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Brexit : la City est-elle en train de changer de point de vue ? Le patron de Goldman Sachs trouve en tous cas que ça n’est pas si dramatique que ça
©Tolga AKMEN / AFP

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Une déclaration qui intervient au moment ou le cours de la livre Sterling atteint son plus haut depuis le vote de 2016.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Atlantico : Lloyd Blankfein, remplacé très récemment à la tête de Goldman Sachs, a estimé que les conséquences du Brexit sur la place financière londonienne n'étaient pas aussi catastrophiques qu'attendues. Une déclaration qui intervient au moment ou le cours de la livre Sterling atteint son plus haut depuis le vote de 2016. La City aurait elle changé d’avis sur la situation ? La perception négative s’est elle atténuée ?

Mathieu Mucherie : Amusant. Souvenez-vous des estimations apocalyptiques des uns et des autres, le Trésor britannique en particulier. Et puis le réel est là, pas calamiteux du tout, les taux qui ne sont pas pénalisés par une quelconque prime de risque, la bourse qui sous-performe mais sans plus, l’économie qui fait un peu moins bien mais sans décrochage net, il va falloir commencer à reconnaitre que l’industrie de la jérémiade anti-Brexit a été un peu loin. Mais Blankfein ne représente plus que lui-même (ce qui explique peut-être…).

Un financier est STRUCTURELLEMENT anti-Brexit. Voyons pourquoi.

a/ les financiers n’aiment pas les perturbations, l’incertitude. Leur biais en faveur du statu quo est bien documenté. Ils veulent bien de la volatilité, qui est au fond leur matière première, du risque mais pas de l’incertitude. Or le Brexit est un peu une aventure, convenons-en, en particulier à cause de l’axe du pire franco-allemand toujours tenté de faire tout dégénérer rien que pour prouver l’utilité de l’UE,

b/ les financiers britanniques sont nombreux à vouloir de l’euro, depuis le début, et l’appartenance à l’UE doit conduire à l’euro (pour rappel, le Royaume-Uni est signataire du Traité de Maastricht) ; je dis ça car le parisien de base croit que la City était toujours pro-Thatcher, et que Soros a fait du mal au pays en spéculant « contre sa monnaie »,

c/ c’est encore plus net avec les financiers français ou allemands, jaloux et envieux vis-à-vis de la City depuis des lustres, et très désireux de capter des flux.

Et tous ces gens vivent dans une bulle, ou plutôt dans une grande caisse de résonance capable de les convaincre.

Alors que le grand argument anti-Brexit ne devrait pas être économique ou financier mais en quelque sorte constitutionnel. Il n’est tout de même pas normal ou démocratique qu’une décision significative, qui va lier les générations futures, soit prise par un vote unique à 51%, là où une majorité qualifiée (disons 66%) serait nécessaire à mon avis pour parler de démocratie, surtout dans ce pays très raisonnable et gradualiste d’ordinaire qu’est le Royaume-Uni. Bien entendu cet argument aurait du valoir aussi en France en 1992, mais les dérives anti-démocratiques sont moins étonnantes de ce côté du Channel

Au-delà des conséquences purement financières du Brexit, l'économie britannique subit-elle aussi durement que prévu l'annonce de son départ de l'UE ?

Non. Le rythme de croissance anglais de 2014-2016 n’était pas soutenable (3%), le ralentissement était logique. Le plongeon n’a pas eu lieu. Comme annoncé par votre serviteur dans ces colonnes, la baisse du Sterling a été un puissant amortisseur, comme en 1992, comme en 2007. Si la Banque d’Angleterre était un peu plus dynamique, on verrait à peine la différence. On est très loin des scénarios d’apocalypse zombie de nos officiels, et à la limite de l’anecdotique, même s’il ne faut pas exclure des troubles supplémentaires dans les années à venir si les franco-allemands se radicalisent et surtout si la Banque d’Angleterre garde son attitude mollassonne (elle parle déjà de monter ses taux).   

Ce qui conduit à la responsabilité de Mark Carney, cette fausse valeur. Je le trouve très gonflé quand il ose dire que, sans le Brexit, le rythme de croissance serait aujourd’hui très satisfaisant. Nos banquiers centraux font rarement des analyses contre-factuelles, sauf quand ça les arrange. Si on veut aller dans ce sens, OK, mais allons-y à fond. Quel serait le niveau de vie en Europe si la BCE n’avait pas attendu près de 7 ans avant d’acheter des actifs ? Et la crise aurait-elle été plus qu’une crisounette si la FED avait visé le PIB nominal en 2008 plutôt que de jouer au pompier bancaire toujours en retard sur l’événement ? etc.  

Pour en revenir aux questions financières, le déclin de la City est il inéluctable, au profit d’autres places comme Paris ou Francfort ?

Je ne suis pas un spécialiste. Mais j’ai lu quelques bons livres sur l’inertie des avantages comparatifs dans ce secteur, notamment chez Barry Eichengreen ou chez Youssouf Cassis (« Les capitales du capital »), qui au fond actualisent le grand livre de Dickens si connu outre-manche et si peu lu chez nous, Un conte de deux villes. Les localisations changent déjà peu dans le domaine industriel (encore aujourd’hui la Suisse est connue pour ses montres et pour son chocolat), encore moins souvent dans le domaine financier. Il faut compter sur les effets d’agglomération, la réputation, la question du capital humain et le rôle de l’anglais comme lingua franca (quand on voit le niveau en anglais à Paris…), et plein d’autres facteurs intangibles, immatériels, qui font toute la différence. Je ne vois pas un fonds américain préférer Francfort ou Paris à Londres ; à moins d’être assez cheap, auquel cas Dublin suffira. Paris est trop socialo. Luxembourg est mort à partir de 20 heures, il faut être juriste et en famille pour s’y installer. Francfort a un atout majeur du côté des tours mégalos de la BCE, mais en finance cela reste un peu province. Si vous travaillez sur les pays émergents, sur le FX, sur les matières premières, pas le choix en Europe à court-moyen terme, c’est Londres.   

On retrouve cette idée typiquement libérale selon laquelle nos esprits planificateurs ne sont pas comme nous le pensons master and commander dans le monde économique complexe qui est le nôtre. L’arrogance planiste, qui conduit nos inspecteurs des finances parisiens à enterer la City tous les vingt ans, a été analysée par Hayek mais aussi par Alain quand il notait que c’est la mer qui dessine les bateaux à la longue, par un processus d’essais-erreurs et non par un contrôle top-down. Ce n’est peut-être pas très logique en apparence qu’une ville pluvieuse sur la Tamise qui compte en sterlings rassemble le gros des transactions financières du vieux continent et au delà, mais c’est le fruit de l’histoire et on ne déconstruit pas rapidement l’histoire quand tant d’argent est en jeu, et quand l’alternative consiste à dépendre de Christian Noyer ou de Jens Weidmann.   

Quand j’entends un financier parisien qui croit pouvoir changer rapidement l’ordre des choses en faveur de sa place préférée, je pense à Warren Buffet : « les dirigeants sont trop fascinés par l’histoire qu’ils ont lue dans leur tendre enfance où une princesse embrasse un crapaud qui se transforme en prince charmant. Se remémorant le succès de la princesse, ils sont prêts à payer cher pour embrasser des entreprises-crapauds dans l’espoir d’une transformation miraculeuse ».

Le déclin de la City est prophétisé depuis fort longtemps par des gens qui bien souvent confondent leurs fantasmes et la réalité. Souvenez-vous de 1992. Le Sterling sort du SME, le pays ne « se qualifiera pas » pour l’euro, c’est la fin assurée de la City, ces idiots d’anglois se tirent une balle dans le pied, ils n’ont vraiment pas le sens de l’histoire, ils ne suivent pas aveuglément la Bundesbank jusqu’au bout de sa parano, la City est condamnée. On a vu le résultat…

(Michel Rocard : « Maastricht constitue les trois clefs de l’avenir : la monnaie unique, ce sera moins de chômeurs et plus de prospérité ; la politique étrangère commune, ce sera moins d’impuissance et plus de sécurité ; et la citoyenneté, ce sera moins de bureaucratie et plus de démocratie », 27 août 1992, Ouest-France).

De nos jours, le handicap de la City n’est pas la non-appartenance à un espace économique lâche, profondément dysfonctionnel, dirigé par une banque centrale autiste et ses prête-noms (Juncker, Moscovici, etc.) ; cela ne change rien, et la Suisse l’illustre à sa façon depuis longtemps. C’est faire trop d’honneur à l’UE ou à la ZE que les considérer comme des vecteurs d’activité, financière ou pas. Par contre, Londres est fréquemment menacée par elle-même. Ses propres succès. Le coût de son immobilier, par exemple. Le drame de la ceinture verte et d’un manque de libéralisation du foncier. A l’ère du numérique et des téléconférences, et dans un contexte de rationalisation des coûts (taux plus bas, essor des ETFs, back to basics, etc., les choses ont déjà bien changé depuis la photo ci-dessous, qui date de 2007…) ; cela laisse de la place à de nouvelles places, sur des niches ; et c’est ainsi que l’on croise des gens qui pensent s’installer à Berlin ou à Madrid ou peu importe. Mais cela reste marginal, et les écarts sont grands entre les effets d’annonce et la réalité des départs.  

Aujourd’hui, je ne m’en fais pas trop pour eux. Demain, par contre, Londres va reculer. Mécaniquement, en relatif. Pas du fait de l’attrait irrésistible de l’euro-de-malheur, de la grosse Commission démonétisée, ou de Paris-ville-lumière. Mais du fait de la montée inexorable de la finance en Chine. Une épargne gigantesque, une volonté de la moderniser, l’exemple de Hong-Kong, une tradition de jeu et de risque, peu d’inflation, le goût pour la technologie, tout est là pour un Big Bang énorme, pour une convertibilité du Yuan, pour une très vaste place à Shanghai, qui se sophistiquera et qui dominera l’Asie (quitte à laisser la banque privée à Singapour et les corporates japonaises à Tokyo). A terme, si les chinois restent pragmatiquement sur un chemin de libéralisation progressive, de libre-échange et de renforcement des droits de propriété, New York et Londres devront céder beaucoup de terrain face à ce 3e acteur, tant il est vrai que les places financières dominantes sont celles des économies-monde dominantes. Le CSI 300 nous deviendra aussi familier que le Dow Jones ou le FTSE. Et il n’est pas impossible qu’on y gagne au change, quand on voit le comportement malthusien de nombreux acteurs financiers occidentaux (racheter ses actions, n’est-ce pas réduire sa voilure ?) là où les chinois utilisent encore la Bourse pour ce pour quoi elle a été crée.

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