C’est pas juste ? Ce que les élèves de maternelle comprennent des punitions<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Il est important que l'enfant comprenne bien sa punition.
Il est important que l'enfant comprenne bien sa punition.
©Reuters

Au coin !

Une étude publiée dans la revue Current Biology s'est récemment penchée sur l'émergence du sens de la justice chez les enfants de 3 ans. D'où l'intérêt de bien savoir punir... Même si parents et éducateurs n'ont pas toujours les moyens de le faire dans la société actuelle.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

Voir la bio »

Pourquoi faudrait-il déjà punir des enfants en maternelle ? Ils sont encore petits ! Justement, c'est à cet âge que se prennent les plis comportementaux les plus solides et c'est aussi à cet âge que s'acquièrent les modalités de communication et de comportement en société. Avec elles, l'enfant pourra aller sans crainte au devant de ses camarades et des adultes, sachant quel langage et quelles convenances il devra utiliser en fonction de ses interlocuteurs. Faute de quoi, sa relation aux autres risque d'être entachée de maladresses, de violence, ou alors l'enfant développera une inaptitude à la communication. Et suivant, avant trois ans, l'âge de la rentrée en maternelle, comment l'enfant aura été sollicité, éduqué, les différences entre les enfants d'une même classe de petite section sont déjà très importantes : en termes de comportement, de communication, de langage, mais également de culture générale et d'habileté motrice. Suivant que cet enfant aura suivi des adultes à la découverte du monde, ou qu'il sera resté devant une télévision ou sur des genoux, avec bien sûr, toutes les formes possible intermédiaires.

Pour beaucoup, la rentrée en maternelle est un changement de monde et souvent maintenant, de culture, avec une exigence d'adaptation parfois colossale, du point de vue du petit. Il passe de la maison où il est le plus souvent seul en tant que petit, où il a un adulte ou plusieurs à sa disposition, où ses demandes sont souvent satisfaites sans délai. Régulièrement aussi et à divers degré, il n'a guère rencontré la frustration, ni même la contrariété. Ou il ne les a rencontré que trop…

Pour toutes ces raisons, l'entrée dans un monde d'exigences n'est pas facile, à plusieurs, entre vingt et trente enfants pas classe, avec des adultes, qui sont présents et à l'écoute certes, mais pas à disposition et surtout des adultes qui donnent des ordres. Ils imposent le temps et l'action là où le petit faisait souvent, à divers degrés, ce qu'il voulait, quand il le voulait, au prétexte que justement il était petit. Cela va sonner pour l'enfant, comme un véritable changement de contexte. Il ne va plus pouvoir jouer, quand il veut, comme il veut et d'autres sont susceptibles de vouloir le même jouet que lui. L'adulte présent ne sera plus disponible sans délai pour répondre à ses demandes et il faudra effectuer, déjà, des travaux sur commande et d'après consigne plus ou moins collective. Pour toutes ces raisons, l'enfant va avoir divers types de réactions à cette première socialisation, même s'il est allé à la crèche, un lieu déjà socialisant.

Alors certains vont entamer le bras de fer avec l'école, avec les adultes qui sont là, d'autant plus fort que sur leur lieu de vie privé, ils sortent vainqueurs, parce que l'adulte le veut bien, ou le tolère, de la confrontation avec le parent. Il va falloir punir, faire comprendre que l'imposition à l'école, des volontés personnelles de l'enfant n'est pas possible, parce que plus tard dans la société civile, l'imposition de sa volonté personnelle n'et pas non plus possible et que cela s'apprend très tôt.

Les maîtresses ne punissent pas, en général, à tort et à travers et la punition n'est pas un système d'enseignement. Elles disposent, ce sont majoritairement des femmes, enseignantes et agents spécialisés des écoles maternelles, de moyens préalables, comme la ritualisation, cet aspect répétitif de l'emploi du temps des petits qui va consister à introduire la discipline par le cadre des activités et le cadre horaire. Puis l'enseignante théâtralise, dans sa conduite de classe, avec les intonnations de la voix, les "gros yeux", la gestuelle. On peut déplorer hélas, que dans le cadre de la compréhension de la vie en société collective, cette approche du cadre sociétal se fasse sans hommes, ou presque, ce qui représente quasiment une "carence" de la part de l'institution. Mais cela ne se décrète pas.

Mais quelques élèves par classe, ne vont pas entendre de cette oreille, l'obligation qui leur est faite de se conformer à un emploi du temps et une discipline de classe. La punition consiste alors souvent en un isolement ou une privation, de tel jouet ou de telle activité. Le coin, la "chaise à grandir" sont des moyens de faire réfléchir l'enfant à son acte malvenu, encore faut il qu'on lui dise lequel, ce sur quoi il doit justement réfléchir. Ne pas isoler donc, sans la solide explication qui va avec. De même, l'enfant n'a pas, du temps, la même perception que l'adulte et ne peut s'accomoder d'une mise au coin sans cadre horaire et sans la représentation qu'il peut avoir de la sanction. Il est bon dans une classe, qu'il y ait une pendule à aiguilles et on indique à l'enfant son temps de punition "jusqu'à ce que la grande aiguille soit sur le 6", ce qui lui donne à la fois le cadre et une représentation de fin. Deux à trois minutes en petite section, cinq à dix minutes en grande section. Pareil pour la privation de jouet : "Tu es privé de vélo, pour cette récréation" et pas "toute la semaine", ce que l'enfant ne perçoit pas, ne peut pas se représenter. Ces paramètres sont également valables pour la maison.

Mais cette discipline n'est rien, ou peu efficace, si elle n'entre pas en cohérence avec celle du milieu familial, si les parents dénigrent la discipline de l'école, si ce qui ne se fait pas à l'école, se fait à la maison. Dans de nombreuses classes, on a le rituel des "points rouges", des marques de l'indiscipline sensées introduire la relation parents/enseignants, faite pour que parents et enseignants se retrouvent sur la même longueur d'onde, devant l'enfant, pour lui signifier que ce point rouge, on n'en veut plus et que le comportement doit s'améliorer. Initiative qui tombe à plat évidemment, si le parent, sur les dires de l'enfant, vient contester le point rouge auprès de la maîtresse en présence de l'enfant.

Et puis dès la maternelle il y parfois des attitudes difficiles, morsures, coups, mains levées sur les adultes, passages de nerfs sur la matériel… alors on peut toujours, au pire, tenir fermement un bras levé sur un camarade, contenir physiquement un enfant ingérable, mais en fait l'école a des moyens assez limités. Dans les cas les plus difficiles, isoler même pour une courte durée ne marche pas, l'enfant se sauve, a aussi conscience, même petit, des moyens très limités de l'école en matière de coercition. Entrent en jeu, alors, les personnels spécialisés, les structures spécialisées, pour des prises en charge particulières d'enfants particuliers, en difficulté sociale ou psychique.

En vérité, ces questions de "punitions" à l'école maternelle sont assez difficiles pour les enseignantes mais la réalité de vingt-cinq petits de trois ou quatre ans en 2015 est également loin d'être facile et il faut toujours avoir en ligne de mire la société à laquelle nous confions ces petits devenus grands. Ses règles sont pour la plupart intangibles et non-négociables et l'acception de ces paramètres là se fait au plus jeune âge, ou ne se fait pas, ou difficilement, sur le tard. Comme le répétait le premier psychologue avec qui j'ai travaillé : "Il n'y a pas, pour le petit humain dans nos sociétés, d'autre voie que l'acceptation d'une certaine dose de frustration".

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !