Budget 2016 : le gouvernement s’enferme (encore) dans des hypothèses irréalistes et une erreur de diagnostic sur les maux de l’économie française<!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Sapin, Emmanuel Macron et Ségolène Royal.
Michel Sapin, Emmanuel Macron et Ségolène Royal.
©Reuters

Cas clinique

Alors que la baisse de 2 milliards d'euros d'impôts devait commencer en 2016, le gouvernement a annoncé mercredi 16 septembre un report de trois mois. Erreurs d'anticipation budgétaire, incompréhension des maux de l'économie nationale... La question du financement de ces mesures ne semble toujours pas réglée.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Mercredi 16 septembre, le ministre des Finances Michel Sapin a annoncé que les baisses de cotisations prévues sur les salaires entre 1,6 et 3,5 Smic dans le cadre du pacte de responsabilité ne prendraient effet qu'au 1er avril, trois mois après la date prévue. Le gouvernement a décidé de repousser cette baisse des cotisations pour des raisons de financement. Comment expliquer que cette partie du pacte de responsabilité n’ait pas été davantage anticipée ?

Jacques Bichot : Hélas, les hommes politiques ont pris l’habitude de vivre au jour le jour, sans perspective à long terme. Ils n’ont, globalement, aucune cohérence : il a suffi que le Président de la République annonce, de façon inopinée, un allégement de l’impôt sur le revenu en 2016, pour que les cartes soient brouillées. Si les rentrées sont diminuées d’un côté, il faut les augmenter d’un autre – par exemple en ne tenant pas une promesse de baisse des charges sociales.

Comme un politicien ne peut pas s’empêcher de promettre, il est fatal que certaines de ses anciennes promesses fassent les frais des nouvelles. En quelque sorte, une promesse chasse l’autre. Pour être fiable, il faut ne promettre que ce qu’on est sûr de pouvoir tenir. Mais un homme politique "ordinaire" se shoote aux promesses qu’il fait jour après jour, comme un toxicomane qui a besoin de sa dose quotidienne d’héroïne : il ne peut pas s’en empêcher, c’est plus fort que lui.

Au-delà de l'erreur d'anticipation, n'y a-t-il pas également une difficulté à assumer la ligne social-libérale empruntée par le gouvernement ?

Jacques Bichot : Je ne sais pas ce qu’est le social-libéralisme, et je doute que le Président de la République en ait une idée précise. Il se contente de donner de temps à autre un coup de barre à droite, et de temps à autre un coup de barre à gauche, parce qu’il faut bien faire quelque chose quand on est censé gouverner un pays. Donc tantôt un Macron lui montre qu’il serait bon pour l’emploi d’assouplir certaines règles qui corsètent les entreprises, et il encourage le gouvernement à aller un peu (pas trop !) dans ce sens ; et tantôt des éléments de la gauche de la gauche lui disent qu’il faut faire payer davantage les riches, les entreprises et les familles, et il donne le feu vert à des mesures allant dans ce sens. Le social-libéralisme que nous vivons, s’il faut user de cette expression, c’est une valse-hésitation entre des options contradictoires entre lesquelles un Premier ministre et un Président "normaux" ne parviennent pas à choisir.

Quel est le message envoyé aux entreprises ?

Jacques Bichot : Cette décision signifie que l’État n’est pas fiable : il promet et ne tient pas tout ce qu’il a promis, mais seulement une partie. Les chefs d’entreprises, qui ont déjà, pour la plupart, bon nombre de griefs à l’encontre de l’Administration et des pouvoirs publics, ne peuvent qu’être confortés dans leur méfiance envers l’État. Or la confiance est un ingrédient fondamental pour la bonne marche de l’économie. C’est un fait bien connu des économistes, qui a été remarquablement expliqué par Alain Peyrefitte dans son livre La société de confiance (Odile Jacob, 1995).

Que vous ayez une confiance limitée vis-à-vis de deux ou trois petits clients n’est pas bien grave, mais si quand il s’agit d’un très gros client, ou d’un très gros fournisseur, ou d’un partenaire très important comme l’est l’État, ne pas pouvoir faire confiance est un frein considérable à l’activité. Or l’État change beaucoup trop souvent les règles du jeu, cela dissuade les responsables d’entreprise d’investir et d’embaucher. L’État fait certains efforts, comme le rescrit fiscal et social, qui garantit que la réponse donnée à telle question par l’administration fiscale ou l’URSSAF engage vraiment cette administration : c’est dans ce sens-là qu’il faut aller, pas dans celui des promesses tenues seulement en partie.

Comment comprendre ce problème de financement, et où le gouvernement peut-il couper afin d’équilibrer le budget ?

Philippe Crevel : Le gouvernement décide de reporter l’application de ces mesures et donc de gagner quelques mois, c’est donc un gain pour les finances publiques. L’Europe est très vigilante sur la réduction du déficit public pour 2016 avec un passage à -3,5% du PIB. Or, le gouvernement a beaucoup misé sur cette fameuse croissance. Il s’agissait de gager à la fois la réduction du déficit et quelques mesures d’allégements fiscaux et de charges sociales sur cette fameuse croissance qui tarde à revenir.

Voilà que l’OCDE a indiqué mercredi 16 septembre que la croissance de la France serait un peu moins élevée que prévu en 2016, ce qui ne fait que compliquer la quadrature du cercle dans laquelle était déjà le gouvernement. En effet, pour 2016 la croissance française devrait se situer à 1,4% quand on espérait une croissance de 1,6-1,7% il y a quelques semaines. Cela rend plus compliqué l’établissement du projet de loi de finance pour 2016 car il y a moins de recettes pour l’Etat.

Le projet de loi de finance pour 2016 sera proposé assez tardivement par rapport aux années précédentes, avec près de 2 semaines de retard, ce qui prouve que le sujet est complexe. La recherche d’économies ne doit pas être évidente. Le gouvernement avait envisagé de s’attaquer à certaines aides au logement. Il semble qu’il fasse en grande partie machine arrière. Il faut donc trouver de nouvelles sources d’économies de fonctionnement. On parle, au sujet d’un certain nombre d’allocations sociales, d’un alignement de la règle d’actualisation au 1er octobre. Cela permettra de gagner quelques centaines de millions par-ci par-là. On avait jusque-là un système d’actualisation en deux temps, au 1er avril prenant en compte l’inflation prévisionnel puis un mécanisme de correction l’année suivante. Là, on reporte au 1er octobre et la vision de l’inflation est assez claire. La marge d’erreur sera réduite, ce qui évitera de trop donner d’un coup puisque toute correction est difficile à effectuer après. Le gain est valable la première année lorsqu’on gagne le report, mais cela reste un "one shot", une mesure à un coup.

Je pense que l’on va avoir prochainement d’autres mesurettes permettant de gratter million par million afin d’obtenir un déséquilibre respectable au vue de l’Europe. Concernant ces "mesurettes", il s’agit par exemple des réserves qu’auraient pu faire certains établissements publics, donc dans ce cas-là généralement on ponctionne et on rase. L’année dernière, c’était le tour des universités. L’Etat a souvent un talent pour débusquer l’organisme qui aurait commis "l’erreur" d’avoir une bonne gestion. Il y a aussi la possibilité de modifier à la marge certaines niches.

On peut aussi reporter des investissements de quelques mois afin de faire quelques économies.

La baisse d'impôts de 2 milliards d'euros sera effective en 2016. Mais cette somme devra être trouvée dans le budget à travers des économies. Cette aide au ménage visant à relancer la consommation est-elle pertinente ?

Jacques Bichot : La manie consistant à modifier chaque année les règles de la fiscalité, et notamment celles de l’impôt sur le revenu, est une de celles qui expliquent les mauvaises performances de l’économie française. Pour qu’il y ait moins de sous-emploi il faudrait arrêter ce mouvement brownien qui agite notre fiscalité et bien d’autres aspects de notre législation et de notre réglementation. Les Français aspirent à de la stabilité et à de la simplicité. Or les pouvoirs publics passent leur temps à leur compliquer la vie : c’est un des facteurs explicatifs importants du fossé qui s’est creusé entre le peuple français et ses gouvernants – et pas seulement ses gouvernants de gauche ! Les dirigeants qui nous enferment dans un labyrinthe, comme je l’explique dans mon dernier ouvrage (Le Labyrinthe, Les Belles Lettres, 2015), rendent un très mauvais service à la France.

Durant la présidence Sarkozy, le pourcentage de foyers payant l’impôt sur le revenu avait commencé par baisser (de 46,9 %  à 43,4 %) puis il a augmenté (jusqu’à 49,9 %). Au début de la présidence actuelle, la hausse de cette proportion s’est encore accrue (jusqu’à 52,3 %), puis elle est orientée à la baisse. Tous ces changements inutiles sont des enfantillages, néfastes car pendant qu’ils s’y livrent les pouvoirs publics ne se consacrent pas aux réformes de fond qui seraient nécessaires, par exemple l’unification de nos 36 régimes de retraites par répartition ou l’élagage drastique du Code du travail ou encore la modernisation de nos services d’accueil et de contrôle des migrants. 

Plus fondamentalement encore, ces annonces ne traduisent-elles pas une erreur de diagnostic de la part du gouvernement ?

Nicolas Goetzmann : La poursuite de l’orientation sociale-libérale du gouvernement aura permis d’introduire la prochaine réforme du code du travail. Après la loi Macron, le CICE, ou encore le pacte de responsabilité, la mise en place progressive d’une politique de l’offre a bien fait son chemin à la Présidence. L’amélioration progressive du potentiel de croissance du pays en est l’objectif. Après des années, ou des décennies de réticence, cette approche est privilégiée par le pouvoir, et maintenant, plutôt acceptée au sein même du parti socialiste. Manuel Valls et Emmanuel Macron en auront été les principaux instigateurs.

La grande ironie de l’histoire est que le Parti socialiste en est venu à se convertir à la politique de l’offre au moment même où le pays est confronté à sa plus grande crise de la demande depuis les années 30. Non pas que les politiques de l’offre doivent être délaissées, mais l’absence de soutien à la demande condamne le Président aux résultats actuels de son quinquennat. 0.2% de croissance pour l’année 2012, 0.7% pour l’année 2013, 0.2% pour l’année 2014, et une perspective de 1% pour cette année 2015. Un niveau d’activité économique qui a eu pour conséquence de voir le nombre de chômeurs progresser de plus de 628 000 personnes depuis le mois de mai 2012, en catégorie A. Ou de 1.173 millions toutes catégories confondues. Dans le même temps, le niveau de dette publique est passé de 90 à 97.5% du PIB.

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Ce déficit de la "demande" dépasse aujourd’hui 20% du PIB du pays, un déficit qui  peut se diviser équitablement en deux, entre croissance et hausse des prix. Il s’agit du potentiel économique du pays qui a été "gâché" par la crise. Et cette perte de croissance est aussi bien la cause de la hausse du niveau de chômage, de l’accroissement des déficits que de l’explosion du niveau de dettes de la France. Et c’est ce que le pouvoir Présidentiel n’a pas vu, ou qu’il s’est résigné à ne pas voir. Si le virage de l’offre pris François Hollande, en janvier 2014, permet d’améliorer le potentiel économique du pays, il reste à noter que ce même potentiel n’a pas été atteint depuis 7 ans, en raison du gouffre qui caractérise le niveau de "demande".

Philippe Crevel : L’erreur première de diagnostic est d’avoir pensé que la croissance allait tout résoudre. Deuxième faute, la croissance est plus faible que prévu et la France est à la traine. Au deuxième trimestre 2015, notre pays a été le dernier de la classe européenne. Il y a un malaise dans la croissance française.

De plus, on a trainé avant d’assainir les finances publiques. La France est en décalage car en retard par rapport aux autres pays européens. On paie aujourd’hui l’absence de travail de ces dernières années. Cela contribue à réduire la croissance française. On a tout misé sur la croissance extérieure, la reprise économique venant d’au-delà de nos frontières. Or, la croissance mondiale est plus faible que prévue, et la situation dégradée nos finances publiques ne nous laisse aucune marge de manœuvre.

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