"C’est dur d’être élu par des cons" : quand la dénonciation obsessionnelle de l’islamophobie cache surtout un incroyable mépris pour le peuple en général et les musulmans en particulier<!-- --> | Atlantico.fr
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A gauche, la une de Charlie Hebdo en 2006. A droite, François Hollande.
A gauche, la une de Charlie Hebdo en 2006. A droite, François Hollande.
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Mépris institutionnalisé

"C'est dur d'être aimé par des cons", titrait Charlie Hebdo en 2006. Au vu de ses dernières déclarations sur sa crainte de voir monter l'islamophobie en France, il n'est pas exclu que François Hollande pense la même chose de ses électeurs.

Brendan O'Neill

Brendan O'Neill est rédacteur en chef du magazine Spiked, et chroniqueur pour Big Issue et The Australian.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Lors de son discours à l'Institut du monde arabe, François Hollande a déclaré que les musulmans étaient les premières victimes du "fanatisme, du fondamentalisme et de l'intolérance", et qu'il fallait "refuser les amalgames". Pendant la semaine qui a suivi l'attentat contre Charlie Hebdo, 21 agressions relatives à l'événement ont été recensées, dont certaines n'étaient même pas dirigées contre des musulmans, comme par exemple ce lycéen agressé pour avoir défendu le journal. Comment expliquer cette obsession dans la dénonciation de l’islamophobie ?

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Brendan O'Neill : Cette peur de l'islamophobie est motivée par deux choses. Premièrement, les élites dirigeantes sont devenues étrangères à la vie quotidienne des citoyens. Elles pensent que ces derniers sont naturellement racistes, et faciles à manipuler en tant que foule. Et le spectre de l'islamophobie est le moyen le moins dangereux pour exprimer leur mépris envers ces gens. Il n'est plus acceptable de dire que "le peuple est stupide et versatile", en revanche il est autorisé de dire que "nos concitoyens ne comprennent pas les cultures étrangères, par conséquent nous nous devons de les rééduquer et les surveiller." La peur de l'islamophobie est un moyen politiquement correct pour les élites de signifier leur mépris envers les masses.

Deuxièmement, le qualificatif "islamophobe" est devenu un moyen bien pratique de couper court à tout débat. Il ne condamne pas seulement la violence, il sert à disqualifier certaines manières de penser. Quiconque critique la Charia ou certaines croyances propres à l'islam se retrouve estampillé "islamophobe". C'est ainsi que la critique de l'islam en vient à être considérée comme une pathologie, une maladie, que dis-je, une phobie ! C'est d'autant plus stupide que cela contribue ironiquement à renforcer les antagonismes avec l'islam. Les récentes manifestations contre l'islamisation de la société occidentale résultent de notre incapacité à organiser un débat libre et ouvert sur ce que sont nos valeurs : cela conduit au contraire les gens à descendre dans la rue et exprimer leur inquiétude à l'égard de valeurs qui ne leur plaisent pas.

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Dans quelle mesure cette obsession de l'islamophobie et de ses conséquences traduit-elle un manque de confiance de la part du politique dans la capacité des Français à apprécier avec recul et discernement la réalité ?

Guylain Chevrier : La France est un pays gouverné au nom de la raison, et cette menace a été exorcisée parce que les Français sont d’abord un peuple qui partage une culture de la raison avec sa conscience collective. Nous sommes habitués à vivre ensemble en nous mélangeant, à nous voir comme des égaux en droit avant de nous voir différents, ce qui fait ce fameux vivre-ensemble français presque unique. Pardonnez-moi pour ce côté patriotique, mais c’est aussi cela que les Français ont ressentis dans ce moment de concorde de dimanche dernier. Donc, le piège de la haine de l’autre par amalgame est déjoué d’emblée par la nature de nos rapports sociaux adossée à la République égalitaire, de notre habitude d’un vivre ensemble qui en découle, alors que nous n’avons jamais connu de séparation, de divisions communautaires dans notre pays. Aussi, les sentiments des Français pourraient changer face à une volonté de plus en plus affirmée d’enfermement d’une partie des musulmans, qui se manifeste déjà à travers l’extension du port du voile ou de revendications communautaires à caractère religieux signifiant un refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, de vouloir se faire un espace de droits particuliers détaché du droit des autres et du peuple.

Les actes antimusulmans sont relativement peu nombreux au regard de la gravité de ce qui vient de se produire, sous la revendication affichée par les terroristes d’agir au nom de l’islam, même s’il y en a toujours trop et qu’aucun ne saurait être excusé. L’immense majorité des Français ne fait pas ici d’amalgame. Y compris, malgré les incidents qui se sont multipliés lors de la minute de silence au lendemain de l’attaque meurtrière de Charlie Hebdo, dans les établissements scolaires.

Il est vrai qu’en nombre, dans le monde, ce sont les musulmans eux-mêmes qui sont les premières victimes du terrorisme, ce qui ne doit en rien nous détourner des questions qui doivent être posées pour en comprendre le pourquoi et comment cette religion en l’état fabrique la plupart des conflits armés dans le monde. Les fanatiques islamistes sont trop nombreux pour que cela ne soit qu’une coïncidence, qu’une forme de folie prétextant de l’islam pour se justifier.

Brendan O'Neill : Après chaque attaque terroriste, c'est la même chose, on nous dit qu'une vague de violence va s'abattre sur les musulmans. Ce qui n'arrive jamais.

Au Royaume-Uni, après l'attentat du 7 juillet 2005, le nombre de crimes aggravés par des motivations religieuses contre des musulmans a même chuté. Sur la période 2005-2006, 18 poursuites ont été menées pour ce motif-là, contre 23 l'année précédente.

Bien souvent, lorsque les militants ou les politiques parlent d'une "hausse massive" d''islamophobie, ils ne se basent pas sur des crimes enregistrés mais sur des incidents bien moins graves. L'année dernière, les journaux ont indiqué qu'il s'était produit un véritable "déferlement d'attaques contre des musulmans". Mais si on regarde de plus près l'étude à l'origine de tout ce bruit, on constate que sur les 734 "incidents à caractère islamophobe" recensés entre mai 2013 et février 2014, une large majorité de 599 s'étaient produits sur Twitter ou Facebook. Pour l'essentiel, les 253 incidents étaient de l'ordre de l'agression verbale dans la rue. Désagréables, certes, mais en rien comparable à une "violente vague de haine".

Aux Etats-Unis, c'est pareil. Un pic d'actes islamophobes a effectivement suivi les attentats du 11 septembre 2001, mais les musulmans qui vivent aux Etats-Unis n'ont de manière générale pas à craindre pour leur sécurité. Les gens qui s'inquiètent bruyamment de l'islamophobie mettent souvent dans le même sac les manifestations de haine violentes et les mobilisations d'ordre politique. Pour eux c'est une forme de violence que de manifester contre l'instauration de la Charia, ou de faire campagne sur le thème de l'interdiction de la burqa. Il est tout de même incroyable de faire de ces prises de position morales des actes violents, et de les considérer comme "islamophobes". Cette confusion n'a pas d'autre but que de faire grimper dans les statistiques les actes dits "islamophobes".

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Selon un sondage Ifop pour Atlantico réalisé après les attentats (du 9 au 12 janvier), le sentiment des Français à l'égard des musulmans s'est sensiblement amélioré comparativement à 2012, à rebours de la crainte de la gauche, passant de 43% qui jugent que leur présence est une menace, à 40%. Pourquoi la gauche nourrit-elle ce fantasme qui la conduit à vouloir absolument protéger la communauté musulmane ?

Lire à ce sujet : 66% des Français considèrent que les musulmans vivent paisiblement en France et que seuls des islamistes radicaux représentent une menace

Guylain Chevrier : On rappelle effectivement régulièrement que l’indice de tolérance des Français au regard de l’immigration reste très élevé, alors que nous traversons pourtant une crise économique, sociale et morale de grande ampleur et qui perdure, sans que l’on ait des manifestations significative contre un quelconque bouc-émissaire. Ainsi, cette façon de prendre les choses, c’est l’arbre qui cache la forêt ! S’il y a des actes antimusulmans qui justifient de prendre des mesures, pour autant, cette surenchère va avec une culture de l’excuse que reprend à son compte une large partie de la gauche dans un esprit de gestion des communautés qui pose problème à notre République, car particulièrement étranger à ses institutions. On cherche par une certaine complaisance à préserver la chèvre et le chou, selon un faux équilibre qui évite de poser les questions qui fâchent. Le Président de la république parle d'actes islamophobes, alors que l’on tente à travers ce terme une confusion entre xénophobie et critique de l’islam, et ainsi, à ce qu'on assimile la critique de cette religion à un délit. Confusion qui n’a pas été pour rien dans la tragédie sans nom qu’a connu Charlie Hebdo.

Contradictoirement, cette situation a créé à cet endroit l’opportunité d’une clarification. Au lieu d’en faire le choix, on cherche des biais et on entretient les malentendus et on risque d’aiguiser ainsi des tensions identitaires qui commencent à travailler notre société. Une récente étude de l’institut Sociovision soulignait un mouvement contradictoire qui la touche, avec 76% des Français non-musulmans qui voudraient y voir prévaloir la neutralité en matière de religion, alors que 52% des musulmans considèrent comme normal de suivre d’abord les règles de sa religion avant celles de la société. Des questions qu’il faut oser aujourd’hui poser à nos concitoyens musulmans sur la façon dont ils entendent faire société avec tous ou pas.

On est en droit de s’interroger de savoir la part qu’il y a dans cette gestion des choses, d’arrières pensées électorales, alors que selon une étude du Cevipof réalisée auprès de 9000 personnes après le second tour de la présidentielle, "93% des Français de religion musulmane ont voté François Hollande". Un capital à gérer en quelque sorte, en reflet de la décision de la ministre de l’Education nationale, Mme Najat Vallaud-Belkacem, d’autoriser les mères voilées à encadrer les sorties scolaires de primaire, bafouant le principe de laïcité qui s’applique à l’école, dont la mission pourtant s’exerce à l’intérieur des murs de celle-ci ou à l’extérieur, pendant le temps scolaire.

Sans nier les discriminations et le racisme dont les musulmans peuvent faire l'objet dans la société française, l'attitude de la gauche à leur égard ne trahit-elle pas une forte tendance à les considérer comme des "mineurs" qui n'auraient par la main sur leur destin ?

Guylain Chevrier : Dans cette façon même de traiter les musulmans comme une communauté, on met au second plan leur citoyenneté. Ces concitoyens qui sont de différentes origines et dont beaucoup sont Français avant même d’être musulmans, sont poussés ainsi à s’identifier d’abord à une religion du pays d’où ils viennent, en sens inverse de l’intégration. La création du Conseil Français du Culte Musulman contenait déjà en elle-même cette façon de les considérer, comme s’il fallait mettre en place des institutions spécifiques pour les représenter à la façon d’un tuteur. Il y a une condescendance dans cette façon de les traiter d’abord par leur religion avant de les considérer comme des citoyens parmi les autres. On a ainsi beaucoup fait en faveur du développement de la mise à part d’une partie des musulmans de France, et même de la dérive communautariste qui se manifeste aujourd’hui dans certains de nos quartiers.

A quoi cette posture, plus  dogmatique qu'en prise avec le réel, répond-elle ?

Guylain Chevrier : Malgré les bonnes intentions de certains, derrière l’idée d’une représentation publique de l’islam, on peut être tenté de voir une vision postcoloniale, c’est-à-dire la continuité avec une façon de voir d’abord des musulmans avant de voir des égaux. Il faut sortir de cela en mettant au cœur du dialogue de la France avec nos concitoyens musulmans les enjeux relatifs à la défense et à la promotion de nos biens communs, dont la démocratie et les libertés, qui ne sont pas négociables, dont la séparation des Eglises et de l’Etat. Le contraire autrement dit des concessions que l’on ne cesse de faire, si l’on regarde les dérogations à la loi de séparation qu’a validé le Conseil d’Etat pour permettre la facilitation de l’intervention de la puissance publique à travers ses élus locaux, dans le sens de la construction de lieux de cultes ou le financement de projets à caractère cultuel. Cela passe aussi donc par sortir d’un clientélisme politico-religieux qu’instrumentalisent bien trop d’élus, voyant d’abord dans une communauté musulmane sous couvert de reconnaissance de la diversité, l’intérêt d’un interlocuteur avec lequel négocier peu ou prou des voix, encourageant par là une logique communautaire tournée contre la République et ses principes, y compris la liberté de choix des individus concernés eux-mêmes contraints de suivre une logique d’assignation inacceptable.

Youssef Seddik philosophe tunisien, Mezri Haddad, ancien ambassadeur de Tunisie à l'Unesco, Abdennour Bidar, philosophe, ainsi que de nombreux autres intellectuels appellent à une réforme de l'Islam, contre un islam politique. Alors que l'islam de France tel qu'il existe aujourd'hui pose de plus en plus question, nos politiques seraient-ils en train de passer à côté de cet enjeu ?

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Guylain Chevrier : Il n’y a pas de situation dépassée avec les musulmans de France, mais nous sommes à une échéance capitale pour que cela n’arrive pas. L’islam politique se nourrit du clientélisme politique auquel il faut substituer un véritable débat sur l’exigence pour les musulmans, comme pour les autres membres de notre société, de se conformer aux mêmes principes communs. Voilà comment on peut désamorcer l’islam politique d’abord, en considérant les musulmans comme des citoyens avant tout.

Je parlais plus haut de cette majorité de musulmans qui disent faire passer les valeurs de leur religion avant celle de la société dans laquelle ils vivent, mais l’autre moitié est où ? Et que font les pouvoirs publics pour empêcher que, le CFCM par exemple ou l’UOIF, apparaissent comme les interlocuteurs des musulmans ignorant ceux qui veulent être pris en compte d’abord comme citoyens avant de l’être comme musulmans ? On contribue à faire taire une part essentielle des musulmans derrière cette façon de les traiter comme une communauté unique, derrière des interlocuteurs visibles dont la visibilité dépend de l’invisibilité des autres qui eux, portent justement le modèle républicain et s’y reconnaissent. Il faut que l’espace médiatique s’ouvre à ces musulmans-là et que les politiques encouragent à ce qu’ils se sentent en situation de se faire entendre.

Sans doute qu’il revient aussi aux musulmans eux-mêmes de s’organiser, de telle façon à se voir mieux représenter, ce qui est un autre aspect du problème. Il est aussi lié à ce que les pouvoirs publics peuvent considérer comme des interlocuteurs à même de remplir ce rôle de lien entre religion et société, dans le respect de nos institutions. Jusqu’à présent, c’est une belle catastrophe. La convention citoyenne élaborée par le CFCM illustre ce propos, faite en trompe l’œil pour expliquer que l’islam est une religion qui prône l’égalité entre hommes et femmes alors qu’aucune religion, pas plus que celle-ci, ne l’a fait. Une façon de rejeter tout débat sur le sujet. Cette démarche est vouée à l’échec et ne trompe en réalité personne. Ce dont il s’agit, c’est de jouer franc jeu pour l’islam envers lui-même et la République pour pouvoir se réformer, en s’adaptant aux exigences de la modernité démocratique dans un dialogue avec la société française. Cela est possible pour peu que, les intérêts partisans des uns ou des autres ne viennent pas en entraver le chemin.

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Propos recueillis et traduits par Alexis Franco

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