Cambriolages : les discrets arrangements statistiques du ministère de l’Intérieur pour « améliorer » la réalité<!-- --> | Atlantico.fr
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Vérifier les chiffres du ministère sur les cambriolages révèle deux faits in­quiétants pour l'information de l'opinion française : le ministère de l'Intérieur ment honteuse­ment ; et nombre des "journalistes police-justice" sont en fait ses domestiques.
Vérifier les chiffres du ministère sur les cambriolages révèle deux faits in­quiétants pour l'information de l'opinion française : le ministère de l'Intérieur ment honteuse­ment ; et nombre des "journalistes police-justice" sont en fait ses domestiques.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bidouillages

En deux temps, le ministère de l'Intérieur a produit, d'une part, des données réalistes puis a honteusement triché, d'autre part, lors de leur publication.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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En deux temps, le ministère de l'Intérieur : a) produit des données réalistes ; puis b) triche honteusement lors de leur publication. Pourquoi ?

Réponse aisée : toute institution mentant massivement est confrontée au même (et délicat) problème : elle veut flouer les autres - mais ne peut se flouer elle-même, ce qui lui interdirait tout pilotage sérieux. L'URSS était jadis dans ce cas : alors, la "Soviétologie" consis­tait à déni­cher les données vraies, enfouies sous les mensonges d'État. Inquiétant pour la France : les cri­minologues doivent désormais reprendre ces pratiques pour exhumer le réel criminel des mensonges du service statistique de l'Intérieur. Voyons comment.

• Le service statistique de l'Intérieur dit lui-même ceci des cambriolages : "Fiche #5.2 CAM­BRIO­LAGES - Cet indicateur additionne les faits enregistrés aux index 27 (Cambriolages de rési­dences principales) et 28 (résidences secondaires) de "L'État 4001" (Séries historiques suivies par le ministère de l'Intérieur) ... Cet indicateur [cambriolages de logements] to­talise environ les deux-tiers des faits enregistrés aux différents index relatifs aux cam­briolages"...

• Maintenant, lisons bien ce qui suit, qui révèle - dans son propre écrit - le mensonge :

"Outre les index 27 et 28 sur les cambriolages de logements, les autres in­dex de l'État 4001 sont l'index 29 (cambriolages de locaux industriels, commerciaux ou financiers) et l'index 30 (cambrio­lages d'autres lieux). Les faits de cambriolages enre­gistrés selon les index 29 et 30, NON PRIS EN COMPTE DANS CE CHAPITRE (nous soulignons, mais sous quel prétexte et qui dé­cide de les suppri­mer ???), représentent respectivement 58 000 faits constatés et 42 000 faits constatés en 2021 (15% et 10% sur un an...).

Et hop ! 100 000 cambriolages à la trappe... Mais ce n'est pas tout : voyons la suite.

• En dessous, la fiche présente le tableau "Ensemble des cambriolages et cambriolages de lo­ge­ment enregistrés, cumul annuel" (pour 2021). Avec comme source "SSMSI, bases des crimes et délits enregistrés par la police et la gen­darmerie" : chiffres officiels, donc. Puis un autre ta­bleau dé­compte les "Cambriolages de locaux industriels, commer­ciaux ou finan­ciers, cumul an­nuel". Pas trace des "cambriolages d'autres lieux", évaporés.

• Et le "Chiffre noir" (cambriolages commis mais inconnus des autorités) ? La fiche en dit ceci "Le dépôt de plainte en commissariat ou bri­gade est une étape obligatoire pour obte­nir l'indemnisation d'une assurance ; malgré cela, le dépôt de plainte est loin d'être systéma­tique. En moyenne, sur 2017-2018 et 2020 (Hors-2019), 74% des ménages victimes d'un cam­briolage et 44% des ménages victimes d'une tentative de cambriolage ont fait le déplacement en bri­gade de gendarmerie ou commissariat de police. Un peu plus de deux ménages vic­times de cambriolage "abouti" (69%) et un ménage victime d'une tentative de cambrio­lage sur trois ont formellement déposé plainte".

Partant de ces données officielles, on retrouve aisément le nombre réel de cam­briolages subis par les français. Donc, on expose la tricherie de l'Intérieur qui ne publie, à l'usage des médias et du public, que la seule statistique sur les cambriolages de LO­GEMENTS, fraude que nul pays d'Europe ne commet - pas même l'Albanie ou la Moldavie. Dé­taillons :

- (Index 27 & 28 de l'État 4001) : cambriolages de logements et résidences secon­daires en 2021 : 190 300, (a)

- (Index 29 de l'État 4001) : cambriolages de locaux industriels commerciaux et finan­ciers en 2021 : 58 000, (b)

- (Index 30 de l'État 4001) : cambriolages d'autres lieux en 2021 : 42 000. (c)

Manque dans ce total les tentatives (index 29 et 30 de l'État 4001) ; enfin les "intrusions sans effraction" (cambriolages commis avec la porte ou une fenêtre, véranda, etc., ouverte).

Donc, au minimum : cambriolages commis en France ET connus des autorités en 2021 (a+b+c) = 290 300. (± 795 par JOUR). PLUS le chiffre noir des cambriolages (non-déclaration, etc.), es­timé par les "enquêtes de victi­mation" à ± 40% du total connu : ± 116 000,

*** Cambriolages RÉELLEMENT subis par les Français en 2021 : ± 406 300 (± 1 114 par JOUR).

Que disent les médias de ces indéniables données, exposant un men­songe d'ampleur nord-co­réenne ? Récemment, deux journalistes de grands quotidiens ont écrit à l'auteur pour qu'il réagisse aux récentes données sur les cambrio­lages de l'Intérieur. Une synthèse de ce qui pré­cède leur fut envoyée, soulignant la diffi­culté de raisonner juste sur des figures fausses. Réac­tion des "journalistes" : silence de mort, fuite éperdue devant le réel criminel.

Fuite d'autant plus irresponsable que depuis 2020, des confinements et restrictions ; le travail à domicile ; plus des couvre-feux de l'éclairage urbain pour cause d'économie d'énergie, ont rendu le cambriolage des domiciles privés toujours plus difficiles - et ceux des boutiques, com­merces, locaux professionnels divers, hangars agricoles, toujours plus aisés. Amusante coïnci­dence : ces derniers sont justement ceux que l'Intérieur proscrit de ses "statistiques".

• Vérifier les chiffres du ministère de l'intérieur sur les cambriolages révèle donc deux faits in­quiétants pour l'information de l'opinion française : le ministère de l'Intérieur ment honteuse­ment ; et nombre des "journalistes police-justice" sont en fait ses domestiques.

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