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Branko Milanovic : "Emmanuel Macron pensait pouvoir relancer la croissance française en utilisant des méthodes thatchériennes. Mais le monde a profondément changé depuis 1980"
©BORIS HORVAT / AFP

Gilets jaunes de tous les pays...

Économiste mondialement reconnu pour ses travaux sur les inégalités (à l'origine, notamment, de la courbe de l'éléphant), Branko Milanovic répond aux questions d'Atlantico sur les enjeux soulevés par le mouvement des Gilets Jaunes.

Branko Milanovic

Branko Milanovic

Branko Milanovic est chercheur de premier plan sur les questions relatives aux inégalités, notamment de revenus. Ancien économiste en chef du département de recherches économiques de la Banque mondiale, il a rejoint en juin 2014 le Graduate Center en tant que professeur présidentiel invité.

Il est également professeur au LIS Center, et l'auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels Global Inequality - A New Approach for the Age of Globalization et The Haves and the Have-Nots : A Brief and Idiosyncratic History of Global Inequality.

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Atlantico : Jusqu'à quel point pourrions-nous expliquer le mouvement des Gilets jaunes en France en tant qu'expression de la colère de la partie basse du graphique de l'Éléphant – révélant la faible progression des revenus des classes moyennes et populaires occidentales au cours des 30 dernières années en comparaison du reste de la population mondiale, principalement en faveur des plus riches -et en tant que miroirs des électeurs de Trump ou du Brexiters?

Branko Milanovic : Je pense que tous les mouvements d'insatisfaction de la classe moyenne au sein des démocraties occidentales, qu'ils soient exprimés par le Brexit, l'élection de Donald Trump, ou par des manifestations plus énergiques comme en Allemagne et maintenant en France, peuvent être liés, de manière générale, à deux facteurs.

Le premier est la faible croissance des revenus observée au cours des vingt dernières années et le sentiment d'insécurité lié aux emplois de la classe moyenne, à la difficulté de trouver de bonnes écoles pour les enfants des familles vivant avec des moyens modestes et à l'évolution du paysage culturel de ces pays en raison de l'immigration.

Le deuxième facteur est le sentiment pour les classes moyennes que de telles préoccupations sont ignorées par les politiciens de toutes tendances. Ceci, à mon avis, explique l'incapacité des principaux partis politiques à trouver des alternatives. Cette incapacité à trouver une alternative découle du fait qu'ils ne sont guidés par aucune idéologie claire. Les électeurs semblent chercher - presque au hasard - un parti ou un individu qui sera différent des partis traditionnels afin de voter pour lui.

Emmanuel Macron, pas moins que Donald Trump ou l'alliance Di Maio-Salvini, a été un bénéficiaire de cette recherche systématique d'une alternative. Je pense que le mécontentement est encore plus grand maintenant en France, car Emmanuel Macron ne semble finalement pas très différent des gouvernements précédents et, à certains égards, il pourrait même être considéré comme philosophiquement plus éloigné des préoccupations de la classe moyenne.

Pourtant, les inégalités en France ont plus ou moins été contenues depuis les années 80, malgré une croissance inférieure à celle des Etats-Unis par exemple, mais cela n'aura pas suffi pour préserver le pays de ces manifestations. N'est-ce pas un rappel qu'une plus grande égalité dans une économie à faible croissance ne suffit pas ? Qu'est-ce que cela signifie pour les responsables politiques français ?

Comme vous le mentionnez, la France n'a pas connu d'augmentation d'inégalité comparable à celle des États-Unis ou du Royaume-Uni (bien que dans ce dernier cas, le niveau d'inégalité est plus ou moins constant depuis une 20e d'années). Je pense que la question clé est la lente croissance des revenus de la classe moyenne. Bien sûr, si vous combinez cela avec une très forte croissance du revenu aux États-Unis, le ressentiment sera peut-être encore plus grand.

Je pense que ce diagnostic nous amène à la conclusion qu’une croissance plus rapide, une amélioration du pouvoir d’achat, est absolument cruciale. Mais le problème est que personne ne voit exactement comment cela est réalisable à l’Ouest dans des conditions de libre circulation des capitaux et de différences salariales entre travailleurs occidentaux et asiatiques (voire d’Europe de l’Est) de 3 à 5 contre 1. Le type actuel de mondialisation a donc créé un cadre structurellement hostile aux classes moyennes occidentales, qui dépendent pour la plupart de leurs revenus du travail et n’ont aucun revenu de capital significatif.

Emmanuel Macron en a probablement tiré la même conclusion (en ce qui concerne la croissance), mais il pensait pouvoir relancer la croissance française en utilisant des méthodes thatchériennes. Mais le monde a changé entre 1980 et aujourd'hui. Les facteurs structurels que j'ai mentionnés (mondialisation, libre circulation des capitaux) n'existaient pas, ou du moins pas dans la même mesure, dans les années 1980.

Comment voyez-vous les politiques futures qui pourraient évoluer en réponse à la colère de la classe moyenne ?

Il me semble que ce que les gouvernements occidentaux essaient de faire maintenant, c’est, d’une part, de tirer parti de la mondialisation (comme le fait Trump dans sa guerre commerciale avec la Chine, ou ses tentatives de réforme de l’ALENA et de l’OMC), et beaucoup moins systématiquement, d'introduire certaines mesures de redistribution, comme dans le discours de "concession" d'Emmanuel Macron de ce 10 décembre. Il sera intéressant de voir si les concessions faites par Emmanuel Macron lors cette intervention sont durables ou non. Et, ce qui est peut-être plus important, de savoir si Emmanuel Macron - aujourd'hui considéré comme le champion d'une mondialisation basée sur des règles - ne va pas en devenir le détracteur en réformant sur le modèle de Donald Trump.

C'est un moment semblable à celui qu'a connu François Mitterrand en 1983, mais à l'envers. Mitterrand a réalisé que la France pouvait s'accorder avec la mondialisation et les privatisations, Macron pourrait se rendre compte que la France pourrait aider à défaire certains aspects de la mondialisation telle que nous la connaissons aujourd'hui. 

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