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Budget européen : pourquoi le projet porté par Emmanuel Macron pourrait finir par faire plus de mal que de bien
©Reuters

Ambition à la baisse, contrainte à la hausse

L'Eurogroupe semble s'orienter vers la mise en place d'un budget européen comme le souhaitait le Président français. Mais la mesure reste symbolique, voire dangereuse...

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Dans la nuit du 3 au 4 décembre, l'Eurogroupe a publié un communiqué dessinant l'esquisse du budget européen souhaité par Emmanuel Macron depuis son élection. Un budget qui devrait, selon la formule utilisée dans le communiqué, suggère la mise en place d'instruments de compétitivité, de convergence et de stabilisation de la zone économique et monétaire. Comment faire la part des choses entre les contraintes qui pourraient découler de cet accord et ses avancées ?

Rémi Bourgeot : La réunion de l’Eurogroupe a entériné certaines mesures, comme sur l’utilisation du Mécanisme européen de stabilité pour soutenir dans une certaine mesure les pays confrontés à une crise de leur secteur bancaire, au-delà de son rôle plus restreint actuellement. Cette mesure était déjà actée depuis un certain temps, mais il restait à en fixer le détail ; ce qui a été fait avec le souci d’une conditionnalité méticuleuse.

La question du budget de la zone euro a été encore une fois évoquée, avec un accord... pour tenter de trouver un début d’accord... qui permette d’aboutir à un accord plus définitif... tout cela à une échéance raisonnable naturellement. Il s’agira dans tous les cas d’un budget d’un montant symbolique consacré à la zone euro et qui devra s’inscrire dans le cadre du budget de l’UE, suivant donc une implémentation longue et rigide. Dès la campagne présidentielle française, le gouvernement allemand avait signifié son accord pour un pas de nature symbolique. Étant donnée l’évolution du climat politique outre-Rhin, même l’idée d’une mesure symbolique a commencé à être remise en question par l’aile la plus à droite de la CDU-CSU, si bien que le gouvernement français et Bruno Le Maire en particulier ont dû élever le ton en agitant le spectre d’un éclatement de la zone euro, en l’absence d’avancée.

On voit des efforts très conséquents de la part du gouvernement français pour tenter d’arracher un accord de nature symbolique à l’Allemagne et aux pays du Nord de l’Europe, constitués en ce qu’ils s’amusent désormais à désigner ironiquement comme nouvelle « Ligue hanséatique ». Le principal coût de cette stratégie réside dans l’absence même d’échanges sur la question du rééquilibrage macroéconomique à l’intérieur de la zone euro et en particulier sur l’himalayen excédent commercial allemand qui résulte lui-même de déséquilibres qui menacent l’économie européenne. 

La convergence est, au niveau des institutions européennes, parfois comprise comme un processus d’encadrement du contenu même des budgets nationaux, au-delà de simples références quantitatives et en faisant souvent l’impasse sur la question de la modernisation industrielle et des infrastructures, et de nivellement par le bas des coûts salariaux au moyen des réformes qualifiées de structurelles. 

Toute concession sur le plan de l’intégration fiscale, ne serait-ce que sous la forme d’un budget strictement symbolique pour la zone euro, se traduit par un durcissement de cet encadrement.

Cependant, les autorités allemandes et de la plupart des pays du Nord de l’Europe insistent sur des règles budgétaires mais ne s’intéressent en réalité que peu au modèle de développement de leurs partenaires. Par exemple, l’establishment allemand ne s’intéresse que modérément à la passe d’armes actuelle entre la coalition populiste à Rome et Pierre Moscovici. La vision ordolibérale allemande consiste essentiellement à fixer certaines règles, de façon certes inflexible mais sans nécessairement prétendre fixer un cap universel. L’acharnement sur la Grèce avait résulté d’une approche qui n’est que minoritaire en Allemagne et au sein du camp conservateur, celle de Wolfgang Schäuble, qui croit en une Europe intégrée suivant un modèle fédéral et un contrôle ultra-rigide et méticuleux des budgets nationaux. Le virage conservateur en cours, eurosceptique, s’accompagne d’une volonté de limiter l’intégration et d’un recul de l’intérêt pour les contrôles méticuleux liés  à l’échec de la mise sous tutelle de la Grèce.
Les responsables politiques des pays latins ont tendance à interpréter la volonté de cadrage comme un programme économique à suivre sous les applaudissements des observateurs mondiaux. Les autorités allemandes suivent par ailleurs une approche économique, qui a ses forces et ses faiblesses évidemment, mais ne conçoivent pas l’idée du cadrage budgétaire comme une grande vision politico-économique pour l’Europe. Ce décalage, lié à une connaissance insuffisante de la culture politique allemande, conduit à l’impasse actuelle : mesures symboliques contre accroissement du contrôle et perte de sens d’une stratégie économique à développer pour les pays qui s’en remette à la puissance centrale.

N'y-a-t-il pas un risque de voir ce budget européen se retourner contre l'intention qui a pu guider sa mise en place, à savoir "L'Europe de la croissance" comme cela était présenté dans le programme présidentiel ? 

C’est effectivement tout le problème du sens du modèle de coordination. L’Allemagne et les pays du nord exigent un contrôle plus strict des budgets en échange de la moindre concession symbolique aux réformes voulues par la France. Puis la France et les pays du Sud de la zone pensent, en cochant les cases d’une check-list de réformes dites structurelles, suivre une stratégie économique, alors que la révolution industrielle en cours dans le monde appelle une politique ambitieuse centrée sur la mise en valeur des compétences scientifiques et la montée en gamme technologique.
On met simultanément en œuvre des mesures qui compriment la demande et qui, en se focalisant sur les coûts salariaux au risque d’une crise sociale majeure comme celle des gilets jaunes en France, font l’impasse sur le défi fondamental de la productivité et de la modernisation des chaînes de valeur.

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