal.

Pas rassurés pour autant, les zemmouristes vont jusqu’à commander un sondage interne sur la perception de cette alliance. « Pour beaucoup de nos soutiens, ce n’était pas acquis, cela va donc forcément avoir un impact électoral », assurent-ils. Dans les rangs de Reconquête!, on prête à Marion Maréchal le pouvoir de draguer une dernière parcelle des électeurs RN, attachés au nom de Le Pen, mais surtout une partie de la droite, chez qui l’ancienne parlementaire est populaire, veulent-ils croire, sondage à l’appui. À quelques semaines du premier tour, alors qu’Éric Zemmour décroche dans les sondages, elle doit être l’élément du rebond, celle qui va permettre de remonter la pente.

Mais plusieurs jours après l’annonce de son ralliement, les sondages ne redécollent pas. « L’effet Marion » ne prend pas. À droite, aucune figure n’est convaincue par cette alliance de la dernière heure, et les digues entre les deux formations restent debout, plus solides que jamais. Fin janvier, déjà, Marine Le Pen l’avait prédit: « Chez Zemmour, ils pensent qu’elle est le Graal, et en font l’élément qui boosterait leur campagne, déclarait-elle, en marge de ses vœux à la presse. Mais je pense qu’ils accordent à ce ralliement un pouvoir illusoire. » « Elle a vécu sur un mythe qu’elle a participé à construire depuis La Manif pour tous, mais en réalité, son poids politique est très surcoté », renchérissait Jordan Bardella. Et si Marion Maréchal représente « une marque » à elle seule, c’est bien au Rassemblement national et au nom des Le Pen qu’elle reste affiliée. Ce qui, pour une majeure partie de la droite, reste un obstacle de taille à toute perspective d’union. « Cette reconstruction de notre camp ne peut s’opérer que depuis la droite, analyse un député européen. Si l’initiative vient du RN ou de Zemmour, on se retrouve structurellement dans une situation où on est rendu inéligible par une présomption d’extrémisme ou d’incompétence. »

Extrait du livre de Marylou Magal, « La BéréZina Eric Zemmour Autopsie d'une déroute électorale », publié aux éditions du Rocher

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