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Bulle de déraison : la déconnexion entre l’économie réelle et les marchés financiers se poursuit
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Atlantico Business

D’un côté, une économie réelle qui donne des signes de ralentissement mondial. De l’autre, des marchés boursiers qui continuent de croître. Tous les symptômes de la crise cardiaque politique et sociale sont réunis et on ne dit rien.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La seule question que se posent les milieux daffaires internationaux est de savoir, combien de temps l’illusion de la prospérité infinie va-t-elle tenir. Combien de temps va-t-on pouvoir dissimuler les faiblesses de l’économie réelle par la spéculation monétaire et financière ? Combien de temps les opinions publiques peuvent-elle accepter un tel clivage entre l’économie réelle, qui marche mal et l'économie virtuelle qui donne l‘apparence de la richesse et du progrès ? Parce que, ce qui se passe en cette rentrée, est à l’opposé de toute logique.

1er point: Tous les signaux du ralentissement mondial de l’économie réelle sont allumés. La croissance mondiale a encore perdu plus de 1% depuis moins d’un an. Toutes les grandes places économiques piquent du nez. La Chine ralentit fortement même si les statistiques sont peu précises. L’Union européenne freine chez tous nos partenaires, et d’abord en Allemagne. L'économie américaine tient encore la route mais tire comme jamais sur les lignes de crédit budgétaires et extérieures que lui permettent son hégémonie militaire et monétaire.

Mais franchement, si l’été qui s’achève en France a calmé les gilets jaunes qui avaient essayé de paralyser la France pendant plus de six mois, cet été a par ailleurs chamboulé beaucoup d’équilibres dans le monde. La France n’est pas protégée des effets induits par la conjoncture internationale. Donald Trump a continué de souffler sur les braises de la guerre commerciale, ce qui réjouit sans doute une partie de son électorat mais qui inquiète le grand business. La Chine ne cède pas. Elle cèdera d’autant moins qu’elle est aux prises avec une montée des oppositions internes.

En Europe, lAllemagne sinterroge sur un changement de politique économique qui lui permettrait de puiser dans ses excédents budgétaires et d’enrayer la montée de son extrême droite très protestataire. En Grande Bretagne, Boris Johnson poursuit sa quête impossible de la quadrature du cercle. Offrir à ses électeurs une sortie de l’Union européenne sans en payer le prix. L’Italie se cherche une nouvelle coalition pour échapper à des élections qui donneraient les pleins pouvoirs à Salvini.

Bref, les horizons sont quand même très chargés et très confus.

2e point: les marchés financiers continuent de fonctionner comme si la météo était sans nuage. Tous les grands indices boursiers de la planète (New-York, Londres, Francfort, Paris, Shanghai, etc.) ont encore gagné entre 15 et 25% de valeur depuis le 1er janvier. Alors bien sur, les marchés sont parfois nerveux, fébriles, mais ça ne dure pas plus de 48 heures. Ils découvrent toujours une déclaration officielle venant d’une banque centrale ou d’une autre pour retrouver un coup de boost. Le week-end dernier, c’est Christine Lagarde qui a mis les choses au point sur la stratégie qu'elle entend conduire. Très simple, elle va continuer la tache de son prédécesseur. La future présidente de la BCE, a estimé « qu'il y avait encore de bonnes marges pour une éventuelle baisse des taux ». Encore un effort et on parlera officiellement de taux négatif. Alors, hier lundi, Wall Street était fermé en raison de la fête du Travail aux Etats-Unis, mais les Américains de Southampton Long Island, là où tout Wall Street passe ses week-ends, ne paraissaient pas traumatisés. Ils expliquent simplement qu’il n’y a " pas d'alternative à la Bourse", puisque s’il n’y a pas de rendement, il y a des liquidités. Et quand les liquidités débordent de la bourse ou des entreprises qui ne les prennent pas pour investir dans le risque, on achète de l’or ou de l’immobilier. A Paris, la pierre a franchi pour la première fois les 10 000 euros le m2 partout.

3e point,ce paradoxe ou cette déconnexion entre l’économie financière et l’économie réelle est alimentée par les politiques monétaires. De largent facile et pas cher. On a d’ailleurs battu un record historique au mois d’août puisqu’on a dépassé la barre des 17,000 milliards de dollars d'emprunts d'États ou d'entreprises à taux négatifs. Les taux d’intérêt sont à l'envers de ce que toutes les théories économiques nous ont appris. Les taux longs à 30 ans sont désormais moins chers que les taux courts à moins de deux ans. Bref, il vaut mieux emprunter à 30 ans quà un mois et cest partout pareil dans le monde.  En France, on emprunte a moins à moins 0,40 % sur 10 ans. En Allemagne, on emprunte à moins 0,70 %.

Donc le préteur paie pour placer son épargne. Tout se passe comme si on avait inventé et appliqué un taux d’imposition de l‘épargne investie. On paie si on épargne.

Cette situation est un héritage des médecines administrées au lendemain de la grande crise de 2008 pour sauver le système économique de l’asphyxie. Cette médecine a délivré les résultats attendus, mais comme la drogue a entraîné un phénomène d’addiction, on ne réussit pas à s’en défaire.

Les banques centrales continuent donc ces politiques accommodantes et quand elles prennent conscience des dangers, les chefs d’Etat font pression pour qu’elles continuent. C’est le cas des Etats-Unis où Donald Trump a compris que la politique monétaire généreuse était le seul moyen de sauver son économie de la récession. Il a besoin pour assurer sa réélection de délivrer des résultats tangibles, en pouvoir d’achat, en emplois faciles et mobiles et en effet richesse. Les cours de bourse donnent l’impression aux Américains d’être riches et cela grâce à Donald Trump.

Conclusion : Cette situation n’est évidemment pas tenable si elle ne génère que des progressions monétaires et finalement virtuelles. La politique économique doit délivrer des résultats réels en terme de progrès et d’assurance contre les risques de l’avenir.

La politique de taux zéro a un inconvénient, elle décourage les investissements à risque et accroît les inégalités entre ceux qui possèdent des actifs boursiers ou de l’immobilier et les autres.

Mais en théorie, une politique à taux zéro ou négatif pourrait offrir des opportunités de changement.

D’abord, parce que taux zéro ou négatif organise un transfert de richesse des rentiers vers les actifs. Les rentiers paient pour que leur rente soit protégée. Ave des taux positifs, les rentiers s’enrichissent par le rendement.

Ensuite, une politique de taux négatifs pourrait permettre de formidables investissement à long terme dont on a besoin. A la fois pour mettre en place des politiques sociales et de formation pour sortir des millions de gens de situation où ils n’ont pas de futur. Mais aussi, cette politique de taux bas pourrait permettre de financer des investissements que le marché refuse en partie de financer comme la transition énergétique ou la lutte pour la protection de l’environnement. Plutôt que créer des impôts nouveaux, laissons à l'épargne à taux négatif le soin de payer cet effort. Après tout, ce dont l’épargnant a besoin, c’est de protéger son avenir. La protection de l’environnement, la lutte contre le réchauffement climatique participent à cette projection. On a simplement besoin de recherche et d’investissements.

Les politiques sont assez peu enclins actuellement à utiliser ces formidables opportunités pour assurer les transformations structurelles et environnementales. Quel programme ! Parce que les moyens existent.

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