Boualem Sansal : "Grâce à Poutine, l’Algérie a trouvé le moyen d’obliger la France à la repentance et l’humiliation permanentes"<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron s'est déjà rendu en Algérie en 2017.
Emmanuel Macron s'est déjà rendu en Algérie en 2017.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Visite à hauts risques

Alors qu’Emmanuel Macron s’apprête à entamer une visite officielle de trois jours en Algérie, l’écrivain algérien Boualem Sansal analyse les deux enjeux sur lesquels le président de la République joue gros.

Boualem Sansal

Boualem Sansal

Boualem Sansal est un écrivain et essayiste algérien. Il est notamment l'auteur de 2084 : la fin du monde, Le Train d'Erlingen ou la Métamorphose de Dieu et Abraham ou La Cinquième alliance. Très critique du pouvoir algérien, il est censuré dans son pays.

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Emmanuel Macron doit se rendre à partir du 25 août en Algérie pour un voyage de trois jours visant à “relancer les relations bilatérales”. A quel point ces dernières en ont-elles besoin ?

Boualem Sansal : Dans les faits, aucun, mais pour le cinéma et les dossiers secrets, c’est utile. L’Algérie Nouvelle, tel est le nouveau nom du pays, il faut absolument le retenir, qui a succédé à l’Algérie Obscure des Frères Bouteflika, se construit sur la haine farouche de la France et la dénonciation permanente de ses crimes coloniaux et postcoloniaux. Le gisement est tari depuis un demi-siècle mais le nouveau pouvoir a choisi de l’ignorer, il l’exploite sans profit aucun, avec des retombées lourdes sur l’environnement.

Le problème pour lui est que pour dénoncer la France, l’obliger au silence, à la repentance et à l’humiliation permanentes, il faut avoir les moyens de la contraindre et, coup de chance, l’Algérie Nouvelle les a en abondance grâce à l’intervention divine de Poutine contre l’Occident dépravé, assoiffé de richesses : ce sont les contrats commerciaux qu’elle agite au bout de la ligne et les hydrocarbures sans lesquels la France ne passera pas l’hiver. Ce que l’Algérie nouvelle veut de cette rencontre avec Macron c’est qu’il l’aide très efficacement à se faire la réputation d’un pays qui compte, qui réussit mieux que le Maroc, et qu’il s’aligne sur ses positions dans le dossier du Sahara occidental pour choquer le Maroc et l’Espagne. On est vraiment dans la psychologie profonde.

Le président Macron répond à l'invitation de son homologue, Abdelmadjid Tebboune, mais le pouvoir en Algérie cherche-t-il véritablement à apaiser les tensions ? 

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Macron n’est pas naïf, il sait bien que le levain de l’Algérie nouvelle c’est l’agressivité, la menace, la stratégie de la tension sur ses partenaires pour les dissuader de s’ingérer dans ses affaires. Mais Macron a lui-même besoin de mettre sous tension le pouvoir de l’Algérie Nouvelle pour l’épuiser, pour l’amener à composer en adultes responsables. Sous couvert de l’Union européenne, il fera pression amicale sur elle pour l’engager à se réformer, se moderniser, lever le pied sur la répression, libérer les opposants politiques et les journalistes. Il sait que L’Algérie nouvelle tient beaucoup à montrer qu’elle est vierge, qu’elle est une pure victime, et qu’elle est en droit de donner des leçons de morale au monde entier.

Dans la situation actuelle, et en particulier au vu de la manière dont le régime algérien joue à plein sur la “rente mémorielle”, est-il réaliste de croire que la relation puisse s’apaiser si la France tente de calmer le jeu ?

Mais qui veut apaiser les tensions ? Personne. Ce n’est pas le moment de baisser la garde. Quand on ne peut pas résoudre une crise, il faut pousser les feux et l’aggraver autant qu’il est possible pour rebattre les cartes et changer le rapport de force. Je crois que Macron joue bien aux échecs mais l’Algérie nouvelle joue excellemment aux dominos. On va voir qui va gagner. 

Il faut tenir compte que l’Algérie Nouvelle a rompu avec l’Occident, avec l’Afrique girouette et le monde arabe fasciné par Israël, elle a rejoint les BRICS :: que des grands, auxquels elle va beaucoup apporter. Et recevoir d’eux, of course.

Est-il encore possible d’améliorer les relations franco-algériennes sur des bases saines ? Par quoi cela pourrait-il passer ?  

Entre l’Algérie et la France, c’est parfaitement possible et plus que souhaitable. Il y a beaucoup de choses qui les rapprochent, et bien sûr quelques-unes qui les opposent, mais entre gens intelligents, c’est un jeu d’enfants que de trouver le bon chemin. Mais  entre la France et l’Algérie Nouvelle, je ne crois pas, tout cela finira mal. D’abord parce que la France ne croit pas en cette Algérie, nouvelle par on ne sait quel miracle, qu’il faut mettre au pas et parce que l’Algérie Nouvelle ne voit dans la France que la France coloniale à humilier.

Chercher à apaiser les relations à tout prix serait-il une erreur dans les circonstances actuelles, au vu de ce qu’est le pouvoir algérien ?

Pour l’Algérie nouvelle, la visite de Macron en costume de repentant c’est tout bénéfice. Le contexte est tout bon. L’Algérie a écrasé l’Espagne, muselé le Maroc, sermonné la Tunisie, l’argent du gaz coule à flot, le peuple est calme, l’armée veille, et le deuxième mandat de l’Algérie Nouvelle s’annonce comme une petite formalité.

Pour Macron, c’est plutôt périlleux. C’est un peu aller à Canossa, l’affaire sent un peu le piège. S’il revient sans au moins ces deux résultats, il aura du mal à se montrer avant longtemps or la rentrée est là, il sera interpellé de tous côtés. 1) l’acceptation par Alger de recevoir un nombre substantiel de OQTF ; 2) augmenter la production de pétrole et de gaz pour soulager l’Europe, affamée par Poutine.

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