Camaïeu, San Marina et cie : derrière les liquidations et redressements judiciaires en cascade de chaînes moyen de gamme, le grand déclassement européen ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des personnes passent devant un magasin de prêt-à-porter féminin de l'enseigne Camaïeu, dans un centre commercial de Rennes.
Des personnes passent devant un magasin de prêt-à-porter féminin de l'enseigne Camaïeu, dans un centre commercial de Rennes.
©AFP / Damien MEYER

Conjoncture économique

Après Camaïeu et Go Sport, la FIB, la principale société de l’homme d’affaires Michel Ohayon, a été placée en redressement judiciaire.

Philippe Moati

Philippe Moati

Philippe Moati est économiste, professeur à l'Université Paris 7 et cofondateur de l'Observatoire Société et Consommation (ObSoCo), une société d'études et de conseil en stratégie.

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Atlantico : La FIB, principale société de l’homme d’affaires Michel Ohayon, est placée en redressement judiciaire, après Go Sport et Camaïeu. Comment expliquer ces chutes en cascade ?

Philippe Moati : Cela illustre les transformations du commerce et de la consommation. Avec ici un secteur d’autant plus vulnérable aux mutations que la demande y est saturée. Le besoin de se couvrir et de se protéger est satisfait depuis bien longtemps. On ne s’habille évidemment pas que pour ça, c’est aussi un élément d’appartenance, etc. ce qui nous pousse à l’achat mais cela touche à ses limites. La profession a essayé de lutter contre cet épuisement par différentes méthodes, à commencer par l’accélération de la rotation des collections, la fast fashion, ou la surenchère promotionnelle. Plus de la moitié du chiffre d’affaires est faite à prix barrés. En conséquence le budget des ménages a évolué, les besoins étant couverts la part du revenu consacré à ces derniers régresse pour se réorienter.  A cela s’ajoute le développement du e-commerce, qui a pris des parts de marché (20%). Les professionnels de l’habillement ont sous-estimé la menace. Ils ont aussi sous-estimé le marché de la seconde main, avec les friperies et surtout Vinted. Toutes ces tendances plus les chocs conjoncturels : les gilets jaunes, le confinement, etc.

Est-ce qu’on est en train d’observer une polarisation vers le haut de gamme et le bas de gamme ? L’attrait pour le moyen de gamme est-il en train de disparaître ?

C’est effectivement une tendance que l’on observe. Cela est en partie mu par des tendances sociétales. Les classes moyennes, notamment inférieures, sont tirées vers le bas, elles sont prises dans le goulot du sablier. Et au-delà de ça, il y a le problème du positionnement stratégique des enseignes. Le commerce en général, pas seulement la grande distribution, était dans une logique de consommation de masse ciblant le consommateur moyen : la fameuse ménagère de moins de 50 ans. Cette logique s’est progressivement déphasée par rapport à une société qui se fragmentait. C’est ce qui a entraîné la crise de l’hypermarché. Beaucoup d'enseignes qui se sont effondrées n’ont pas vu ce tournant et continuent de parler à tout le monde alors que d’autres enseignes dans le haut de gamme et dans le moyen de gamme ont su faire des choix beaucoup plus francs et manifestes avec une grande compétitivité. C’est le cas de Primark, H&M, etc. pour le bas de gamme. Le haut de gamme a fait des choix de ciblage efficaces, comme The Kooples. Si vous êtes hors de la cible cela vous indiffère mais si vous êtes dedans, cela marche puissamment.

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Mais au fait, quand leur pouvoir d’achat augmente, à quoi les Français le consacrent-ils ?

La part du pouvoir d’achat contraint (logement, nourriture, habitation) a-t-elle pris trop de place pour permettre à cette industrie de moyenne gamme de survivre ?

Oui, face aux pertes de pouvoir d’achat, les ménages vont faire des efforts sur leurs dépenses compressibles. Et l’habillement est parfait pour cela. Il a été sacrifié allègrement, comme on le voit dans les enquêtes d’opinions. Le logement, le transport, il est impossible de s’en passer. Les éléments du budget sur lesquels il est possible de faire des arbitrages en totale liberté ne sont pas si nombreux que ça, et plus vous êtes pauvres, plus leur champ est restreint : loisirs, sorties et habillement.

Assistons-nous aux conséquences de la conjoncture et de l’appauvrissement relatif des citoyens européens ? 

Pas vraiment, parce que le pouvoir d’achat, si l’on en croit les chiffres provisoires, n'aurait baissé que de 0.9 en 2022. Même si cela cache de grande disparité et que le ressenti est bien plus fort que cela et que les comportements sont plus dictés par le ressenti que par la réalité du phénomène. Donc le contexte est un facteur aggravant qui pousse à faire de l’habillement une dépense arbitrable. Et sur 30 ans, le pouvoir d’achat a plutôt largement augmenté. Nous consommons simplement différemment, nous avons des nouveaux postes de dépense et nous faisons des arbitrages.

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