Bidouillages
Cambriolages : les discrets arrangements statistiques du ministère de l’Intérieur pour « améliorer » la réalité
En deux temps, le ministère de l'Intérieur a produit, d'une part, des données réalistes puis a honteusement triché, d'autre part, lors de leur publication.
Xavier Raufer
Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date: La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers.
En deux temps, le ministère de l'Intérieur : a) produit des données réalistes ; puis b) triche honteusement lors de leur publication. Pourquoi ?
Réponse aisée : toute institution mentant massivement est confrontée au même (et délicat) problème : elle veut flouer les autres - mais ne peut se flouer elle-même, ce qui lui interdirait tout pilotage sérieux. L'URSS était jadis dans ce cas : alors, la "Soviétologie" consistait à dénicher les données vraies, enfouies sous les mensonges d'État. Inquiétant pour la France : les criminologues doivent désormais reprendre ces pratiques pour exhumer le réel criminel des mensonges du service statistique de l'Intérieur. Voyons comment.
• Le service statistique de l'Intérieur dit lui-même ceci des cambriolages : "Fiche #5.2 CAMBRIOLAGES - Cet indicateur additionne les faits enregistrés aux index 27 (Cambriolages de résidences principales) et 28 (résidences secondaires) de "L'État 4001" (Séries historiques suivies par le ministère de l'Intérieur) ... Cet indicateur [cambriolages de logements] totalise environ les deux-tiers des faits enregistrés aux différents index relatifs aux cambriolages"...
• Maintenant, lisons bien ce qui suit, qui révèle - dans son propre écrit - le mensonge :
"Outre les index 27 et 28 sur les cambriolages de logements, les autres index de l'État 4001 sont l'index 29 (cambriolages de locaux industriels, commerciaux ou financiers) et l'index 30 (cambriolages d'autres lieux). Les faits de cambriolages enregistrés selon les index 29 et 30, NON PRIS EN COMPTE DANS CE CHAPITRE (nous soulignons, mais sous quel prétexte et qui décide de les supprimer ???), représentent respectivement 58 000 faits constatés et 42 000 faits constatés en 2021 (15% et 10% sur un an...).
Et hop ! 100 000 cambriolages à la trappe... Mais ce n'est pas tout : voyons la suite.
• En dessous, la fiche présente le tableau "Ensemble des cambriolages et cambriolages de logement enregistrés, cumul annuel" (pour 2021). Avec comme source "SSMSI, bases des crimes et délits enregistrés par la police et la gendarmerie" : chiffres officiels, donc. Puis un autre tableau décompte les "Cambriolages de locaux industriels, commerciaux ou financiers, cumul annuel". Pas trace des "cambriolages d'autres lieux", évaporés.
• Et le "Chiffre noir" (cambriolages commis mais inconnus des autorités) ? La fiche en dit ceci "Le dépôt de plainte en commissariat ou brigade est une étape obligatoire pour obtenir l'indemnisation d'une assurance ; malgré cela, le dépôt de plainte est loin d'être systématique. En moyenne, sur 2017-2018 et 2020 (Hors-2019), 74% des ménages victimes d'un cambriolage et 44% des ménages victimes d'une tentative de cambriolage ont fait le déplacement en brigade de gendarmerie ou commissariat de police. Un peu plus de deux ménages victimes de cambriolage "abouti" (69%) et un ménage victime d'une tentative de cambriolage sur trois ont formellement déposé plainte".
Partant de ces données officielles, on retrouve aisément le nombre réel de cambriolages subis par les français. Donc, on expose la tricherie de l'Intérieur qui ne publie, à l'usage des médias et du public, que la seule statistique sur les cambriolages de LOGEMENTS, fraude que nul pays d'Europe ne commet - pas même l'Albanie ou la Moldavie. Détaillons :
- (Index 27 & 28 de l'État 4001) : cambriolages de logements et résidences secondaires en 2021 : 190 300, (a)
- (Index 29 de l'État 4001) : cambriolages de locaux industriels commerciaux et financiers en 2021 : 58 000, (b)
- (Index 30 de l'État 4001) : cambriolages d'autres lieux en 2021 : 42 000. (c)
Manque dans ce total les tentatives (index 29 et 30 de l'État 4001) ; enfin les "intrusions sans effraction" (cambriolages commis avec la porte ou une fenêtre, véranda, etc., ouverte).
Donc, au minimum : cambriolages commis en France ET connus des autorités en 2021 (a+b+c) = 290 300. (± 795 par JOUR). PLUS le chiffre noir des cambriolages (non-déclaration, etc.), estimé par les "enquêtes de victimation" à ± 40% du total connu : ± 116 000,
*** Cambriolages RÉELLEMENT subis par les Français en 2021 : ± 406 300 (± 1 114 par JOUR).
Que disent les médias de ces indéniables données, exposant un mensonge d'ampleur nord-coréenne ? Récemment, deux journalistes de grands quotidiens ont écrit à l'auteur pour qu'il réagisse aux récentes données sur les cambriolages de l'Intérieur. Une synthèse de ce qui précède leur fut envoyée, soulignant la difficulté de raisonner juste sur des figures fausses. Réaction des "journalistes" : silence de mort, fuite éperdue devant le réel criminel.
Fuite d'autant plus irresponsable que depuis 2020, des confinements et restrictions ; le travail à domicile ; plus des couvre-feux de l'éclairage urbain pour cause d'économie d'énergie, ont rendu le cambriolage des domiciles privés toujours plus difficiles - et ceux des boutiques, commerces, locaux professionnels divers, hangars agricoles, toujours plus aisés. Amusante coïncidence : ces derniers sont justement ceux que l'Intérieur proscrit de ses "statistiques".
• Vérifier les chiffres du ministère de l'intérieur sur les cambriolages révèle donc deux faits inquiétants pour l'information de l'opinion française : le ministère de l'Intérieur ment honteusement ; et nombre des "journalistes police-justice" sont en fait ses domestiques.
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